Les gens de l’IP — Christine Muschik profite du meilleur de deux mondes

Christine Muschik repousse les limites de la science et de la technologie en combinant des processeurs quantiques et classiques.

Quand Christine Muschik faisait son doctorat dans les années 2010, le privilège de mener une expérience sur un ordinateur quantique exigeait une somme d’argent, une réputation ou des contacts que peu de chercheurs en début de carrière pouvaient réunir.

« Si vous aviez une idée, c’était très difficile de la mettre en œuvre sur du matériel d’informatique quantique, dont le développement coûtait horriblement cher », dit Mme Muschik, qui est maintenant professeure associée à l’Institut Périmètre, dans le cadre d’une nomination conjointe avec l’Université de Waterloo.

Théoricienne très intéressée par le passage du tableau noir à des expériences réelles, Mme Muschik a toujours lutté contre les restrictions technologiques et logistiques. Chaque fois qu’elle en a eu l’occasion, elle s’est efforcée de faire avancer à la fois la science et la technologie.

« Nous voulons des simulations quantiques qui fonctionnent non seulement sur papier, dit-elle, mais qui mènent aussi à des démonstrations de faisabilité. C’est pour cela que nous travaillons avec des équipes d’expérimentateurs : pour concrétiser la théorie, lui donner vie en laboratoire. » [traduction]

En une décennie, les appareils quantiques ont progressé plus rapidement que tout ce que l’on aurait pu imaginer. La technologie quantique est encore jeune, fragile et à un stade en partie expérimental, mais elle est devenue beaucoup plus accessible, ce qui a permis à Mme Muschik de donner libre cours à sa curiosité et à ses idées.

« Nous sommes tous surpris du développement accéléré de ces dispositifs, dit-elle. Cela se produit parce que l’industrie — les Google et IBM de ce monde — s’y met et y investit beaucoup d’argent. Chacun est à la recherche de l’‘avantage quantique’. Pour notre publication la plus récente, il nous a suffi de faire exécuter le programme dont nous avions besoin par un ordinateur quantique IBM accessible dans le nuage informatique. » [traduction]

Selon un rapport publié en 2019 dans la revue Nature, en Amérique du Nord et en Europe, les investisseurs privés avaient injecté au cours des 2 années précédentes au moins 450 millions de dollars US dans des entreprises en démarrage. (Des données semblables n’étaient pas disponibles pour la Chine, qui est devenue un moteur de la technologie quantique.)

Beaucoup de ces jeunes entreprises font la course entre elles, et avec des géants établis de la technologie, pour atteindre la « suprématie quantique », c’est-à-dire le point où un ordinateur quantique arrive à résoudre un problème utile ou intéressant impossible à résoudre avec un ordinateur classique. Ce terme est à la fois ambigu (Google a prétendu en 2019 avoir atteint la suprématie quantique, mais des critiques ont contesté cela) et trompeur : la suprématie quantique ne signifie pas que les ordinateurs quantiques remplaceront les ordinateurs conventionnels. Chaque type d’ordinateur est adapté à différents types de problèmes de calcul.

Christine Muschik travaille à combiner le meilleur des deux mondes.

« Elle comprend à la fois les méandres de théories complexes et les subtilités de la mise en œuvre expérimentale », déclare Raymond Laflamme, titulaire de la chaire Mike-et-Ophelia-Lazaridis-John-von-Neumann d’informatique quantique à l’Institut d’informatique quantique de l’Université de Waterloo. « Elle se distingue par le fait qu’elle est très impliquée dans les deux domaines. » [traduction]

Mme Muschik a mis au point de nouvelles méthodes de calcul pour tirer plus de puissance des technologies quantiques existantes et verser les résultats dans une boucle de rétroaction avec des processeurs classiques, créant ainsi des systèmes hybrides de plus en plus puissants. Même si ces travaux vont inévitablement faire des vagues dans le secteur technologique commercial, elle est plus intéressée à se servir de ces outils pour produire de nouvelles connaissances.

« Le travail de mon équipe, dit-elle, est centré sur cette question : et si les ordinateurs quantiques pouvaient nous aider à faire de nouvelles découvertes scientifiques ? » [traduction] Elle s’intéresse à la matière et à l’antimatière, au fonctionnement interne des étoiles à neutrons et à d’autres mystères que les ordinateurs conventionnels n’ont pas réussi à résoudre.

« Les modèles qui vont au-delà du modèle standard sont singulièrement difficiles. Les méthodes conventionnelles ne peuvent pas en venir à bout. » [traduction]

Les systèmes informatiques hybrides offrent de nouvelles méthodes de simulation et d’analyse qui peuvent faire progresser des domaines comme la cosmologie et la physique des particules. Mais avant même que Mme Muschik ne commence à aborder des questions dans d’autres domaines, son travail fondamental sur le développement de tels systèmes aide déjà à relever un défi central qui déconcerte les physiciens théoriciens depuis des décennies : concilier la mécanique quantique et la physique classique.

Chacun de ces puissants cadres théoriques arrive à très bien décrire l’univers avec une perspective particulière : la mécanique quantique couvre le monde subatomique des protons et des quarks; la physique classique décrit le monde macroscopique des gens et des planètes. Chacun de ces cadres fournit une description exacte et précise de la même réalité physique abordée de points de vue différents.

Mais ces deux cadres sont incomplets et incompatibles entre eux.

Les ordinateurs hybrides quantiques-classiques transmettent de l’information dans les deux sens entre ces cadres contradictoires, qu’ils utilisent pour résoudre des problèmes et exécuter des simulations ayant des répercussions dans l’industrie aérospatiale, la découverte de médicaments, les services financiers et de nombreux domaines de la recherche scientifique.

Mme Muschik a l’art de donner un air de simplicité à cette technologie.

« Tout tourne autour de la manière de formuler le problème, dit-elle. Prenons la question : ‘Pourquoi y a-t-il davantage de matière que d’antimatière?’ On reformule la question sous la forme d’un problème d’optimisation. J’enseigne à mon processeur quantique à analyser ce problème et à le traduire en nombres. Et les ordinateurs classiques savent traiter des nombres. » [traduction]

Mme Muschik travaille sur des applications pour les « ordinateurs quantiques bruyants de taille intermédiaire » disponibles à l’heure actuelle, mais elle planifie des projets qui contribueront à des progrès technologiques constants — et qui en bénéficieront.

« Nous jouons un double rôle, dit-elle. Non seulement nous simulons la physique, mais nous élaborons des méthodes pour la mise au point d’ordinateurs quantiques à venir. C’est ainsi que l’on ouvre la voie au développement de la physique pour les générations futures. » [traduction]

Christine Muschik dirige l’initiative Simulations quantiques d’interactions fondamentales, projet conjoint de l’Institut Périmètre et de l’Institut d’informatique quantique de l’Université de Waterloo. Son laboratoire élabore entre autres la technologie nécessaire pour simuler des forces et des particules qui vont au-delà du modèle standard de la physique des particules. Grâce aux progrès rapides des ordinateurs quantiques au cours des dernières décennies, on arrive beaucoup mieux à simuler des champs quantiques et des forces fondamentales inexplicables à l’aide du modèle standard.

« La partie la plus intéressante est celle que nous n’arrivons pas à comprendre, dit-elle. Elle nous indique où nous pourrions trouver une nouvelle physique. Les modèles qui vont au-delà du modèle standard sont singulièrement difficiles. Les méthodes conventionnelles ne peuvent pas en venir à bout. Mon ordinateur ne peut s’y attaquer, et le plus grand superordinateur non plus. Même les centres de superordinateurs qui ne sont maintenant qu’à l’état de projets ne pourront venir à bout de ces questions.

« On pourrait alors décider d’abandonner. Mais cette difficulté représente d’extraordinaires possibilités. Les ordinateurs quantiques sont actuellement trop petits, mais ils sont porteurs d’une immense promesse : répondre à ces grandes questions profondes et ouvertes. » [traduction]

À propos de l’IP

L'Institut Périmètre est le plus grand centre de recherche en physique théorique au monde. Fondé en 1999, cet institut indépendant vise à favoriser les percées dans la compréhension fondamentale de notre univers, des plus infimes particules au cosmos tout entier. Les recherches effectuées à l’Institut Périmètre reposent sur l'idée que la science fondamentale fait progresser le savoir humain et catalyse l'innovation, et que la physique théorique d'aujourd'hui est la technologie de demain. Situé dans la région de Waterloo, cet établissement sans but lucratif met de l'avant un partenariat public-privé unique en son genre avec entre autres les gouvernements de l'Ontario et du Canada. Il facilite la recherche de pointe, forme la prochaine génération de pionniers de la science et communique le pouvoir de la physique grâce à des programmes primés d'éducation et de vulgarisation.

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Mike Brown
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