En 2008, Howard Burton, directeur fondateur de l’Institut Périmètre, avait quitté ses fonctions après avoir réussi, contre toute attente, à établir un institut de recherche en pleine croissance.
Sous la direction de Burton et grâce à l’engagement soutenu de ses chercheuses et chercheurs, l’Institut était passé de zéro à un acteur reconnu sur la scène scientifique internationale. Périmètre entamait alors un nouveau chapitre et se mettait en quête d’un nouveau directeur général.
Les dirigeant·e·s de l’Institut ont fait appel à Neil Turok, qui a occupé le poste de directeur général de 2008 à 2019. Aujourd’hui titulaire de la chaire Higgs en physique théorique à l’Université d’Édimbourg, Turok détient également la Chaire de recherche émérite Carlo Fidani Roger Penrose en physique théorique à l’Institut Périmètre – un rôle qui l’amène à revenir régulièrement pour des séjours de recherche et des conférences publiques.
En 2008, Neil Turok était un cosmologiste respecté à l’Université de Cambridge, ayant coécrit des articles avec le célèbre Stephen Hawking sur les origines possibles de l’univers.
Il venait également de remporter un prix TED. Ce prix lui offrait l’occasion de présenter son « souhait » devant une salle remplie d’entrepreneurs susceptibles d’investir dans son idée. Originaire d’Afrique du Sud, où ses parents avaient été emprisonnés pour s’être opposés au régime de l’apartheid, Turok souhaitait créer un réseau de centres d’éducation en mathématiques et en sciences à travers le continent africain. Son rêve était d’offrir des possibilités de formation à de jeunes Africains talentueux qui, autrement, n’auraient peut-être jamais accès à des études en sciences.
Turok croyait au potentiel de la jeunesse et était convaincu que le prochain Einstein pourrait venir d’Afrique – un continent qui ne manque pas de jeunes esprits brillants. Il avait déjà mis en place les premières bases d’un réseau appelé l’Institut africain des sciences mathématiques (AIMS), mais il le faisait avec très peu de financement et sans dotation. Il était déterminé à le faire grandir.
À peu près à la même époque, en 2008, Turok a reçu un appel du physicien James Hartle, alors collègue à l’Université de Californie à Santa Barbara, et lui aussi collaborateur de Stephen Hawking. Hartle lui a appris que l’Institut Périmètre était à la recherche d’un nouveau directeur.
Turok connaissait peu l’Institut, situé à Waterloo, mais il respectait profondément Hartle et a suivi son conseil d’envisager le poste. Il a rencontré le fondateur de Périmètre, Mike Lazaridis, à New York, où Turok a expliqué que, s’il acceptait la fonction, il souhaitait poursuivre en parallèle son projet AIMS en Afrique. Lazaridis l’a assuré que cela ne posait aucun problème. Au contraire, c’était un objectif compatible, puisque Lazaridis voulait faire de Périmètre une institution à vocation internationale. « C’était très enthousiasmant », se souvient Turok.
Lorsqu’il a visité l’Institut en 2008, un concert du célèbre violoncelliste Yo-Yo Ma et de ses accompagnateurs y était présenté. L’atmosphère était électrisante. Yo-Yo Ma nourrissait un vif intérêt personnel pour la physique théorique et avait passé du temps à discuter avec les chercheurs présents dans l’édifice. Le concert fut spectaculaire. « Il était grisé par la physique ce soir-là », se rappelle Turok.
Turok dit également avoir été impressionné par ce qu’avaient déjà accompli le premier directeur, Howard Burton, et le conseil d’administration de l’Institut Périmètre.
« La chose la plus facile au monde, c’est de gaspiller de l’argent — mais ils ne l’ont pas fait. Le conseil d’administration de Périmètre a veillé à ce que les fonds soient bien utilisés. Ils avaient recruté d’excellents professeurs et mis en place une série de conférences publiques remarquable. »
Neil Turok : Périmètre prend sa place sur la scène internationale
Pendant le mandat de Turok, le corps professoral s’est élargi dans de nombreux domaines de recherche, mais il a joué un rôle particulièrement déterminant dans la création, en 2016, du Centre de l’Univers de l’Institut Périmètre, un pôle de recherche en cosmologie. En collaboration avec ses partenaires fondateurs — l’Institut canadien d’astrophysique théorique (CITA), l’Institut Dunlap de l’Université de Toronto, l’Université Queen’s/SNOLAB, l’Université de Guelph, le Centre d’astrophysique de l’Université de Waterloo et l’Université York — ce centre a favorisé l’essor de la recherche en physique théorique dans de nouvelles initiatives en astrophysique.
Périmètre a également commencé à participer plus activement à de grandes collaborations scientifiques internationales, notamment le télescope Event Horizon et CHIME. Bien que l’Institut soit un lieu de tableaux noirs et d’ordinateurs plutôt que de télescopes et d’instruments, l’expertise de ses scientifiques est essentielle pour lever le voile sur les confins du cosmos — surtout à l’ère de l’astronomie multi-messager, où des données provenant de plusieurs instruments sophistiqués peuvent être analysées ensemble pour offrir des perspectives inédites sur l’univers.
Ces initiatives ont contribué à faire rayonner le Canada dans le domaine de l’astrophysique.
C’est grâce au lien entre Turok et Hawking que Périmètre a pu accueillir le célèbre physicien pour une visite de six semaines en 2010, puis de nouveau en 2012. Ces visites ont suscité une importante couverture médiatique internationale.
La réputation mondiale de l’Institut s’est ainsi renforcée — et son empreinte physique aussi. Une importante expansion des installations, achevée en 2010, a doublé la superficie de l’Institut et a donné naissance au Centre Stephen Hawking.
L’un des programmes de formation les plus réussis de Périmètre, la maîtrise Perimeter Scholars International, a été lancée en 2009 sous la direction de Turok, en partenariat avec l’Université de Waterloo. L’Institut a également élargi les possibilités offertes aux chercheurs et chercheuses aux cycles supérieurs et au niveau postdoctoral.
« J’avais vécu cette expérience en Afrique, axée sur les jeunes, et c’était une joie absolue de voir de jeunes gens — surtout issus de milieux défavorisés — complètement galvanisés par les problèmes les plus récents en informatique, en mathématiques et en physique », raconte Turok.
« J’ai vu les bienfaits incroyables des programmes de formation qui attirent les jeunes les plus déterminés, ceux et celles qui adorent profondément les maths, la physique et la science. En arrivant à Périmètre, j’ai compris que c’était la clé : si l’on veut vraiment insuffler de l’énergie à une institution, il faut créer le meilleur environnement possible pour les jeunes », ajoute-t-il.
Le service de sensibilisation éducative de Périmètre a également élargi sa portée pendant les années de Turok à la direction. Le Réseau des enseignants de l’Institut Périmètre a été créé, et à ce jour, il agit comme un carrefour qui offre aux profs de sciences du secondaire — au Canada comme à l’international — des ateliers de perfectionnement professionnel de calibre mondial.
Ces enseignants ramènent ce qu’ils ont appris dans leurs propres salles de classe, mais aussi auprès d’autres enseignants dans leurs pays d’origine. Ces formations, accompagnées de ressources pédagogiques, offrent des leçons actuelles et inspirantes en physique moderne — et les jeunes élèves brillants qui en bénéficient deviennent partie intégrante du vivier de talents en physique, que ce soit pour les universités, les instituts ou l’industrie, ici comme ailleurs.
Des politicien·ne·s de tous horizons sont venus visiter l’Institut. Les premiers ministres Stephen Harper et Justin Trudeau ont tous deux visité Périmètre pendant le mandat de Turok à la direction. Chacun de leurs gouvernements a annoncé de nouveaux investissements dans l’Institut, inspirés par l’impact que Périmètre avait sur le rayonnement de la science canadienne à l’échelle internationale. Lors de la visite du premier ministre Justin Trudeau, il a d’ailleurs expliqué l’informatique quantique — au grand plaisir du public — dans un moment devenu célèbre.
Périmètre a également joué un rôle phare à titre de partenaire principal d’Innovation150, une initiative marquante des célébrations du 150e anniversaire du Canada en 2015. L’Institut devenait un ambassadeur reconnu de la science canadienne, partout au pays. Il a organisé des expositions itinérantes, de grands festivals urbains et des expériences en ligne dynamiques.
Ce qui émerveille encore Turok aujourd’hui, c’est l’intérêt que le grand public porte à la physique théorique. Même si le travail de l’Institut est scientifique, les questions qu’il aborde font partie d’une quête spirituelle humaine qui remonte aux origines de l’histoire — une quête profondément ancrée au cœur même de notre humanité, dit-il.
« C’est une discipline qui touche aux questions les plus fondamentales que nous nous posons sur nous-mêmes et sur les raisons de notre existence. Elle accède à quelque chose de spirituel chez l’être humain. »
Lorsque Turok a passé le flambeau de la direction de l’Institut à son successeur, Rob Myers, en 2019, l’Institut avait acquis une solide réputation tant sur la scène nationale qu’internationale.
Rob Myers : Périmètre devient un carrefour scientifique mondial
Créer un nouvel institut à partir de zéro demandait bien plus que le recrutement d’une équipe de chercheurs. Il fallait inventer une multitude de systèmes de soutien, de structures et de programmes pour assurer le bon fonctionnement de l’ensemble.
Rob Myers n’est devenu directeur qu’en 2019, mais il faisait partie du corps professoral fondateur et a été un pilier de l’Institut tout au long de ses 25 premières années.
Il a contribué à créer et à bâtir l’Institut. En tant que directeur, il y a ajouté de nouvelles dimensions. Il a aidé à consolider la réputation de Périmètre comme institut de physique théorique reconnu à l’échelle mondiale.
Il a joué un rôle clé dans le recrutement de scientifiques d’exception et dans le développement des neuf axes de recherche de l’Institut : champs quantiques et cordes (son propre domaine de recherche), fondements quantiques, information quantique, gravité quantique, gravité forte, matière quantique, physique des particules, cosmologie et physique mathématique.
Myers a supervisé la création du nouveau Centre Clay Riddell pour la matière quantique, un pôle de recherche consacré à l’exploration et à la découverte de nouveaux états de la matière. Toujours sous sa direction, Périmètre a lancé l’Initiative sur l’inférence causale quantique, qui vise à extraire des relations de cause à effet à partir de vastes ensembles de données statistiques. L’objectif est que les découvertes issues de ces travaux rendent l’intelligence artificielle plus performante dans la prédiction de réseaux complexes de causalité.
C’est également sous son mandat qu’a été fondé le Laboratoire d’intelligence quantique de l’Institut Périmètre, mieux connu sous le nom de PIQuIL. Ce laboratoire a attiré l’attention à l’échelle nationale et internationale grâce à ses travaux novateurs à l’intersection de l’intelligence artificielle et de l’informatique quantique.
Myers a été le directeur chargé de la lourde tâche de guider l’Institut à travers la crise de la pandémie de COVID-19. Le confinement a été particulièrement difficile pour une institution comme Périmètre, où les professeurs et les étudiants collaborent étroitement dans un environnement interactif. Mais avec une main ferme — et grâce aux idées créatives de l’ensemble des membres de la communauté de Périmètre — Myers a réussi à assurer la sécurité du personnel, du corps professoral et des étudiants, tout en maintenant le rythme et l’ampleur des activités d’enseignement et de recherche. Après une réouverture progressive et sécuritaire, l’Institut est ressorti de cette épreuve toujours aussi dynamique.
Pendant son mandat, Myers a également contribué à faire en sorte que les femmes physiciennes brillantes — sous-représentées dans le domaine partout dans le monde — se sentent les bienvenues au sein de la communauté de recherche de l’Institut. Il a d’ailleurs codirigé le programme de bourses Simons Emmy Noether, qui soutient les femmes en début de carrière en physique.
Il a joué un rôle majeur dans le développement du programme de conférences de Périmètre, aujourd’hui reconnu mondialement, et qui attire chaque année près d’un millier de scientifiques du monde entier pour des ateliers et des conférences.
En 2023, Périmètre a accueilli la conférence Strings 2023 — le principal rassemblement international de spécialistes de la théorie des cordes, et l’un des plus grands congrès en physique théorique.
L’édition 2023 a rassemblé plus de 200 scientifiques venus des quatre coins du monde, tandis que de nombreux autres ont assisté à l’événement en ligne. Juan Maldacena, physicien théoricien argentin reconnu comme un pionnier de la dualité holographique — une idée extrêmement influente dans la quête actuelle d’une théorie de la gravité quantique — a donné une conférence publique qui a marqué l’un des grands moments du rassemblement.
C’était un hommage au chemin parcouru par Périmètre depuis 2000 : d’un petit noyau de personnes à un institut de réputation mondiale capable de réunir les sommités scientifiques de partout sur la planète.
« Nous avons ici des chercheurs extraordinaires qui génèrent des idées nouvelles, mais nous faisons aussi partie d’une communauté plus vaste. L’un des grands atouts de Périmètre, c’est que nous pouvons organiser facilement des conférences sur des sujets à la fine pointe de la recherche. Au fil des ans, nous avons accueilli des milliers de physicien·ne·s d’exception à Waterloo », affirme Myers.
Au moment où Myers a cédé le rôle de directeur général à Marcela Carena — une scientifique éminente reconnue pour son expertise en physique des particules — en 2024, l’Institut reposait sur des bases solides pour amorcer les 25 prochaines années de physique théorique.
Ceci est le troisième chapitre d’une série qui retrace l’histoire de Périmètre à l’occasion de son 25e anniversaire. Vous pouvez consulter le chapitre 1 ici, et le chapitre 2 ici. Restez à l’écoute pour découvrir le prochain chapitre, qui portera sur l’avenir de l’Institut.
À propos de l’IP
L'Institut Périmètre est le plus grand centre de recherche en physique théorique au monde. Fondé en 1999, cet institut indépendant vise à favoriser les percées dans la compréhension fondamentale de notre univers, des plus infimes particules au cosmos tout entier. Les recherches effectuées à l’Institut Périmètre reposent sur l'idée que la science fondamentale fait progresser le savoir humain et catalyse l'innovation, et que la physique théorique d'aujourd'hui est la technologie de demain. Situé dans la région de Waterloo, cet établissement sans but lucratif met de l'avant un partenariat public-privé unique en son genre avec entre autres les gouvernements de l'Ontario et du Canada. Il facilite la recherche de pointe, forme la prochaine génération de pionniers de la science et communique le pouvoir de la physique grâce à des programmes primés d'éducation et de vulgarisation.
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