Jeux olympiques de l’IA quantique
Imaginez que vous assistiez à des courses de haies olympiques, où, au lieu de coureurs humains, les concurrents sont différents types de modèles d’intelligence artificielle (IA). Certains courent sur des ordinateurs ordinaires ou « classiques » et d’autres sur des ordinateurs quantiques.
En fonction de la tâche ou de la taille de l’obstacle, le modèle quantique est parfois le gagnant. D’autres fois, c’est l’IA sur ordinateur classique qui l’emporte.
C’est exactement le cadre concurrentiel qu’une équipe de chercheurs, dont Mohamed Hibat-Allah, boursier du programme Perimeter Scholars International (PSI), a mis en place dans un article publié cette semaine dans Communications Physics.
L’article a été coécrit avec Juan Carrasquilla, ancien postdoctorant de l’Institut Périmètre et actuel chercheur invité, qui est devenu membre du corps professoral de l’Institut Vecteur pour l’intelligence artificielle à Toronto et qui travaille maintenant à l’ETH Zurich. Marta Mauri et Alejandro Perdomo-Ortiz de Zapata AI, une entreprise d’IA générative industrielle, étaient également coauteurs.
L’IA générative quantique, qui se situe à la croisée entre l’informatique quantique et l’intelligence artificielle générative (semblable à celles qui sont au cœur d’applications comme ChatGPT), suscite un vif intérêt tant dans l’industrie que dans le monde universitaire. L’objectif est d’utiliser les ordinateurs quantiques pour accélérer ou améliorer les modèles d’IA générative, et inversement, d’utiliser l’IA générative pour rendre les algorithmes des ordinateurs quantiques plus efficaces.
L’article récent de Hibat-Allah et de ses collègues est basé sur des travaux antérieurs réalisés par des membres de l’équipe Zapata AI qui ont développé des mesures pour évaluer la « généralisation », la capacité d’un système d’IA à extrapoler et à aller au-delà des données fournies lors de la formation.
La généralisation est l’objectif de toute personne utilisant un système quantique ou un système d’IA pour une application pratique. Qu’il s’agisse de résoudre un problème d’optimisation, par exemple, ou de simuler la chimie d’un nouveau médicament, l’objectif est d’amener le système à extrapoler de nouvelles informations de haute qualité et révolutionnaires à partir de l’ensemble des données d’apprentissage.
Dans cet article, les chercheurs ont pu démontrer pour la première fois que les modèles génératifs quantiques pouvaient surpasser l’IA classique dans le contexte de la généralisation des données. Plus précisément, ils ont montré que les modèles génératifs quantiques peuvent l’emporter dans des régimes où les données d’apprentissage sont rares.
La course à l’avantage quantique pratique (AQP) : une analogie sportive.
« Nous avons constaté que dans le régime des données rares, les modèles quantiques offrent le meilleur pouvoir de généralisation par rapport aux modèles classiques », explique Hibat-Allah.
Cela est utile dans l’industrie pharmaceutique, par exemple, où les ensembles de données pour les nouvelles molécules sur lesquelles l’IA peut être entraînée seraient peu nombreux.
« Cela est hautement souhaitable dans certains types d’applications du monde réel », explique Hibat-Allah. « La découverte de médicaments en est un exemple frappant. Être capable de générer de nouveaux médicaments de haute qualité en extrapolant à partir d’un petit ensemble de données d’entraînement de molécules de médicaments peut changer la donne. »
Hibat-Allah précise clairement que l’équipe de recherche a simulé un ordinateur quantique en utilisant un ordinateur classique, plutôt qu’un véritable ordinateur quantique.
Dans un ordinateur quantique, les états des particules subatomiques (comme le spin) sont dans un état mécanique quantique appelé superposition. Cette étrange caractéristique de la mécanique quantique génère des bits quantiques ou « qubits », qui peuvent potentiellement permettre aux ordinateurs quantiques d’obtenir un avantage pour résoudre certains types de problèmes beaucoup plus efficacement que les ordinateurs classiques.
Le problème est que les calculs quantiques sont difficiles à contrôler car ces superpositions sont extrêmement fragiles et s’effondreront s’il y a du « bruit » extérieur ou des interactions de nombreux qubits.
Mais Hibat-Allah dit qu’il est en attendant possible pour les chercheurs de tirer parti de ce que l’on appelle les « réseaux tensoriels », qui peuvent être utilisés pour simuler des circuits quantiques. « Il existe une relation entre ces réseaux tensoriels et les circuits quantiques », dit-il.
Essentiellement, ils ont créé un cadre – une série de courses – opposant le meilleur de l’IA quantique au meilleur des modèles d’IA classiques. L’objectif était d’identifier la meilleure façon d’obtenir un avantage quantique pratique dans différentes situations.
Il reste encore du travail à faire. Hibat-Allah dit que l’on espère relever la barre pour inclure le bruit attendu dans un système quantique et augmenter le nombre de qubits simulés, afin d’obtenir des mesures encore plus précises.
« Une orientation de recherche prometteuse pour l’avenir consiste à étudier l’impact du bruit sur nos résultats et à mettre en œuvre notre méthode sur de véritables dispositifs quantiques avec un plus grand nombre de qubits », dit Hibat-Allah.
Il est également possible d’organiser des compétitions encore plus passionnantes, où les modèles quantiques et classiques s’entraident dans des courses de type relais.
« Nous pouvons entraîner ces architectures aux limites de ce que peuvent réaliser les ordinateurs classiques, puis passer le flambeau aux ordinateurs quantiques lorsqu’ils seront prêts à l’avenir », dit Hibat-Allah. Cette idée est décrite dans un autre article de Nature Communications publié par les chercheurs de Zapata AI en décembre.
En tant que boursier du programme PSI à l’Institut Périmètre, Hibat-Allah est en mesure de combiner la recherche, l’enseignement et le travail administratif.
Le travail de cet article fait partie de ses recherches, mais il effectue également des travaux utilisant des modèles de langage pour simuler des systèmes quantiques. « On peut imaginer un système quantique doté de nombreux degrés de liberté comme les mots d’une phrase dans un modèle de langage », explique-t-il. « Dans mes autres recherches, nous essayons d’approfondir cette analogie pour améliorer notre compréhension des systèmes quantiques. »
Une autre partie du travail du boursier du programme PSI consiste à enseigner aux étudiants de maîtrise du PSI. « Je suis très reconnaissant de cette opportunité. Cela me rappelle ce que c’est que d’être étudiant », dit-il.
La partie administrative de son travail consiste à participer à divers comités tels que le groupe de travail sur les trajectoires de carrière de l’Institut Périmètre. « Je trouve cela très gratifiant », ajoute-t-il.
Hibat-Allah est originaire du Maroc, mais il a obtenu son diplôme de premier cycle en France à l’École normale supérieure de Lyon avant de venir à l’Institut Périmètre pour terminer une maîtrise par l’intermédiaire du programme PSI. Il a ensuite réalisé son doctorat entre l’Université de Waterloo et l’Institut Vecteur, avec Carrasquilla comme directeur de thèse et Roger Melko, professeur associé de l’Institut Périmètre, comme codirecteur de thèse. Il est devenu boursier du programme PSI à l’Institut Périmètre en août dernier.
Hibat-Allah travaille dans un domaine stimulant, à un moment crucial de l’histoire, où l’intelligence artificielle et les ordinateurs quantiques progressent et évoluent à un rythme rapide.
« Si nous parvenons à utiliser de véritables dispositifs quantiques pour démontrer un avantage pratique par rapport aux puissants modèles classiques, ce serait vraiment passionnant pour moi », dit-il.
À propos de l’IP
L'Institut Périmètre est le plus grand centre de recherche en physique théorique au monde. Fondé en 1999, cet institut indépendant vise à favoriser les percées dans la compréhension fondamentale de notre univers, des plus infimes particules au cosmos tout entier. Les recherches effectuées à l’Institut Périmètre reposent sur l'idée que la science fondamentale fait progresser le savoir humain et catalyse l'innovation, et que la physique théorique d'aujourd'hui est la technologie de demain. Situé dans la région de Waterloo, cet établissement sans but lucratif met de l'avant un partenariat public-privé unique en son genre avec entre autres les gouvernements de l'Ontario et du Canada. Il facilite la recherche de pointe, forme la prochaine génération de pionniers de la science et communique le pouvoir de la physique grâce à des programmes primés d'éducation et de vulgarisation.