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L’information quantique est au cœur d’une industrie nouvelle et en plein essor — mais elle ne se limite pas à l’ordinateur quantique.

« En d’autres termes, toute quantité physique — tout ce qui est — tire sa signification ultime de bits, d’indications binaires oui ou non, une conclusion que nous résumons dans la formule “it from bit”. »

— John Wheeler, « Information, Physics, Quantum: The Search for Links », Proceedings of the Third International Symposium on the Foundations of Quantum Mechanics, Tokyo, 1989.

« Les atomes, à petite échelle, se comportent comme rien d’autre à grande échelle, car ils obéissent aux lois de la mécanique quantique. Ainsi, en descendant et en manipulant les atomes là-bas, nous opérons selon des lois différentes et pouvons donc envisager de faire des choses différentes. Nous pouvons fabriquer différemment. Nous pouvons utiliser, non seulement des circuits, mais aussi des systèmes faisant intervenir des niveaux d’énergie quantifiés, ou des interactions de spins quantifiés, etc. »

— Richard Feynman, 29 décembre 1959, « There’s plenty of room at the bottom », allocution à la réunion annuelle de l’American Physical Society au Caltech, publiée dans Engineering and Science, février 1960.

Il y a un siècle, une compréhension entièrement nouvelle de la nature a jailli de l’esprit de physiciens tels que Werner Heisenberg, Max Born, Wolfgang Pauli et Erwin Schrödinger.

La mécanique quantique — la description des particules et des forces à la base même de la nature — et la théorie quantique des champs, qui combine la mécanique quantique à la relativité et fut développée par Paul Dirac en 1927, ont donné naissance au monde moderne.

Alors que ses implications se propageaient dans la communauté scientifique, la réaction fut, dans bien des milieux, la surprise, voire le choc. Les gens ont commencé à réfléchir aux conséquences scientifiques et philosophiques de concepts comme le principe d’incertitude de Heisenberg et d’expériences de pensée comme celle du chat de Schrödinger.

La compréhension humaine de l’univers s’en est trouvée profondément bouleversée.

Nous ne la comprenons toujours pas pleinement, mais la théorie quantique s’est révélée extrêmement féconde. Des technologies comme les lasers, les transistors, l’imagerie médicale, et en fin de compte les ordinateurs et ordinateurs quantiques d’aujourd’hui, sont rendus possibles grâce à elle.

Cette année, le monde célèbre l’Année internationale des sciences et technologies quantiques, en hommage à ce que les scientifiques d’il y a cent ans ont accompli.

Pendant ce temps, l’Institut Périmètre — qui abrite un groupe de recherche en information quantique solide et dynamique — souligne les 25 ans de sa fondation et rend hommage aux réalisations extraordinaires survenues depuis.

Les fondateurs de la mécanique quantique n’avaient ni les moyens ni même la capacité d’imaginer des ordinateurs ordinaires, encore moins des ordinateurs quantiques.

Mais leurs théories ont constitué la première étape vers ce que nous appelons aujourd’hui « l’information quantique », un domaine qui vise à exploiter les éléments fondamentaux de la nature elle-même.

Avec le dévoilement, en 1946, du premier ordinateur électronique polyvalent — l’Electronic Numerical Integrator and Computer (ENIAC), de la taille d’une pièce, à la Moore School of Electrical Engineering (aujourd’hui la School of Engineering and Applied Science de Penn) — l’humanité a commencé à envisager l’« information » sous un tout nouveau jour.

Deux composantes de l’ENIAC sont actuellement exposées à la School of Engineering and Applied Science de Moore, dans la salle 100 du bâtiment Moore. Image Source: Paul W Shaffer, University of Pennsylvania.

Dans les années 1960, alors que les ordinateurs occupaient encore d’immenses salles comme la Red Room de l’Université de Waterloo, et que l’ordinateur portable n’était même pas envisageable, le célèbre physicien Richard Feynman a prédit qu’un jour, nous pourrions manipuler « un système faisant intervenir des niveaux d’énergie quantifiés, ou des interactions de spins quantifiés ». Il imaginait un ordinateur quantique.

La Red Room de l’Université de Waterloo, nommée pour ses couleurs vives, abritait les premiers ordinateurs centraux d’IBM dans les années 1960. Elle constitue une pièce maîtresse de l’histoire de l’informatique au Canada et rappelle le chemin parcouru par la technologie depuis. Image Source: University of Waterloo Computer Museum. The Red Room. 1969.

Et en 1989, un autre physicien renommé, John Wheeler, a forgé l’expression « it from bit », suggérant qu’au bout du compte, tout est composé d’information.

Aujourd’hui, la théorie de l’information quantique à l’Institut Périmètre englobe de nombreux aspects de la physique — de l’informatique quantique et la gravité quantique jusqu’aux recherches sur les nouveaux matériaux quantiques menées au Clay Riddell Centre for Quantum Matter, avec le soutien de la Riddell Family Charitable Foundation.

25 ans d’informatique quantique

Des percées récentes ont amené des spécialistes à reformuler le « it from bit » de Wheeler en « it from qubit » ou même « it from qudit ».

Les qubits (bits quantiques) et les qudits (unités de calcul à plusieurs niveaux utilisant plus de deux états particulaires) manifestent deux propriétés remarquables de la mécanique quantique : la superposition et l’intrication.

Exploiter la nature quantique des particules pourrait nous offrir une puissance de calcul bien supérieure à tout ce qu’un ordinateur ordinaire — même un superordinateur — peut accomplir en se limitant aux signaux électroniques.

Lors de la création de l’Institut Périmètre, il y a environ 25 ans, deux de ses fondateurs, Raymond Laflamme et Michele Mosca, étaient des pionniers des premières itérations d’ordinateurs quantiques et des codes de correction d’erreurs quantiques.

Raymond Laflamme, membre fondateur du corps professoral de l’Institut Périmètre et pionnier de l’informatique quantique, a contribué à démontrer l’un des tout premiers ordinateurs quantiques à sept qubits au monde. Il est aujourd’hui titulaire d’une Chaire de recherche du Canada en informatique quantique.

Laflamme, qui a contribué à fonder l’Institut Périmètre en 2000, travaillait auparavant au Laboratoire national de Los Alamos, où il avait participé à la démonstration du tout premier ordinateur quantique à sept qubits utilisant la résonance magnétique nucléaire.

Il est ensuite devenu, en 2002, le premier directeur de l’Institut d’informatique quantique (IQC) de l’Université de Waterloo. Il y est actuellement titulaire d’une Chaire de recherche du Canada en informatique quantique et professeur associé à l’Institut Périmètre.

Mosca, de son côté, était professeur à l’Université de Waterloo au moment de la création de l’Institut Périmètre. Lui aussi a contribué à la mise en œuvre des premières applications d’algorithmes quantiques utilisant la résonance magnétique nucléaire. Il est devenu l’un des premiers professeurs de l’Institut Périmètre et est aujourd’hui professeur à l’IQC et membre associé du corps professoral de Périmètre. Il est expert dans la rédaction d’algorithmes quantiques et le développement de la cryptographie post-quantique visant à protéger l’information à l’ère des ordinateurs quantiques.

Beaucoup de choses ont changé en 25 ans.

Aujourd’hui, de grandes entreprises comme Intel, IBM, Google et Microsoft développent des ordinateurs quantiques et des services d’informatique quantique en nuage. Elles conçoivent de nouvelles puces quantiques capables de manipuler un plus grand nombre de qubits, avec une précision accrue.

La puce Majorana 1 de Microsoft fait partie de l’effort de l’entreprise pour construire un ordinateur quantique évolutif utilisant des qubits topologiques — une approche fondamentalement différente de la plupart des systèmes actuels. Image Source: Microsoft. Introducing Microsoft's Majorana 1 chip

Des entreprises en démarrage se joignent également à la course. Au Canada, des sociétés spécialisées dans les logiciels quantiques comme Xanadu proposent des plateformes logicielles, de programmation et de réseau pour ordinateurs quantiques, tandis qu’Isara, une entreprise établie à Waterloo, conçoit des solutions de cryptographie résistantes aux ordinateurs quantiques. Il en existe bien d’autres au pays. Le Canada collabore également avec des entreprises comme Haiqu, une jeune pousse en logiciels quantiques, afin de rapprocher la recherche fondamentale de l’innovation technologique. Aux États-Unis, des entreprises comme QuEra et Atom Computing suivent la même voie.

Le public n’en est peut-être pas conscient, mais un écosystème d’affaires dynamique autour du quantique est en plein essor. Pendant ce temps, la formation offerte à l’Institut Périmètre et à l’IQC produit une main-d’œuvre primée et hautement qualifiée pour ces entreprises, au Canada et ailleurs dans le monde.

Des défis subsistent pour rendre les ordinateurs quantiques véritablement pratiques. Certaines entreprises ont affirmé avoir atteint la suprématie quantique ou l’avantage quantique — c’est-à-dire avoir démontré qu’un ordinateur quantique peut résoudre certains types de problèmes qui prendraient un temps prohibitif même à un superordinateur.

Mais l’utilisation quotidienne d’ordinateurs quantiques demeure insaisissable. Ces systèmes restent très sensibles aux erreurs. Tout « bruit » — ce qui inclut toute perturbation susceptible de déséquilibrer le système de calcul quantique, comme des interférences électromagnétiques, des rayons cosmiques ou des imperfections dans les opérations logiques servant à manipuler les qubits — peut provoquer une décohérence quantique, c’est-à-dire la perte des propriétés quantiques particulières qui rendent ce type de calcul possible.

Des membres associés de la faculté de l’Institut Périmètre (également affiliés à l’IQC), comme Roger Melko et Christine Muschik, explorent de nouvelles façons de surmonter ces obstacles.

Melko a fondé le Perimeter Institute Quantum Intelligence Lab (PIQuIL), un laboratoire qui se consacre à l’exploration de l’intersection entre l’intelligence artificielle et la physique quantique, à travers des activités de recherche et de formation menées en collaboration avec les milieux universitaire, gouvernemental et industriel.


Plus récemment, il a contribué à la fondation d’Open Quantum Design, un organisme sans but lucratif consacré au développement d’un ordinateur quantique à ions piégés, entièrement libre et « full stack », à l’Université de Waterloo.

Melko explore l’intersection entre l’intelligence artificielle et l’informatique quantique, adaptant la structure algorithmique des grands modèles de langage utilisés dans des agents conversationnels comme ChatGPT afin de faire progresser les simulations sur ordinateurs quantiques.

Selon lui, la structure des algorithmes de ces grands modèles convient bien à l’informatique quantique, car ces modèles sont, à la base, probabilistes.

Un agent conversationnel alimenté par l’IA utilise une distribution de probabilité pour produire des réponses susceptibles d’être correctes. « Cela se transpose bien à la représentation des états quantiques, qui sont eux aussi intrinsèquement probabilistes », ajoute Melko.

En collaboration avec des chercheurs de Harvard, une équipe dirigée par Melko a mis au point un grand modèle de langage capable de traiter des données provenant d’un ordinateur quantique utilisant des atomes neutres refroidis par laser comme qubits. « Nous avons réussi à prendre des données issues d’un ordinateur quantique, à apprendre leur distribution, puis à le solliciter pour générer de nouvelles données — comme on le ferait avec un agent conversationnel », explique Melko.

« L’idée, c’est que si nous pouvons utiliser des grands modèles de langage sur de vrais ordinateurs quantiques, nous pourrons mieux comprendre comment un design quantique pourrait se comporter. Cela pourrait donc devenir un outil de conception. »

Il affirme que les algorithmes inspirés par les grands modèles de langage peuvent aussi être utiles en correction d’erreurs quantiques, pour surmonter les fautes causées par la décohérence.

« Nous avons été les premiers ici à Périmètre à suggérer qu’il serait possible de faire de la correction d’erreurs quantiques à l’aide de ces modèles génératifs probabilistes », souligne Melko.

À bien des égards, Melko poursuit le travail du scientifique canadien Geoffrey Hinton, lauréat du prix Nobel décerné l’an dernier pour ses recherches pionnières dans le domaine de l’intelligence artificielle.

Geoffrey Hinton, souvent surnommé le « père de l’IA », a jeté les bases des percées actuelles en apprentissage automatique. Ses travaux sur les réseaux de neurones, comme la machine de Boltzmann, influencent aujourd’hui la recherche en informatique quantique. Image Credit: University of Toronto. Nobel laureate Geoffrey Hinton explains the invention that changed everything.

Hinton est connu pour la machine de Boltzmann, un type de modèle d’apprentissage en intelligence artificielle inspiré par la physique statistique. Elle peut servir à classifier des images et à identifier des motifs — une tâche dans laquelle les modèles d’apprentissage automatique modernes, bien plus sophistiqués, excellent.

« Nous avons adapté l’architecture célèbre de Hinton pour montrer qu’on pouvait l’utiliser afin d’entraîner des dispositifs quantiques, de détecter les erreurs et de proposer des corrections », explique Melko. Cette recherche, qui a démontré qu’un réseau de neurones d’IA pouvait identifier des transitions de phase entre différents états de la matière, a été publiée dans Physical Review Letters. Cette stratégie a d’ailleurs été adoptée plus tard dans le modèle d’IA pour la correction d’erreurs quantiques de Google, AlphaQubit, ajoute Melko.

L’entrée de Melko dans le domaine de l’information quantique et de l’informatique quantique s’est faite par un tout autre chemin. Pendant son doctorat en matière condensée à l’Université de Californie, à Santa Barbara, il s’est intéressé à la façon dont certains matériaux céramiques appelés cuprates deviennent supraconducteurs — c’est-à-dire capables de conduire l’électricité sans résistance à une température critique suffisamment basse.

Comprendre comment la supraconductivité « émerge » dans des matériaux comme les cuprates exige de comprendre le comportement collectif des électrons et leurs interactions. En physique, on parle alors de problème à plusieurs corps.

« Mon approche était résolument computationnelle. J’ai toujours été un physicien numérique — ou numéricien, quelqu’un qui se spécialise dans les méthodes numériques », explique Melko.

Vers la fin de son doctorat, il s’est mis à utiliser un outil appelé algorithmes de réseaux de tenseurs pour analyser les interactions entre plusieurs électrons. Cela l’a amené à étudier l’intrication, une propriété quantique qui alimente le calcul quantique. C’est ainsi qu’il est passé de la matière quantique à l’informatique quantique.

De son côté, Christine Muschik fait passer l’informatique quantique à un tout autre niveau grâce à ses travaux qui vont au-delà des qubits et explorent le domaine des qudits, des systèmes à niveaux multiples. Son équipe théorique collabore avec un groupe expérimental de l’Université d’Innsbruck, dans l’ouest de l’Autriche, qui utilise un ordinateur quantique à ions piégés manipulant des ions de calcium (atomes de calcium chargés) pour effectuer des calculs quantiques dans des dimensions supérieures — et pas seulement à partir des superpositions binaires zéro et un des qubits. Leurs travaux ont récemment été publiés dans Nature Physics.

Christine Muschik dirige les travaux théoriques sur les systèmes quantiques de haute dimension, repoussant les limites des qubits pour explorer le domaine des qudits, dans le but de réduire les erreurs et d’élargir le potentiel de l’informatique quantique.

Selon Muschik, l’utilisation de qudits permet à un ordinateur quantique d’en faire plus avec moins, et donc de réduire les erreurs.

L’avenir de l’informatique quantique

L’informatique quantique a évidemment beaucoup progressé depuis la création de l’Institut Périmètre il y a 25 ans — mais il reste encore beaucoup à faire.

« Nous avons maintenant une preuve de principe solide que l’informatique quantique n’est pas complètement folle », dit Laflamme. « Il y a beaucoup de capital de risque qui y est investi, et plusieurs gouvernements du monde occidental s’y intéressent. La Russie et la Chine y injectent également des fonds. »

Où en serons-nous dans 25 ans ? Il est difficile de le prédire, mais, comme le dit Laflamme, même s’il est encore difficile d’imaginer un ordinateur quantique portable, certaines entreprises expérimentent déjà l’offre d’informatique quantique en nuage, sous forme de service.

Bien sûr, il existe aussi des dangers. Le principal est que les ordinateurs quantiques pourraient briser le chiffrement qui protège l’information sur les ordinateurs classiques.

En tant qu’expert en cryptographie post-quantique, Mosca travaille à sensibiliser les gens aux risques et aux moyens de les atténuer. Aujourd’hui, des entreprises se spécialisent en cryptographie post-quantique, un élément qui fera partie intégrante des technologies de demain.

Mosca préconise une « approche responsable et équilibrée », qui permettrait de tirer parti des technologies quantiques tout en s’assurant que nous disposons d’une « cyberrésilience » contre les acteurs malveillants.

Si nous parvenons à atténuer les risques, les avantages potentiels sont énormes. L’objectif ultime est d’augmenter l’échelle des ordinateurs quantiques afin de produire des simulations quantiques capables de modéliser les interactions naturelles et d’approfondir notre compréhension de la physique quantique.

Les simulations quantiques pourraient nous aider à découvrir de nouveaux matériaux, de nouveaux médicaments ou encore des solutions d’énergie propre à faible coût. Et il existe bien d’autres applications que nous ne pouvons même pas encore imaginer.

Mais… il y a plus que l’informatique quantique

Plus généralement, l’information quantique s’intéresse à la manière dont l’information peut être représentée dans les états des systèmes quantiques. En fin de compte, cela touche à tout ce qui est fondamental dans la nature.

Elle s’applique à la matière condensée et aux états topologiques de la matière, un domaine de recherche du professeur Timothy Hsieh à l’Institut Périmètre. Elle concerne aussi la question de ce qu’il advient de l’information qui tombe dans un trou noir. Beni Yoshida, un autre professeur à Périmètre, travaille sur ce paradoxe de l’information des trous noirs et sur le phénomène de « brouillage » de l’information quantique à l’intérieur de ceux-ci. Et l’étude de la métrologie quantique — qui consiste à mesurer le monde à l’échelle des particules — est dirigée par la professeure Sisi Zhou à Périmètre : elle fait elle aussi partie du domaine de l’information quantique.

Alex May, qui s’est joint à Périmètre en 2023, combine des outils issus de l’information quantique, initialement développés pour la cryptographie quantique, avec des recherches sur le problème de la gravité quantique. Cela peut sembler surprenant — on n’associe pas spontanément la cryptographie quantique, qui relève de l’informatique quantique, à la gravité quantique. Mais grâce à la théorie de l’information quantique, ces domaines disposent d’un langage commun.

Alex May établit un pont entre l’information quantique et la gravité quantique, en utilisant des outils issus de la cryptographie quantique pour explorer comment l’intrication pourrait contribuer à unifier la relativité générale et la mécanique quantique.

La gravité quantique est une tentative de faire le lien entre la relativité générale d’Albert Einstein (ou théorie de la gravité) et la théorie quantique.

Ces deux théories sont chacune couronnées de succès à leur manière, mais elles décrivent des réalités très différentes : la théorie d’Einstein décrit une structure de l’espace-temps lisse et courbée à l’échelle cosmique, tandis que la théorie quantique décrit les particules et les forces sous forme discrète à l’échelle microscopique. Réunir les deux offrirait une toute nouvelle perspective sur le fonctionnement de la nature — ce serait aussi révolutionnaire que le développement de la mécanique quantique il y a cent ans.

Trouver le bon cadre théorique pour établir ce pont s’est avéré difficile. Mais une conjecture appelée correspondance AdS/CFT s’est révélée prometteuse. AdS désigne l’« espace anti-de Sitter », un type d’espace-temps théorique à courbure négative. CFT signifie « théorie conforme des champs », un type particulier de théorie quantique des champs.

La correspondance AdS/CFT est utilisée comme un « modèle jouet » pour simplifier le problème du rapprochement entre les deux théories. On la décrit souvent comme un modèle « holographique », car elle établit un lien entre les particules situées sur une frontière de dimension inférieure et un espace-temps spécial dans le volume. En ce sens, elle est analogue à un hologramme — comme une image 3D imprimée sur une carte de crédit plate.

« Mais comment fonctionne exactement la carte entre les deux ? » C’est une question sur laquelle travaille Alex May, en s’appuyant sur des outils issus de l’informatique quantique et de la cryptographie quantique.

May explique que la cryptographie quantique — qui utilise les propriétés de la mécanique quantique pour sécuriser l’information — est liée à l’intrication, une propriété fondamentale de la mécanique quantique.

« L’intrication est la force motrice de l’information quantique », dit-il.

« La cryptographie quantique met en lumière certains des aspects les plus surprenants de la mécanique quantique — et on retrouve certains de ces mêmes aspects dans la gravité quantique », ajoute-t-il pour expliquer le lien.

Autrement dit, les chercheurs en théorie de l’information quantique se posent la question suivante : « Que peut-on faire d’utile avec des systèmes quantiques ? » Et ils découvrent que des propriétés fondamentales de la mécanique quantique réapparaissent dans d’autres contextes, y compris la gravité.

Cela rend le champ très vaste. « Ce qui en fait un domaine passionnant dans lequel travailler », dit May.

L’avenir du domaine repose sur des jeunes chercheurs comme Tyler Ellison, maintenant chercheur postdoctoral à l’Institut Périmètre. Dans ses travaux, il applique les outils de l’information quantique au domaine de la matière quantique.

Tyler Ellison, chercheur postdoctoral à l’Institut Périmètre, explore comment les phases quantiques de la matière pourraient ouvrir la voie à de nouvelles façons de stocker l’information quantique, contribuant ainsi à bâtir le monde à partir de ses fondations.

Ellison s’est tourné vers l’information quantique et la matière quantique en raison du type de mathématiques qui sous-tendent ces domaines, mais aussi parce qu’en comprenant les interactions entre les particules et la manière dont tout s’assemble, « on peut bâtir le monde à partir de ses fondations — et pour moi, c’est une approche de la physique qui est très satisfaisante. »

Ellison est d’abord venu à l’Institut Périmètre grâce à une bourse de recherche pendant son doctorat à l’Université de Washington, à Seattle. Il a ensuite obtenu une bourse postdoctorale à Yale, et est maintenant de retour à Périmètre comme chercheur postdoctoral.

Il a récemment participé à un projet portant sur un système quantique tridimensionnel dans lequel une intrication à longue portée peut subsister même à température non nulle. L’article est actuellement en prépublication.

Quelles seront les applications d’un tel travail ? Nul ne le sait vraiment. Mais selon Ellison, l’étude des phases quantiques de la matière pourrait inspirer de nouvelles façons de stocker l’information quantique.

Même si imaginer un ordinateur quantique fonctionnel d’ici 25 ans reste un objectif « ambitieux », ce serait une avancée enthousiasmante si elle se concrétisait, dit-il.

« Nous avons déjà réalisé des progrès importants dans la construction d’ordinateurs quantiques, donc c’est quelque chose qu’on peut espérer. Qui sait à quoi cela servira ? Quand les lasers ont été inventés, ils n’avaient pas d’applications immédiates, et aujourd’hui on les utilise à l’épicerie pour scanner nos achats », explique Ellison.

Il est peu probable que les ordinateurs quantiques se retrouvent dans les épiceries. Mais leurs usages pourraient s’avérer extraordinaires, dans des domaines que nous ne pouvons pas encore imaginer. C’est ce qui rend les 25 prochaines années dans le domaine de l’information quantique aussi passionnantes — pour Ellison, pour sa génération, et pour toute la communauté scientifique à l’avant-garde de cette recherche.

À propos de l’IP

L'Institut Périmètre est le plus grand centre de recherche en physique théorique au monde. Fondé en 1999, cet institut indépendant vise à favoriser les percées dans la compréhension fondamentale de notre univers, des plus infimes particules au cosmos tout entier. Les recherches effectuées à l’Institut Périmètre reposent sur l'idée que la science fondamentale fait progresser le savoir humain et catalyse l'innovation, et que la physique théorique d'aujourd'hui est la technologie de demain. Situé dans la région de Waterloo, cet établissement sans but lucratif met de l'avant un partenariat public-privé unique en son genre avec entre autres les gouvernements de l'Ontario et du Canada. Il facilite la recherche de pointe, forme la prochaine génération de pionniers de la science et communique le pouvoir de la physique grâce à des programmes primés d'éducation et de vulgarisation.

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