La science (étonnamment) complexe de la trappe des rats musqués

account_circle Par Roger Melko
Exit le chat de Schrödinger. Roger Melko, professeur à l’Institut Périmètre, a une manière nouvelle et toute canadienne d’explorer la physique quantique.

Même si je ne m’en rendais pas compte à l’époque, j’ai commencé à réfléchir à la mécanique quantique en trappant des rats musqués à l’âge de 10 ans. J’ai grandi à The Pas, au Manitoba. Tous les samedis pendant mon enfance, mon père faisait le plein de sa motoneige, y attachait un vieux traîneau rouge plein de collets, de pièges et d’autres effets, et nous emmenait — nous, les enfants — dans les marais gelés à la recherche de rats musqués.

Comme le savent beaucoup de gens des régions nordiques, les rats musqués logent dans des dômes de roseaux, qui émergent des marais gelés, tels de minuscules huttes de castor. Ils entrent dans leur demeure et en sortent par une ouverture située à la base, en plongeant dans l’eau à l’abri de prédateurs tels que les visons et les renards.

Il faut du talent et de la patience pour trapper le rat musqué. Comme mon père nous l’a enseigné, il faut pratiquer avec soin à la hache une ouverture sur le côté de la hutte, installer le piège (ce qui n’est pas facile à mains nues par −30 degrés), puis refermer l’ouverture en la bourrant de neige et d’herbe afin que l’accès en provenance de l’eau ne gèle pas. Avec un peu de chance, lorsque le rat musqué rentre chez lui, il ne détecte aucune perturbation et pénètre dans le piège.

Lorsque nous retournions voir les pièges le lendemain, je regardais avidement, à peine capable de contenir mon excitation, alors que mon père faisait des ouvertures pour regarder à l’intérieur des huttes de roseaux. De l’extérieur, impossible de savoir : aucune perturbation interne n’était détectable autour des pièges à travers les épaisses parois de roseaux. Les pièges étaient généralement vides, mais de temps à autre mon père sortait d’une hutte un rat musqué gelé. Nous, les enfants, fêtions alors bruyamment, en prévision d’un après-midi douillet d’écorchage des animaux et d’étirement des peaux près du poêle à bois, tout en régalant notre mère de notre récit autour d’un chocolat chaud.

Parfois je pensais que, si je le voulais assez fort, l’univers déciderait soudain que nous méritions une prise. Pour tout dire, comme ni rien ni personne (sauf peut-être le rat musqué chanceux ou malchanceux) ne connaissait le résultat avant que la hutte ne soit ouverte, quand exactement l’univers prenait-il la décision? Si je le voulais assez fort, pourrais-je changer l’issue de l’opération avant que mon père ne mette la main dans la hutte?

Voici le paradoxe du « rat musqué de Melko » : tant que nous n’avions pas forcé sa hutte, le rat musqué pouvait être vivant ou mort. Il était donc en quelque sorte les deux à la fois.

En grandissant, j’en suis venu à comprendre que le rat musqué était pris au piège (ou non) à un moment donné au cours de la nuit. C’est du moins ce que je pensais, jusqu’à ce que j’apprenne la notion de superposition quantique dans un cours de physique de 1er cycle universitaire, ce qui m’a donné une autre manière d’aborder les possibilités.

Il se trouve que les lois fondamentales de la physique quantique, qui régissent de minuscules objets comme les atomes et les électrons, peuvent permettre à ces objets d’exister dans la superposition de 2 états simultanés. Je me demandais si les rats musqués pouvaient faire de même, étant à la fois libres et pris au piège au milieu de la nuit. Un électron ne choisit son état que lorsque l’on en effectue une « mesure ». Peut-être, me demandais-je, l’ouverture de la hutte de roseau constitue une « mesure » qui décide du sort de l’animal?

J’ai découvert que ce paradoxe de l’animal mort ou vivant avait un nom, celui du « chat de Schrödinger », à propos d’un chat qui est à la fois mort et vivant dans une boîte. (Cela dit, les circonstances entourant le sort du chat me paraissent beaucoup moins plausibles que pour le rat musqué.)

Je fais maintenant de la recherche sur la mécanique quantique, les simulations informatiques et la théorie de l’information. Le paradoxe du rat musqué n’est que l’une des nombreuses idées contre-intuitives avec lesquelles je jongle tous les jours dans le monde déroutant de la mécanique quantique.

Comme physicien théoricien à l’emploi de l’Institut Périmètre et de l’Université de Waterloo, je voyage dans le monde pour travailler avec d’autres chercheurs à la résolution de problèmes dans des domaines tels que la supraconductivité, les trous noirs, l’intelligence artificielle et les ordinateurs quantiques. Comme professeur, j’enseigne à une jeune génération de physiciens tout ce que je trouve digne d’intérêt dans mon parcours, espérant que mes étudiants verront un univers aussi grand et fascinant que celui qui apparaît à mes yeux.

Oui, la voie du succès est pavée de travail acharné et d’échecs répétés, mais la curiosité constitue une grande force. N’ayez pas peur d’explorer, de poser des questions, de lire des ouvrages difficiles et d’avoir des idées folles. En ayant grandi dans le Nord, j’ai appris qu’avec la science on peut venir de n’importe où et aller n’importe où.

Et n’oubliez pas de passer de temps en temps à la maison pour déguster le ragoût de rat musqué de ma mère.

Roger Melko est professeur associé à l’Institut Périmètre. Une version de cet article a d’abord été publiée en anglais en avril 2017 dans le Winnipeg Free Press.

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