Quantum fields and strings illustration

Explorer la théorie quantique des champs et la théorie des cordes

Les plus grandes réalisations de la physique ont été des prouesses d’unification : la théorie de la gravitation de Newton, qui explique aussi bien la chute d’une pomme au sol que l’orbite de la Lune autour de la Terre; la théorie de Maxwell, qui décrit les phénomènes électriques et magnétiques comme 2 faces d’une même médaille; la théorie de la relativité générale d’Einstein, qui relie l’espace, le temps et la gravitation; la découverte — dans le contexte du modèle standard de la physique des particules — que l’électromagnétisme et l’interaction faible sont des aspects différents d’une même force plus fondamentale appelée interaction électrofaible. La théorie des cordes est une tentative de la quête ultime de l’unification : formuler toutes les lois de la physique dans un cadre mathématique unique.

Théorie des cordes 101

L’idée fondamentale de la théorie des cordes est simple. Selon la physique des particules, il y a un nombre relativement important de composantes élémentaires, à partir desquelles tout se construit : l’électron, le photon, les quarks, etc. Selon toutes les expériences que l’on peut faire, toutes ces particules sont ponctuelles, ou zérodimensionnelles — elles n’ont aucune étendue spatiale. D’autre part, selon la théorie des cordes, il n’y a qu’une seule composante élémentaire : une minuscule « corde » unidimensionnelle, qui peut soit avoir 2 extrémités libres et qui est alors appelée corde ouverte, ou dont les extrémités se rejoignent pour former une boucle, auquel cas on parle de corde fermée. Pour simplifier, on peut représenter ces 2 types de cordes comme le montre la figure ci-dessous.

Un cercle et une ligne vacillants illustrent une corde oscillante fermée et ouverte
Cordes fermée et ouverte oscillantes

Comment une corde élémentaire pourrait-elle expliquer toutes les particules élémentaires connues? Là encore, l’idée de base est simple : une corde élémentaire, ouverte ou fermée, peut osciller de nombreuses manières différentes, comme les cordes d’une guitare ou d’un violon. Tout comme en musique diverses oscillations d’une corde produisent des notes de hauteurs différentes, et diverses combinaisons produisent des sons de timbres variés, diverses oscillations d’une corde élémentaire correspondent à différentes valeurs de propriétés physiques de la corde telles que la masse ou le spin.

Pour avoir une idée de la manière dont cela fonctionne, il faut se rappeler qu’il y a dans le monde quantique une relation étroite entre la fréquence d’oscillation de quelque chose et son énergie. Einstein en a fourni le premier exemple, en suggérant que l’énergie d’un quantum de lumière — un photon — est liée à sa couleur, qui correspond à sa fréquence d’oscillation : plus la fréquence est élevée, plus l’énergie est grande. De plus, dans le monde relativiste d’Einstein, il y a aussi une relation entre l’énergie et la masse : E = mc2. En combinant ces 2 relations, nous voyons que dans un monde à la fois quantique et relativiste (notre monde), il y a une relation étroite entre la fréquence à laquelle quelque chose oscille — une corde élémentaire dans notre cas — et sa masse physique, c.-.à-d. la masse de la particule élémentaire qu’elle représente. Par conséquent, les diverses particules élémentaires que nous observons — l’électron, le photon, les quarks, etc. — peuvent toutes être une même entité : une corde élémentaire jouant des notes différentes. Ce potentiel d’unification de la physique des particules est l’un des aspects très captivants de la théorie des cordes.

Si la théorie des cordes est vraie, comment se fait-il que nos observations les plus détaillées des particules élémentaires n’aient jamais révélé une telle structure de corde? Pourquoi ne voyons-nous que des entités ponctuelles? La réponse est simple : les cordes élémentaires, si elles existent, sont beaucoup trop petites pour être visibles. Il est improbable que le microscope ou l’accélérateur de particules les plus perfectionnés puissent avoir une résolution suffisante pour permettre de « voir » directement les cordes et la théorie des cordes. C’est comme quand on regarde un écran d’ordinateur : on ne voit pas les pixels individuellement, parce qu’ils sont trop petits. Il faut être astucieux et trouver des preuves indirectes convaincantes.

Pourquoi tout cet intérêt pour la théorie des cordes?

En plus du potentiel d’unification de la physique des particules, il y a plusieurs autres raisons pour lesquelles la théorie des cordes est extrêmement intéressante.

Tout d’abord, elle ne comporte aucune des « infinités » qui ont tourmenté la physique des particules au milieu du XXe siècle. Prenons 2 électrons, qui se repoussent parce qu’ils ont des charges de même signe. Plus ils sont près l’un de l’autre, plus la force de répulsion est grande. Si les électrons sont vraiment des particules ponctuelles, on peut les rapprocher infiniment l’un de l’autre, ce qui donne une force de répulsion infinie. Il se trouve que cette propriété des particules ponctuelles sème le chaos lorsque l’on essaie de tirer des prédictions sensées à partir de la théorie. On a fini par trouver un correctif, mais celui-ci ne fonctionne que pour 3 des 4 forces fondamentales de la nature; il fonctionne aussi pour la 4e force, la gravité, mais seulement lorsque celle-ci est négligeable. Il faut trouver une toute nouvelle idée.

La théorie des cordes ne présente pas ce problème des infinités, parce que les cordes ont une certaine étendue. Par exemple, 2 cordes voisines peuvent « interagir » par l’intermédiaire d’une 3e corde, comme le montre la figure ci-dessous. Cette interaction est répartie en douceur dans l’espace et dans le temps, et il n’y a pas d’horrible infinité.

Deux cordes en boucle fermée « interagissent » en pinçant une troisième boucle et en l'envoyant d'une boucle à l'autre, échangeant la troisième cordes en boucle fermée,
Cette figure montre 2 cordes fermées qui interagissent par l’intermédiaire d’une 3e corde fermée. Image courtoisie de Steuard Jensen.

De plus, il existe une oscillation particulière d’une corde fermée qui doit se produire dans toute théorie des cordes mathématiquement cohérente et qui possède exactement les bonnes propriétés pour fournir une description sensée en mécanique quantique de l’attraction gravitationnelle entre particules de matière. Il s’agit d’une propriété extraordinaire de la théorie des cordes, puisque, après tout, la formulation d’une théorie de la gravitation quantique est considérée comme le problème ouvert le plus important de la physique théorique. La théorie des cordes englobe automatiquement une théorie de la gravitation quantique! Par contre, on ne sait pas encore s’il s’agit de la bonne théorie de la gravitation quantique.

Une autre caractéristique remarquable de la théorie des cordes est qu’elle fait une prédiction précise sur les types de particules qui doivent exister dans la nature pour qu’une corde élémentaire puisse représenter des particules de force (photon, gluon, etc.) autant que des particules de matière (électron, quarks, etc.). Grosso modo, pour chaque type de particule de force, il doit y avoir un type de particule de matière ayant certaines propriétés, et vice versa. Par exemple, pour correspondre au photon, il doit y avoir une particule de matière appelée photino; pour correspondre à l’électron, il doit y avoir une particule de force appelée sélectron. Cette relation hypothétique entre particules de force et de matière s’appelle supersymétrie, d’où le nom de théorie des supercordes (nom que l’on donne parfois à la théorie des cordes). Si aucune preuve expérimentale n’a encore permis de confirmer l’existence de telles particules partenaires supersymétriques, ce pourrait être tout simplement parce que ces particules sont trop massives pour avoir été produites (et observées) jusqu’à maintenant dans des accélérateurs de particules. C’est l’une des raisons pour lesquelles le Grand collisionneur de hadrons (LHC) récemment construit au CERN suscite tant d’enthousiasme. On espère découvrir des preuves de la supersymétrie, ce qui renforcerait la théorie des cordes.

La propriété la plus stupéfiante est peut-être le fait que, dans la théorie des cordes, les physiciens ont trouvé une théorie de la nature assez profonde pour pouvoir faire une prédiction sur quelque chose d’absolument fondamental dans la structure de l’univers. Ce n’est pas seulement une prédiction sur des choses qui peuvent exister ou non dans l’espace-temps, mais une prédiction fondamentale sur l’espace-temps lui-même, à savoir le nombre de dimensions qu’il doit avoir. Cela est sans précédent. Il faut ajouter que cette prédiction est intimement liée à la nature quantique de l’univers. Par contraste, la théorie de la relativité générale d’Einstein — notre meilleure théorie non quantique de l’espace, du temps et de la gravitation — fonctionne tout aussi bien avec 4 qu’avec 24 dimensions d’espace-temps. Elle n’a aucune préférence. Pour sa part, la théorie des cordes ne fonctionne qu’avec un nombre déterminé de dimensions d’espace-temps, c’est-à-dire 10 (ou 11, selon la manière de voir les choses). L’important n’est pas que cette prédiction du nombre de dimensions d’espace-temps soit exacte ou non. C’est plutôt qu’elle suscite l’espoir d’une possible description mathématique de la nature ayant un pouvoir prédicteur suffisant pour être qualifiée de « théorie du tout ».

Où sont les dimensions supplémentaires?

Pour ce qui est de l’exactitude de cette prédiction, c’est une autre question. En apparence , la prédiction est totalement erronée. Il n’y a « évidemment » que 3 dimensions spatiales, et non 9. Mais la situation est beaucoup plus subtile (et exquise) que cela. Il se pourrait que les 6 dimensions supplémentaires soient assez « petites » pour avoir échappé à notre attention. Pour illustrer comment cela pourrait être possible, imaginons qu’au lieu d’être des êtres tridimensionnels (3D) vivant dans un espace 3D, nous soyons des êtres 2D vivant dans un espace 2D, comme le montre la figure ci-dessous. Tous nos mouvements seraient limités vers le haut ou vers le bas, vers la gauche ou vers la droite; il n’y aurait aucun mouvement vers l’avant ou vers l’arrière. Supposons ensuite qu’un jour, un magicien ajoute une 3e dimension à notre monde en l’« épaississant » légèrement dans la direction avant-arrière. Si la liberté de mouvements supplémentaire ainsi acquise était assez petite par rapport aux dimensions de notre corps, notre nouvelle liberté serait imperceptible par nos sens. Les théoriciens des cordes ont en tête une grandeur de l’ordre de 10–35 m, ce qui est nettement « assez petit », même pour les expériences les plus précises que nous puissions imaginer!

Un bonhomme allumette montre les quatre directions possibles pour un être bidimensionnel vivant dans un espace bidimensionnel
L’image de gauche montre un être bidimensionnel (2D) vivant dans un espace 2D.
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up
vers le haut
right
vers la droite
left
vers la gauche
down
vers le bas
backward
vers l’arrière
forward
vers l’avant

 

De plus, ces dimensions spatiales supplémentaires seraient « enroulées ». Dans l’exemple précédent, il n’y a qu’une dimension supplémentaire, celle d’un mouvement vers l’avant ou vers l’arrière sur une courte distance. Si l’on représente cette dimension du mouvement par un court segment de droite, on peut enrouler celui-ci en reliant ses 2 extrémités pour former un cercle. Dans ce cas, tout mouvement vers l’avant, au lieu d’atteindre une limite — une « fin de l’espace » — a pour effet de rentrer dans le même espace à partir de l’autre extrémité. L’espace est de taille finie, mais sans qu’on n’atteigne une limite! Dans le cas de 2 dimensions supplémentaires, on commence avec un carré bidimensionnel au lieu d’un segment unidimensionnel (voir la figure ci-dessous). En reliant les bords avant et arrière, on obtient un cylindre; puis en reliant les bords gauche et droit, on obtient un tore (semblable à un beigne).

Un papier plat roulé en forme de tube puis formé en beignet montre un espace bidimensionnel se transformant en tore.
Enroulement d’un espace 2D pour former un tore

Là encore, le résultat est un espace fini mais sans limite. Dans le cas de 6 dimensions supplémentaires, il y a de nombreuses manières de les enrouler; la figure ci-dessous tente d’en illustrer la complexité potentielle.

Dessin d'un « collecteur Calabi-Yau » en 6 dimensions, qui ressemble à un ruban plié et tordu en une boule entrelacée
Projection en 3D d’une « variété de Calabi-Yau » 6D

En plus des oscillations de cordes élémentaires présentées plus haut, la manière précise dont ces dimensions supplémentaires sont enroulées affecte les prédictions de la théorie des cordes concernant les types et les propriétés des particules élémentaires que nous observons dans notre espace-temps à 4 dimensions. Sur une note positive, cela accroît la possibilité qu’au moins une de ces manières se traduise par les propriétés des particules élémentaires que nous connaissons. Le problème est que la théorie des cordes ne semble pas accorder de préférence à une modalité d’enroulement plutôt qu’à une autre. Autrement dit, la nature a le choix entre de nombreuses possibilités, mais il faudrait aller au-delà de la théorie des cordes pour expliquer pourquoi elle a choisi une possibilité plutôt qu’une autre.

À l’autre extrême, ces 6 dimensions supplémentaires pourraient être « grandes ». Notre espace 3D pourrait flotter dans un espace 9D, comme une feuille de papier à 2 dimensions flotte dans notre espace à 3 dimensions. De fait, la théorie des cordes prédit l’existence d’objets étendus, appelés branes (abrégé de membranes), dont le nombre de dimensions peut être de 0 (comme les particules), 1 (comme les cordes élémentaires), ou tout autre nombre jusqu’au nombre de dimensions spatiales lui-même. Notre monde pourrait être une brane à 3 dimensions, et ce que nous détectons comme des particules élémentaires ponctuelles pourrait être les extrémités de cordes ouvertes aboutissant dans la brane. Voici une représentation schématique de notre univers branaire (illustré comme une surface bidimensionnelle) flottant dans un espace ayant un plus grand nombre de dimensions (3), avec une autre brane située juste derrière.

Les cordes joignant deux mondes de branes bidimensionnels créent des particules élémentaires ponctuelles où elles aboutissent dans chaque brane.
Scénario d’un « univers branaire » montrant notre univers comme une brane à 2 dimensions flottant près d’une autre brane à 2 dimensions dans un espace comportant un plus grand nombre de dimensions. Les particules élémentaires ponctuelles que nous voyons pourraient être les extrémités de cordes ouvertes qui aboutissent dans notre brane.

Pourrait-on envisager la possibilité de détecter de telles grandes dimensions supplémentaires? Par définition, nous sommes — de même que tous nos instruments de mesure — confinés dans notre brane à 3 dimensions, de sorte que la réponse semble être non. Mais la réponse pourrait être oui. Une hypothèse est que la gravité, qui a toujours semblé être « extérieure » au monde de la physique des particules, pourrait être littéralement extérieure à notre univers. Contrairement aux 3 autres forces fondamentales, qui, tout comme la matière, sont confinées à notre brane, la gravité pourrait exister dans l’espace comportant davantage de dimensions, de telle sorte qu’une brane voisine pourrait affecter notre univers branaire par le truchement de la gravité. Notre expérience de la gravité est peut-être l’analogue des ombres dans la célèbre allégorie de la caverne de Platon. Ce qui est remarquable, c’est qu’il pourrait y avoir une signature mesurable de ce scénario fantastique, et des recherches expérimentales sont actuellement en cours en ce sens!

Dans une autre démonstration spectaculaire de son potentiel, la théorie des cordes a mené à une possible réalisation concrète du principe holographique, appelée conjecture de Maldacena. Proposée par Gerard 't Hooft et Leonard Susskind, l’idée de base du principe holographique est la suivante : pour que la physique quantique et la théorie de la gravitation d’Einstein puissent coexister dans notre univers, il faut qu’il y ait beaucoup moins d’information sur ce qui se passe physiquement dans tout volume tridimensionnel d’espace (p. ex. objets se déplaçant d’une certaine manière) que ce à quoi nous nous attendions auparavant. En réalité, la quantité d’information ne peut pas excéder ce que nous attendrions d’une réalité physique existant dans une surface bidimensionnelle — la surface bordant le volume en question. Même si c’est un peu plus subtil, c’est néanmoins très analogue à la manière dont l'information d’une scène à 3 dimensions peut être stockée dans un hologramme à 2 dimensions. Dans le contexte de la théorie des cordes, Juan Maldacena a découvert des liens qui sont précisément de ce type entre certaines théories physiques dans des nombres différents de dimensions.

En résumé

La théorie des cordes est à tout le moins une théorie mathématiquement riche qui a eu des répercussions considérables dans de nombreux domaines des mathématiques. Par exemple, l’étude des différentes manières dont les dimensions supplémentaires peuvent être enroulées a donné de nouvelles idées importantes sur des types de géométrie exotiques très intéressantes pour de purs mathématiciens.

C’est aussi une théorie potentiellement très riche sur le plan physique. Elle touche en profondeur de nombreux aspects de l’univers, allant des composantes élémentaires de la matière et du rayonnement aux dimensions de l’espace-temps, en passant par la nature quantique de la gravité et même le principe holographique.

Un panneau gris « hologramme » avec des lignes et des taches à peine détectables à côté d'une tête humaine éclairée par une lumière laser.
On peut produire un hologramme (à gauche) en éclairant un sujet tridimensionnel avec une lumière laser

Mais l’élégance mathématique et les idées physiques captivantes, aussi profondes puissent-elles être, ne suffisent pas. Pour être fructueuse, la théorie des cordes doit correspondre à des observations et à des prédictions vérifiables. Comme pour de nombreuses autres théories de la gravitation quantique, la plupart de ses prédictions sont hors de portée des expériences actuelles. Cependant, la théorie des cordes est jeune. Les chercheurs essaient encore de comprendre diverses manières de vérifier si elle correspond à la réalité. Une avenue prometteuse de recherche qui pourrait produire des prédictions vérifiables consiste à relier la théorie des cordes à la cosmologie. À titre d’exemple, des chercheurs essaient de voir si la théorie des cordes pourrait expliquer l’inflation cosmique de l’univers primitif et, si oui, quelles signatures observables celle-ci aurait pu laisser.

Si un jour la théorie des cordes est confirmée par des expériences, les scientifiques auront sans doute trouvé le « Saint Graal de la physique » : une théorie unique qui décrit la nature de l’univers à son niveau le plus fondamental.

Pour vous renseigner davantage sur la théorie des cordes à l’Institut Périmètre et sur les chercheurs qui travaillent dans ce domaine, veuillez cliquer ici.

Pour en savoir plus

Ces exposés multimédias de chercheurs de l’Institut Périmètre et de scientifiques invités ont été présentés (en anglais seulement) à des élèves et à des enseignants pendant une école d’été ISSYP ou un atelier EinsteinPlus de l’Institut Périmètre, ou à d’autres occasions.