Le cas curieux des théorèmes de Noether
C’est difficile de dire dans quel domaine de la science les théorèmes d’Emmy Noether, formulés il y a plus d’un siècle, ont eu le plus de répercussions.
« Ils sont maintenant fondamentaux dans tous les domaines de la science » [traduction], déclare Yvette Kosmann-Schwarzbach, professeure de mathématiques à l’École Polytechnique de Paris. Et malgré leurs vastes domaines d’application et leur reconnaissance initiale par des contemporains célèbres tels que Hilbert, Klein et Einstein, les théorèmes de Noether sont restés dans l’ombre pendant près de 50 ans après leur publication en 1918.
Mme Kosmann-Schwarzbach contribue à remédier à cela dans son ouvrage Les théorèmes de Noether : Invariance et lois de conservation au XXe siècle, d’abord publié en français en 2006 aux Éditions de l’École polytechnique, puis en anglais chez Springer en 2011. En plus des répercussions des travaux de Noether en mathématiques et en physique, ce livre aborde aussi leur contexte historique. L’auteure a présenté un aperçu de ses constatations lors d’un colloque tenu à l’Institut Périmètre en décembre 2018.
En tant que mathématicienne, Yvette Kosmann-Schwarzbach s’est intéressée à Noether pour la première fois à la fin des années 1980. En écrivant un court article sur les travaux d’Emmy Noether, elle a appris que Noether avait découvert non seulement un, mais deux théorèmes révolutionnaires. Plus tard, l’un des étudiants de Mme Kosmann-Schwarzbach lui a demandé un sujet de travail pour ses études. Elle lui a suggéré de traduire en français l’article que Noether avait écrit en allemand, sa langue maternelle. Disposant d’une traduction complète, Mme Kosmann-Schwarzbach a pu se plonger à fond dans les travaux de Noether.
Elle a constaté que les résultats de Noether étaient brillants et avaient de nombreuses applications. En bref, explique-t-elle, Noether a démontré que tout système qui possède une symétrie [1] (et les symétries sont plutôt omniprésentes dans la nature) possède aussi une grandeur qui est conservée.
Pourquoi ces résultats sont-ils alors passés inaperçus pendant si longtemps? « C’est une bonne question, et je pense que nous ne connaissons pas la réponse, dit Mme Kosmann-Schwarzbach. Nous trouvons des traces de la diffusion des travaux de Noether en Union soviétique, ce qui est un peu surprenant, mais nous ne savons pas pourquoi ils ont été ignorés pendant si longtemps. » [traduction] Elle pense que les scientifiques d’Europe occidentale et d’Amérique n’ont peut-être pas jugé bon de lire un article écrit en allemand. Certains peuvent ne pas avoir voulu citer une femme ou une personne juive.
Manque de reconnaissance ne signifie pas pour autant manque d’importance. « Ce qui est intéressant, c’est que ses travaux ont été en fait redécouverts plusieurs fois, ajoute-t-elle. Cela signifie que ses idées et ses résultats sont fondamentaux, naturels et utiles. » [traduction]
Mme Kosmann-Schwarzbach hésite à attribuer la disparition temporaire des théorèmes au fait que Noether était une femme. Par contre, selon elle, la vie de Noether aurait été différente si elle avait été un homme — ne serait-ce que parce qu’elle aurait eu moins de difficulté à obtenir des postes rémunérés. Mais elle souligne que les travaux subséquents de Noether, en algèbre, ont été largement diffusés et réputés.
« Elle a fait une communication en séance plénière au Congrès international des mathématiciens [en 1932]. Je pense donc qu’elle n’a pas subi de discrimination en tant que femme quant à l’importance et aux répercussions de ses travaux. » [traduction]
Aujourd’hui, Yvette Kosmann-Schwarzbach dit que les femmes scientifiques font face à beaucoup moins de discrimination et ont beaucoup plus de possibilités. Mais il y a toujours place à l’amélioration : « Bien des personnes qui pourraient être des scientifiques ne le sont pas, et beaucoup d’entre elles sont des femmes. » [traduction]
Visionnez l’exposé de Mme Kosmann-Schwarzbach à l’Institut Périmètre sur les 2 théorèmes d’Emmy Noether 100 ans plus tard.
[1] Caractéristique d’un système qui demeure inchangée par une transformation. Mme Kosmann-Schwarzbach donne l’exemple d’un arbre qui tourne autour de son axe (le tronc) : un arbre symétrique conserverait le même aspect si on le faisait tourner autour de son tronc.
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