La science à l’Institut Périmètre : Après la découverte du boson de Higgs
Ça y est, mais le travail ne fait que commencer.
Les physiciens qui travaillent au CERN ont annoncé la découverte d’une nouvelle particule, qui est presque certainement le boson de Higgs. Le boson de Higgs est la dernière pièce manquante du modèle standard des particules et de leurs interactions. Il joue un rôle crucial pour expliquer pourquoi les particules fondamentales ont une masse. Son existence a été proposée pour la première fois dans les années 1960, et on le recherchait activement depuis des décennies. On l’a enfin trouvé : les équipes de deux expériences, appelées ATLAS et CMS, menées au grand collisionneur hadronique du CERN, ont annoncé chacune de manière indépendante avoir mesuré les produits de la décomposition d’une particule pesant environ 126 GeV, soit environ autant qu’un atome de césium.
Neil Turok, directeur de l’Institut Périmètre, a déclaré : « C’est un jour fantastique pour la physique des particules, le plus excitant depuis des décennies. L’Institut Périmètre félicite le CERN et les milliers de physiciens qui ont travaillé si fort pour obtenir ce résultat. Jusqu’à maintenant, cette découverte semble conforme à la théorie la plus simple de Higgs, proposée il y a un demi-siècle. Il s’agit d’un triomphe spectaculaire, qui ouvre la porte à une compréhension de ce qui se trouve au-delà du modèle standard : la matière sombre et les neutrinos, l’énergie du vide et la physique du Big Bang. Nous attendons avec impatience d’autres découvertes. » [traduction]
Une prochaine étape sur la voie de la découverte aura lieu en août, lorsque des théoriciens et des expérimentateurs de CMS se réuniront à l’Institut Périmètre. Cette conférence de haut niveau mettra l’accent sur la signification des nouvelles données et sur les théories qui pourraient expliquer tous les aspects de ces résultats. Elle abordera les prochaines mesures importantes à effectuer et ce qu’elles seront susceptibles de nous apprendre.
La découverte de la nouvelle particule s’est faite par l’analyse d’autres particules résultant de sa décomposition. Les scientifiques étudient les produits de décomposition du boson de Higgs parce que celui-ci est très instable. Il est créé lors de collisions à très haute énergie, comme celles qui surviennent dans le grand collisionneur hadronique, mais il ne subsiste que pendant une minuscule fraction de seconde – moins de temps qu’il n’en faudrait à la lumière pour parcourir le diamètre d’un atome – avant de se décomposer en une poignée de particules secondaires. Ce sont ces particules qui sont mesurées par les détecteurs des expériences ATLAS et CMS. Le boson de Higgs peut se décomposer en plusieurs combinaisons spécifiques de particules. Chacune de ces décompositions possibles est appelée voie de décomposition.
Les expériences CMS et ATLAS ont recherché le boson de Higgs dans toutes ses principales voies de décomposition, et chacune de ces deux expériences l’a trouvé dans les deux voies prédites comme étant les plus courantes. Plus précisément, les expériences CMS et ATLAS ont enregistré des événements où le boson de Higgs se décompose en deux photons et d’autres où il se décompose en deux paires lepton-antilepton. Ils ont aussi examiné d’autres voies, mais les données obtenues jusqu’à maintenant ne permettent pas de conclure.
La prochaine étape consistera à mesurer chaque voie de manière plus précise et de cartographier avec exactitude la décomposition du boson de Higgs, selon quelles voies et avec quelle fréquence. Cela permettra non seulement de confirmer qu’il s’agit bien du boson de Higgs – ce qui semble presque certain – mais de quel type de boson de Higgs il s’agit.
Les théoriciens ont quelques idées différentes sur le cadre qui sous-tend le modèle standard et le mécanisme de Higgs. Ces idées donnent des prédictions légèrement différentes à propos des propriétés du boson de Higgs. En cartographiant les voies de décomposition – et en faisant d’autres opérations, par exemple des mesures de spin – on peut déterminer les propriétés du boson de Higgs et ainsi cerner le cadre sous-jacent. Le boson de Higgs devient alors un outil d’exploration de la physique au-delà du modèle standard. C’est là un bel exemple de la manière dont l’expérimentation peut faire progresser la théorie.
Mais la théorie peut de son côté faire progresser l’expérimentation. Par exemple, certaines indications donnent à penser que la nouvelle particule possède quelques propriétés surprenantes. En particulier, elle semble se décomposer en une paire de photons plus souvent que ce que l’on aurait pu prévoir. La surreprésentation de la voie des photons (ou gamma-gamma) est faible : elle se situe entre un et deux sigmas, et il est donc possible – et même probable – qu’il ne s’agisse que d’un hasard statistique.
En avril, l’Institut Périmètre a été l’hôte d’une rencontre de physiciens de l’expérience ATLAS, qui ont discuté des résultats de l’année écoulée et des possibilités de mesures plus précises des diverses voies de décomposition du boson de Higgs. Il est clair qu’il faudra plus de données pour distinguer une réelle anomalie de la voie des photons par rapport au bruit statistique. Et cela prendra du temps.
Mais les physiciens n’ont pas l’habitude de négliger une petite anomalie observée à l’occasion de la découverte d’une nouvelle particule. C’est particulièrement vrai ici, puisque l’anomalie est la surreprésentation d’une voie alors que de nombreuses théories prédisent une sous-représentation. La question se pose alors de savoir s’il s’agit d’un indice de nouvelles lois physiques. Et si oui, où il faut chercher pour les confirmer. Les théoriciens devront élaborer de nouveaux modèles reproduisant les résultats obtenus au CERN et voir quels autres signaux ces nouveaux modèles pourraient donner. On pourrait ensuite rechercher de tels signaux afin de corroborer les modèles proposés.
À l’Institut Périmètre, nous avons l’impression qu’une nouvelle porte est en train de s’ouvrir. La particule découverte au CERN est-elle un boson de Higgs, mais de type un peu différent de celui auquel on s’attendait? Cela ouvrirait la porte à une nouvelle physique. Ou bien est-ce le boson de Higgs du modèle standard? Cela pourrait devenir un outil pour sonder les théories qui sous-tendent le modèle standard. Il est trop tôt pour connaître la réponse, mais d’une manière ou d’une autre, cela promet d’être passionnant.
Collaborations entre les expériences CMS et ATLAS © 2012 CERN
Les détecteurs des expériences CMS (à gauche) et ATLAS (à droite) révèlent sous forme d’un pic dans une courbe dite « de masse » la décomposition du boson de Higgs en une paire de photons. La concordance des deux pics et d’autres données permettent de conclure à la découverte du boson de Higgs.
À propos de l’IP
L'Institut Périmètre est le plus grand centre de recherche en physique théorique au monde. Fondé en 1999, cet institut indépendant vise à favoriser les percées dans la compréhension fondamentale de notre univers, des plus infimes particules au cosmos tout entier. Les recherches effectuées à l’Institut Périmètre reposent sur l'idée que la science fondamentale fait progresser le savoir humain et catalyse l'innovation, et que la physique théorique d'aujourd'hui est la technologie de demain. Situé dans la région de Waterloo, cet établissement sans but lucratif met de l'avant un partenariat public-privé unique en son genre avec entre autres les gouvernements de l'Ontario et du Canada. Il facilite la recherche de pointe, forme la prochaine génération de pionniers de la science et communique le pouvoir de la physique grâce à des programmes primés d'éducation et de vulgarisation.