SNO et SNOLAB, des succès canadiens souterrains en science fondamentale

account_circle Par Perimeter Institute
Le laboratoire SNOLAB met au point des expériences révolutionnaires à la jonction de la physique des particules et de l’astrophysique. Arthur B. McDonald, lauréat d’un prix Nobel, raconte comment ce laboratoire s’est développé d’une manière bien canadienne, avec beaucoup de collaboration, un engagement envers le recyclage et des prêts amicaux d’énormes quantités d’eau lourde.

On appelait cela le « problème des neutrinos solaires » : depuis les années 1960, on détectait trop peu de neutrinos en provenance du Soleil par rapport aux calculs des processus de fusion nucléaire qui se déroulent en son sein.

Mise sur pied pour résoudre cette énigme, l’équipe du SNO (Sudbury Neutrino Observatory – Observatoire de neutrinos de Sudbury) a commencé ses travaux de conception en 1984. Grâce à une étroite collaboration entre les milieux industriel et universitaire, le Canada a installé à 2 kilomètres sous terre, près de Sudbury, en Ontario, un laboratoire scientifique de classe mondiale utilisant 1 000 tonnes d’eau lourde provenant des réserves du pays.

Cette équipe internationale comptant des membres du Canada, des États-Unis, du Royaume-Uni et du Portugal a fini par démontrer hors de tout doute que les deux tiers des neutrinos électroniques émis par le noyau solaire se transforment en neutrinos mu ou tau avant d’atteindre la Terre.

Ces conclusions ont confirmé la grande exactitude des calculs du modèle solaire. Elles ont aussi établi de nouvelles propriétés des neutrinos qui impliquaient des extensions au modèle standard des particules élémentaires, modèle par ailleurs couronné de succès dans tous les autres aspects pour lesquels il a été testé. Ces travaux ont été récompensés par le prix Nobel de physique en 2015 et par le Prix du progrès scientifique (Breakthrough Prize) de physique fondamentale en 2016.

Le succès du SNO tient à de nombreux facteurs qui montrent clairement comment le Canada peut faire sa marque à l’échelle internationale en science et technologie. Le premier facteur-clé a été la collaboration. Ce projet a nécessité une bonne collaboration de la part d’entreprises canadiennes : INCO, maintenant VALE, a fourni l’emplacement à grande profondeur dans l’une de ses mines les plus productives; AECL et Ontario Power Generation ont collaboré au prêt d’une valeur de 300 millions de dollars d’eau lourde provenant des réserves canadiennes.

Arthur B. McDonald, membre du conseil d’administration de l’Institut Périmètre, fête l’obtention du prix Nobel dont il a été l’un des lauréats en 2015.[/caption]

Il a fallu une intense collaboration scientifique de la part d’universités et d’instituts de recherche, dont 9 du Canada et 12 de l’étranger. En plus d’appareils électroniques construits sur mesure, de systèmes d’acquisition de données et de dispositifs de purification d’eau, les strictes exigences scientifiques du projet ont nécessité des innovations comportant des défis techniques.

Le détecteur avait la taille d’un bâtiment de 10 étages, ce qui a exigé l’excavation d’une cavité stable plus vaste que ce qui avait jamais été fait à une telle profondeur. Les renseignements géotechniques obtenus ont permis de faire de l’exploitation minière à des profondeurs beaucoup plus grandes et de mettre sur pied d’autres laboratoires internationaux souterrains.

Un récipient en acrylique transparent de 12 mètres de diamètre et aux parois de 5 centimètres d’épaisseur, destiné à contenir l’eau lourde, a été construit sur place par l’assemblage de 120 pièces suffisamment petites pour entrer dans l’ascenseur de la mine. Les leçons tirées de cette expérience permettent de construire d’énormes aquariums dans le monde entier.

Mais, par-dessus tout, les 273 auteurs membres de l’équipe du SNO comprenaient plus de 200 étudiants diplômés et postdoctorants qui ont vécu ensemble une véritable découverte scientifique et qui mettent à profit cette expérience dans la recherche universitaire, l’enseignement, la recherche industrielle et médicale, les affaires et la finance.

En 2003, une autre équipe de scientifiques canadiens, dirigée par David Sinclair, de l’Université Carleton, a répondu à un appel de propositions de la Fondation canadienne pour l’innovation concernant la mise sur pied de laboratoires canadiens susceptibles d’attirer des scientifiques étrangers pour travailler à la jonction de la science et de la technologie. Mettant à profit les leçons tirées du SNO, y compris l'expérience géotechnique, l’aire de laboratoire a été multipliée par 3, fournissant ainsi de l’espace pour de nombreuses nouvelles expériences sur les propriétés des neutrinos et sur la détection directe de particules de matière sombre, dont on croit qu’elle constitue environ 25 % de notre univers. Ce laboratoire a permis à des chercheurs canadiens et étrangers de réaliser beaucoup d’expériences en collaboration.

Ces expériences comprennent le projet PICO de détection de matière sombre, qui vient de donner lieu à la publication d’une limite concernant l’interaction de particules de matière sombre par couplage dépendant du spin. Ce projet fait appel à la formation de bulles dans un liquide surchauffé pour indiquer la présence de particules de matière sombre diffusées à partir de noyaux de fluor, tout en supprimant les interactions avec d’autres formes de radioactivité.

Autre expérience de détection de matière sombre, le projet DEAP — qui réunit plus de 65 chercheurs de 10 institutions du Canada, du Royaume-Uni et du Mexique — fonctionne depuis novembre 2016. Avec plus de 3 tonnes d’argon liquide, cette expérience fait appel à une technique différente de celle de PICO pour supprimer les interférences d’autres particules et obtenir une sensibilité supérieure aux limites actuellement connues des interactions indépendantes du spin. Pour faire la distinction avec de telles interférences, l’expérience exploite le fait que les reculs nucléaires provoqués par la matière sombre produisent des émissions de lumière beaucoup plus courtes que d’autres formes de radioactivité.

Ces expériences de détection directe de particules de matière sombre produites dans l’univers primitif se situent dans une gamme de sensibilité également sondée dans le Grand collisionneur de hadrons, où l’on tente pour la première fois de produire sur la Terre des particules massives de matière sombre.

Les expériences SuperCDMS, NEWS et DAMIC font appel à d’autres techniques pour distinguer les bruits de fond et procureront d’ici quelques années la sensibilité voulue pour détecter des particules de matière sombre de masse plus faible.

Pour donner 2 très bons exemples de recyclage — un autre atout du Canada —, les détecteurs de neutrons du SNO ont été modifiés pour détecter dans l’observatoire HALO des neutrinos produits par des supernovas, et le détecteur de neutrinos du SNO a été transformé pour donner SNO+, à moins de 20 % du coût du détecteur d’origine. SNO+ permet de détecter, d’une manière compétitive à l’échelle internationale, des doubles désintégrations bêta sans neutrino, à l’aide d’un composé organique de tellure dissout dans un scintillateur liquide qui remplace l’eau lourde. Ces mesures sont sensibles aux propriétés de symétrie des neutrinos et potentiellement à la valeur absolue de leur masse. Cet important domaine de recherche a des répercussions sur la connaissance théorique de ce qui est arrivé à toute l’antimatière produite dans l’univers primitif ainsi que la connaissance des effets des neutrinos sur la formation de structures au fur et à mesure de l’évolution de l’univers.

Nos travaux expérimentaux dans ces domaines ont beaucoup de points communs avec les travaux en physique des particules et en cosmologie de l’Institut Périmètre. Nous sommes très chanceux au Canada d’avoir de telles possibilités de collaboration. Et nous sommes très heureux d’avoir reçu récemment du Fonds d’excellence en recherche Apogée Canada une subvention de 63 millions de dollars sur 7 ans pour mettre sur pied le CPARC (Canadian Particle Astrophysics Research Centre – Centre canadien de recherche en astrophysique des particules) avec 13 partenaires, dont l’Institut Périmètre. Le CPARC compte une chaire de recherche du Canada de niveau 1 en astrophysique des particules et un professeur adjoint, qui seront tous deux à l’Université Queen’s et seront associés à l’Institut Périmètre.

Nous sommes également très heureux de collaborer à des activités de diffusion des connaissances de l’Institut Périmètre, notamment par la participation de SNOLAB à l’École d’été ISSYP de l’Institut ainsi qu’à l’initiative Innovation150 qu’il dirige.

Nous espérons que les succès du SNO, du laboratoire SNOLAB et de l’Institut Périmètre sauront inspirer de jeunes Canadiens en cette année du 150e anniversaire de la Confédération. Des recherches de pointe de classe mondiale aux frontières de la physique peuvent se poursuivre au Canada et continueront de croître grâce à la participation de jeunes scientifiques.

Arthur B. McDonald est professeur émérite à l’Université Queen’s et membre du conseil d’administration de l’Institut Périmètre. Il dirige depuis 1989 l’équipe scientifique de l’Observatoire de neutrinos de Sudbury.

À propos de l’IP

L'Institut Périmètre est le plus grand centre de recherche en physique théorique au monde. Fondé en 1999, cet institut indépendant vise à favoriser les percées dans la compréhension fondamentale de notre univers, des plus infimes particules au cosmos tout entier. Les recherches effectuées à l’Institut Périmètre reposent sur l'idée que la science fondamentale fait progresser le savoir humain et catalyse l'innovation, et que la physique théorique d'aujourd'hui est la technologie de demain. Situé dans la région de Waterloo, cet établissement sans but lucratif met de l'avant un partenariat public-privé unique en son genre avec entre autres les gouvernements de l'Ontario et du Canada. Il facilite la recherche de pointe, forme la prochaine génération de pionniers de la science et communique le pouvoir de la physique grâce à des programmes primés d'éducation et de vulgarisation.

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