Dans le monde de la physique théorique, Robert Myers n’a plus besoin de présentation. Titulaire de la Chaire Isaac Newton BMO Groupe financier en physique théorique à l’Institut Périmètre, il a mené une carrière jalonnée de percées, notamment dans les efforts soutenus pour établir une théorie unifiée de la gravité quantique, en fusionnant la mécanique quantique avec la relativité générale d’Einstein.
« La gravité quantique est l’une des questions les plus profondes et les plus complexes auxquelles les physiciennes et physiciens théoriques se sont attaqués. Ils planchent dessus depuis plus de 75 ans », explique Myers.
« C’est une question qui me passionne, et on voit constamment émerger de nouvelles idées, de nouvelles pistes et de nouveaux développements », ajoute-t-il.
La gravité quantique occupe toujours une place dans l’esprit de Robert Myers. Mais son parcours démontre qu’il ne se limite pas à un seul domaine de recherche. Il s’épanouit dans l’exploration de nouvelles avenues, et ses découvertes les plus fécondes sont souvent survenues lorsqu’il est sorti de sa zone de confort pour combiner différentes disciplines. Cette approche lui a permis de contribuer à de nombreux champs de la physique, allant des trous noirs en dimensions supérieures à la chromodynamique quantique (la théorie expliquant la force nucléaire forte), en passant par l’information quantique.
« J’ai toujours aimé apprendre de nouvelles idées », dit-il. « Quand je découvre un nouveau domaine de recherche — que ce soit l’information quantique, ou avant cela la physique nucléaire, ou encore la cosmologie — j’assimile beaucoup de concepts nouveaux, puis je peux apporter mon propre bagage à ces idées, les appliquer à de nouvelles questions et générer de nouveaux développements. Et le meilleur, c’est que cela ouvre la porte à des interactions avec une toute nouvelle communauté de physiciennes et physiciens. »
Cette stratégie, qui consiste à provoquer des « collisions » entre domaines de recherche, s’est révélée très payante pour Myers.
Un exemple particulièrement fructueux de la dernière décennie a été l’établissement de nouvelles connexions entre la gravité quantique et l’information quantique. Comme une étincelle mettant le feu aux poudres, ces recherches ont rapidement mené à la démonstration de nouveaux théorèmes et ont déclenché une vague de travaux par des expertes et experts partout dans le monde.
Petit retour en arrière : en 2006, les physiciens Shinsei Ryu et Tadashi Takayanagi ont emprunté un concept issu de la théorie de l’information quantique — l’entropie d’intrication, qui permet de quantifier le degré de corrélation quantique entre deux sous-systèmes — et l’ont appliqué à un contexte inédit : la correspondance AdS/CFT.
La correspondance AdS/CFT peut être vue comme un « univers modèle réduit » dans lequel la gravité et les théories quantiques des champs coexistent de façon étonnamment harmonieuse. Une théorie des champs en deux dimensions définie sur la frontière d’un tel univers est mathématiquement équivalente à une description en trois dimensions de la gravité dans cet univers : l’une agit comme une sorte d’« hologramme » de l’autre.
Ryu et Takayanagi ont formulé une conjecture selon laquelle, dans ce cadre AdS/CFT, il existerait une relation entre l’entropie d’intrication de la théorie des champs et la géométrie de l’espace-temps associé.
Les implications de cette conjecture sont restées en veilleuse dans l’esprit de Myers pendant un bon moment, jusqu’à ce qu’il commence à collaborer avec un ancien postdoctorant de l’Institut Périmètre, Aninda Sinha, aujourd’hui professeur à l’Institut indien des sciences de Bangalore. Ensemble, ils jouaient avec des calculs en AdS/CFT — évaluant notamment les « charges centrales » de la théorie à la frontière — en tentant de comprendre leur signification. Myers a fini par réaliser, à sa grande surprise, qu’ils étaient en train de calculer, sans le savoir, l’entropie d’intrication dans la théorie définie à la frontière.
Intrigués, ils ont approfondi les implications de cette découverte dans le contexte des flots de renormalisation (ou RG flows). Ces flots permettent de passer d’une théorie à une autre lorsque l’échelle d’énergie change, puisqu’une théorie des champs donnée n’est généralement valable que dans une plage d’énergie limitée.
Ils ont constaté que les propriétés de la théorie des champs calculées à l’aide de l’entropie d’intrication prenaient une valeur différente à l’autre extrémité du flot de renormalisation — une découverte aux implications fascinantes pour la physique des hautes énergies et pour notre compréhension de la dualité entre champs quantiques et gravité.
Les travaux de Myers et Sinha ont donné un second souffle à la conjecture de Ryu et Takayanagi, en montrant que l’entropie d’intrication joue un rôle clé dans les théories quantiques des champs, et que l’entropie d’intrication holographique est un puissant outil pour comprendre la correspondance AdS/CFT.
Ce n’est là qu’un exemple parmi d’autres de collision fructueuse entre domaines de recherche dans une carrière riche en rebondissements. Cette méthode est devenue une véritable marque de commerce chez Myers.
Mais Myers est aussi un bâtisseur d’institution, et il a contribué à intégrer cette approche des « collisions » interdisciplinaires dans la façon même dont fonctionne l’Institut Périmètre. En tant que membre fondateur du corps professoral, puis à titre de directeur, il a beaucoup façonné la vision et l’orientation de l’Institut.
Lorsque le fondateur de BlackBerry, Mike Lazaridis, l’a approché il y a 25 ans pour se joindre à ce jeune institut de physique encore en gestation, Périmètre n’était guère plus qu’une idée ambitieuse : celle que faire progresser la physique fondamentale aujourd’hui pourrait engendrer les percées technologiques de demain. Mais rien ne garantissait le succès.
« C’est la personnalité de Mike, et ce qu’il était prêt à entreprendre, qui m’a convaincu », se souvient Myers. « Il avait l’esprit d’aventure. C’était une chance de créer quelque chose de nouveau, et peut-être d’important. Ce qui m’a frappé chez Lazaridis, c’était sa profondeur de réflexion, son engagement envers cette idée, et sa volonté sincère de faire quelque chose d’extraordinaire pour le Canada et au Canada. »
Depuis, grâce à l’appui de la population canadienne et à la contribution de Myers, Périmètre est devenu un institut de physique théorique de calibre mondial — le plus important en son genre.
L’un des secrets de cette réussite est sa capacité à stimuler la collaboration, en réunissant à Waterloo des spécialistes du monde entier pour échanger des idées. C’est une dynamique que Myers a cherché à encourager durant son mandat à la direction.
« À Périmètre, l’un des principes de base, c’est d’être un lieu de rassemblement — une sorte d’oasis où toutes sortes de gens se rencontrent », explique Myers.
Ce principe a permis la naissance de collaborations remarquables avec des scientifiques d’exception partout dans le monde.
Ses travaux avec Aninda Sinha en sont un exemple, mais ils ont récemment ouvert la voie à de nouvelles collaborations avec les physiciens argentins Horacio Casini et Marina Huerta, en vue d’élaborer des démonstrations générales et d’élargir les résultats issus de ses recherches antérieures avec Sinha. De telles collaborations n’auraient pas été possibles sans l’engagement de l’Institut à maintenir un programme dynamique de chercheurs invités.
Myers s’est également beaucoup investi pour que Périmètre soit un environnement accueillant pour la prochaine génération de physicien·ne·s, qui prendront le relais dans les décennies à venir.
« Si je pense à ce qui m’inspire, à ce qui me motive aujourd’hui, ce sont tous ces jeunes, leur énergie, leur enthousiasme, leurs idées. À Périmètre, il y a mille occasions de collaborer avec des étudiants et postdocs brillants. C’est vraiment gratifiant de les voir s’épanouir comme chercheurs. »
Quant à ce qui l’attend, Myers s’intéresse de près à l’essor du nouveau domaine de l’holographie céleste, avec le concours des scientifiques de Périmètre. Cette nouvelle collision d’idées cherche à appliquer les dualités holographiques à notre univers réel, plutôt qu’à l’univers restreint du cadre AdS/CFT.
« Il y a beaucoup d’énergie et d’enthousiasme en ce moment, mais on est en plein milieu de la collision, et on ne sait pas encore vraiment comment les choses vont retomber. J’ai le sentiment que l’holographie céleste est en train de donner naissance à quelque chose de très prometteur, et j’ai hâte de voir où ça va mener », dit-il.
Malgré toutes ses réalisations, Myers demeure humble quant à son rôle dans la création de l’Institut Périmètre et dans les percées fondamentales qui en ont découlé :
« J’ai eu la chance d’arriver dès le début et d’aider à créer quelque chose à partir de rien. Je me considère extrêmement chanceux d’avoir eu cette opportunité. Très peu de gens peuvent en dire autant. Ça a été une aventure des plus stimulantes. »
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À propos de l’IP
L'Institut Périmètre est le plus grand centre de recherche en physique théorique au monde. Fondé en 1999, cet institut indépendant vise à favoriser les percées dans la compréhension fondamentale de notre univers, des plus infimes particules au cosmos tout entier. Les recherches effectuées à l’Institut Périmètre reposent sur l'idée que la science fondamentale fait progresser le savoir humain et catalyse l'innovation, et que la physique théorique d'aujourd'hui est la technologie de demain. Situé dans la région de Waterloo, cet établissement sans but lucratif met de l'avant un partenariat public-privé unique en son genre avec entre autres les gouvernements de l'Ontario et du Canada. Il facilite la recherche de pointe, forme la prochaine génération de pionniers de la science et communique le pouvoir de la physique grâce à des programmes primés d'éducation et de vulgarisation.
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