La course à obstacles de verre

Rowan Thomson, ancienne de l’Institut Périmètre, explique pourquoi l’équité, la diversité et l’inclusion contribuent à l’excellence scientifique. Les citations de cet article sont traduites d’un exposé qu’elle a fait en anglais.

Appelons-cela une course à obstacles de verre. Appelons cela une montagne pleine de taupinières. Appelons cela une inégalité des sexes qu’il faudra plus de 250 ans à corriger au rythme actuel. Le manque de diversité dans les corps professoraux de physique peut être décrit de bien des manières, et Rowan Thomson ne se prive pas de toutes les employer si cela peut motiver les gens à changer les choses.

« La diversité en physique est un défi permanent, mais il est rare que l’on en discute ouvertement », a t elle déclaré aux professeurs, aux membres du personnel et aux étudiants qui assistaient récemment à un atelier de l’Institut Périmètre. « Vous devez participer à la discussion, mais vous devez surtout agir. »

Ancienne de l’Institut Périmètre, Rowan Thomson est maintenant doyenne adjointe, Équité, Diversité et Inclusion, à l’Université Carleton. Elle a étudié la théorie des cordes à l’Institut Périmètre, mais à l’Université Carleton, elle fait des recherches sur les interactions entre rayonnement et matière — question directement liée à des traitements du cancer. Elle dit avoir personnellement vécu des problèmes systémiques ayant trait à la diversité avant de trouver une manière de s’y attaquer dans sa vie professionnelle.

« En 2001, alors que j’étais étudiante de 1er cycle, dit-elle, le premier jour de mon emploi d’été au Conseil national de recherches, je me rappelle m’être dit en entrant dans la salle à manger : ‘Mon Dieu, tous les scientifiques sont des hommes.’ Il n’y avait aucune physicienne expérimentée pour me servir de modèle. »

Elle se demande encore si l’inconfort de ce déséquilibre n’a pas contribué plus tard à ce qu’elle change de domaine.

« Des femmes parlent d’un ‘sentiment d’imposture’. Pour ma part, je n’aurais pas employé ce terme, dit-elle. Mais j’ai changé de domaine parce que j’avais l’impression que ça n’allait pas comme je voulais en physique théorique. J’ai plutôt choisi de faire un postdoctorat en physique médicale. »

Rowan Thomson, doyenne adjointe, Équité, Diversité et Inclusion, à l’Université Carleton[/caption]

Maintenant, en plus de poursuivre ses recherches sur le rayonnement, elle étudie l’inégalité des sexes en physique et anime des ateliers sur les manières de résoudre le problème. Faisant référence aux « plafonds de verre », la « course à obstacles de verre » décrit toutes les embûches qui se dressent devant les femmes qui veulent faire carrière en physique. Chacun de ces obstacles — une taupinière, et non une montagne — peut être surmonté. Mais ces taupinières s’empilent les unes sur les autres, formant parfois un amoncellement infranchissable. Cet effet cumulatif contribue à expliquer la proportion toujours faible de femmes en physique.

Pour les filles qui aiment les sciences, le chemin vers une carrière en physique devient rapidement escarpé.

« Imaginez une petite fille qui, pendant ses premières années d’école, dit qu’elle aime les sciences et les mathématiques, dit Mme Thomson. Elle fait immédiatement face à des stéréotypes sexistes et à des préjugés, souvent inconscients, qui orientent ses décisions. »

Les filles grandissent en ayant peu de modèles et de mentors féminins en physique. Si elles surmontent cet obstacle, elles font souvent l’expérience d’une culture inconfortable et sexiste en milieu de travail, de l’instabilité en début de carrière, de préjugés contre elles dans les processus d’embauche et d’attribution de subventions, et sont moins souvent invitées comme conférencières. Elles ont tendance à avoir des lettres de référence moins élogieuses que les hommes aux réalisations équivalentes.

Autres obstacles, les femmes sont moins bien rémunérées que les hommes et elles sont sous-représentées dans l’attribution des prix, Nobel ou autres. On a tendance à ne pas les considérer comme des chefs de file dans leur domaine, peu importe leurs réalisations, leur expertise ou leur autorité.

Et en plus, les années cruciales pour leur plan de carrière, où l’on s’attend à ce qu’elles soient le plus innovatrices et productives, coïncident avec la période où de nombreuses femmes envisagent d’avoir des enfants.

« On voit encore cette attitude vraiment étrange selon laquelle un congé de maternité est une sorte d’année sabbatique, dit Mme Thomson. Ce n’est pourtant pas le cas. » Pendant son propre congé de maternité, elle a subi de telles pressions qu’elle a eu de la difficulté à se concentrer sur sa vie de nouvelle mère sans faire dérailler sa carrière. « Vos étudiants diplômés ne disparaissent pas simplement parce que vous êtes en congé de maternité. Et vous devez encore être concurrentielle, vous devez quand même préparer votre prochaine demande de subvention. »

Cette course à obstacles, les embûches qui se succèdent, l’impossibilité de prendre congé, le fait d’être négligées et sous-payées, amènent au bout du compte bien des femmes à s’orienter vers un domaine autre que la physique.

« Ces désavantages s’amplifient avec le temps », dit Mme Thomson.

Selon elle, combattre l’exclusion systémique est non seulement une question de droits de la personne et de justice sociale, mais aussi un moyen de faire progresser la physique.

« Nous devons réfléchir à cet aspect, dit-elle. L’équité, la diversité et l’inclusion permettent d’atteindre l'excellence en recherche. La nécessité de favoriser l’excellence par la diversité des points de vue et la valeur scientifique de la réalisation de tout le potentiel humain ne font aucun doute. »

De nombreuses institutions universitaires investissent de plus en plus dans des initiatives visant à corriger ce déséquilibre — comme la création par l’Université Carleton du poste qu’occupe Rowan Thomson et les initiatives Emmy-Noether de l’Institut Périmètre —, mais Mme Thomson a fait remarquer qu’à ce rythme, la physique parviendra à 5 % près à la parité des sexes dans 258 ans. Et cela ne tient pas compte de l’exclusion systémique des personnes racisées et d’autres groupes sous-représentés en physique. Une personne qui appartient à plus d’un de ces groupes fait face à des obstacles qui se renforcent mutuellement.

Mme Thomson reconnaît que même les personnes qui souhaitent sincèrement des changements peuvent être intimidées par la complexité et l’ampleur des problèmes.

« Il n’est pas nécessaire de gravir toute la montagne pour changer les choses », dit-elle. Les obstacles peuvent être éliminés comme ils sont apparus, un à la fois. « Nous avons besoin de modèles accessibles et visibles pour les étudiantes et les chercheuses en formation. Les collègues doivent être traités comme des alliés, sans discrimination. En ce qui concerne les préjugés implicites, les gens doivent en être conscients et s’efforcer de faire preuve d’humilité, de respect et de responsabilité.

« Les comités d’embauche et d’attribution de subventions doivent adopter des critères de mérite et d’évaluation bien définis avant de commencer à prendre des décisions. Les membres de ces comités doivent collectivement s’efforcer de déceler et d’atténuer les préjugés. Nous enseignons à la prochaine génération de parents. Si nous incluons les principes d’équité, de diversité et d’inclusion dans notre enseignement, ces futurs parents s’opposeront aux préjugés sexistes. »

La tâche est immense. Mais Rowan Thomson a rappelé aux participants à l’atelier que les scientifiques sont habitués à relever des défis imposants et complexes.

« L’Institut Périmètre s’attaque à certains des problèmes les plus ardus de la physique théorique. Je travaille sur des traitements contre le cancer, dit-elle. Nous travaillons constamment sur des sujets difficiles. » Pour gravir la montagne, il faut établir les priorités et maintenir le cap.

« Travaillons ensemble. Chacun a sa liste de choses à faire en physique. Mettons l’équité, la diversité et l'inclusion en tête de liste. Et ensuite, occupons-nous de gravitation quantique, de théorie unificatrice ou de tout autre sujet. Chaque physicien peut mettre la main à la pâte. Nous devons persévérer. »

À propos de l’IP

L'Institut Périmètre est le plus grand centre de recherche en physique théorique au monde. Fondé en 1999, cet institut indépendant vise à favoriser les percées dans la compréhension fondamentale de notre univers, des plus infimes particules au cosmos tout entier. Les recherches effectuées à l’Institut Périmètre reposent sur l'idée que la science fondamentale fait progresser le savoir humain et catalyse l'innovation, et que la physique théorique d'aujourd'hui est la technologie de demain. Situé dans la région de Waterloo, cet établissement sans but lucratif met de l'avant un partenariat public-privé unique en son genre avec entre autres les gouvernements de l'Ontario et du Canada. Il facilite la recherche de pointe, forme la prochaine génération de pionniers de la science et communique le pouvoir de la physique grâce à des programmes primés d'éducation et de vulgarisation.

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