La science à l’Institut Périmètre – À la recherche de nouvelles forces
L’électromagnétisme, l’interaction forte, l’interaction faible et la gravité sont les quatre forces connues. Mais sont-elles les seules? S’il y avait d’autres forces – qui n’interagissent que faiblement ou pas du tout avec nous – comment le saurions-nous?
« Il pourrait fort bien y avoir dans la nature d’autres forces, que nous n’avons pas trouvées », déclare Philip Schuster, nouveau professeur à l’Institut Périmètre et spécialiste de la physique des particules. « Elles pourraient agir sur d’autres types de matière, par exemple la matière sombre, tout en étant difficilement perceptibles pour nous. » [traduction]
Il pourrait néanmoins y avoir quelques moyens de détecter ces forces. M. Schuster et Natalia Toro, également professeure à l’Institut Périmètre, ont imaginé une expérience de physique des particules qui permettrait de détecter en laboratoire le vecteur d’une nouvelle force de ce genre – ce serait quelque chose ressemblant à un photon, mais ayant une masse. Un article portant sur leurs recherches vient d’être publié dans la revue Physical Review Letters.
La clé est que la nouvelle force pourrait se confondre avec le photon. « Selon la mécanique quantique, le nouveau boson pourrait se transformer en photon – ou vice versa, explique Mme Toro. La nouvelle force pourrait ensuite s’ajouter à la charge électrique, à une petite fraction de sa force [électromagnétique] ». [traduction] Ainsi, la nouvelle force pourrait affecter la matière ordinaire, et cet effet serait détectable à l’aide de techniques de la physique des particules.
« Il y a quelques années, les physiciens se sont rendu compte qu’il pourrait fort bien y avoir de nouvelles forces à des niveaux d’énergie que nous avons déjà explorés – et que nous n’aurions pas détectées parce que les processus en cours sont très rares, poursuit M. Schuster. Mais nous nous sommes également rendu compte que nous avons partout dans le monde des équipements de laboratoire où nous pourrions faire des expériences d’une durée d’un mois et permettant de détecter de nouvelles forces avec une sensibilité supérieure de plusieurs ordres de grandeur. » [traduction]
Les professeurs Schuster et Toro ont travaillé en étroite collaboration avec les théoriciens James Bjorken et Rouven Essig, du Laboratoire national de l’accélérateur SLAC, à l’Université Stanford, et l’expérimentateur Bogdan Wojtsekhowski, du Laboratoire national de l’accélérateur Thomas-Jefferson, en Virginie, pour concevoir une expérience à mener au Laboratoire Jefferson, qui produit les faisceaux d’électrons ayant la plus forte intensité au monde. Plus de 60 scientifiques et ingénieurs participent à cette expérience, connue sous l’acronyme APEX. Ils viennent de compléter un essai de cette expérience.
Le Laboratoire Jefferson a été choisi non seulement pour l’intensité de ses faisceaux d’électrons, mais aussi parce que la fourchette de masses qu’il peut explorer est à la fois nouvelle et particulièrement intéressante.
Mme Toro explique, en dessinant un graphique qui ressemble à une montagne surmontée d’un nuage affaissé, qu’il y a des territoires où l’on a déjà vérifié la présence de nouvelles forces. Dans ce graphique, la force de couplage du vecteur de la nouvelle force est représentée sur un axe, et la masse de ce vecteur sur l’autre axe. L’espace ouvert, inexploré, qu’il y a entre la montagne et le nuage est celui-là même que le faisceau du Laboratoire Jefferson – et d’autres laboratoires dans le monde – peut facilement atteindre.
Il se trouve que des phénomènes intéressants pourraient se produire dans cet « espace sans nuage ». Il y a une anomalie du moment magnétique du muon (l’anomalie g – 2) qui pourrait s’expliquer par la présence d’un vecteur d’une nouvelle force dans cette fourchette de masses et ayant une très faible force de couplage. Il y a des anomalies astrophysiques qui pourraient s’expliquer si la matière sombre était affectée par la nouvelle force – et certains modèles fondés sur ces anomalies prédisent que le vecteur de la force serait dans cette fourchette de masses. Enfin, la force de couplage dans cet espace est d’environ un sur mille – région intéressante pour les théoriciens parce que c’est un facteur de boucle, une correction radiative en théorie quantique des champs.
Tout cela est une heureuse coïncidence. M. Schuster raconte : « Je me rappelle très bien de cet après-midi où fusaient les exclamations lorsque nous nous sommes rendu compte que tous les éléments concordaient. » [traduction]
L’essai réussi de l’expérience APEX a démontré la faisabilité de la recherche de vecteurs de nouvelles forces à l’aide d’accélérateurs existants. Il a aussi permis d’explorer une partie de l’espace paramétrique – une petite section de l’espace sans nuage. « Au bout d’une heure de test, nous étions en territoire nouveau, raconte Mme Toro. C’est une expérience d’une belle sensibilité. » [traduction]
L’expérience APEX complète est en cours de préparation.
APEX est une parmi plusieurs expériences à la recherche du vecteur d’une nouvelle force, un boson hypothétique appelé « boson A’ ». Ce graphique montre l’espace paramétrique couvert par les expériences proposées. La surface rouge pleine représente la fraction de l’espace paramétrique couverte par l’essai de l’expérience APEX. L’expérience APEX complète explorera toute la zone située au-dessus de la courbe rouge.
Pour en savoir plus
• « Search for a new gauge boson in the A' Experiment (APEX) », Physical Review Letters, vol. 107, 191804 (2011), arXiv:1108.2750.
• R. ESSIG, P. SCHUSTER, N. TORO et B. WOJTSEKHOWSKI. An Electron Fixed Target Experiment to Search for a New Vector Boson A' Decaying to e+e-, arxiv:1001.2557.
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