Matériaux magiques
Même si ça peut être facile de l’oublier, l’univers est quantique, de l’infiniment petit à l’infiniment grand. Tous les processus sont, dans une certaine mesure, quantiques. Tous les matériaux — du condensat de Bose-Einstein le plus exotique au cube de glace le plus ordinaire — sont quantiques.
Par contre, certains matériaux sont plus quantiques que d’autres. Et selon Timothy Hsieh, professeur à l’Institut Périmètre, certains matériaux sont magiques.
Ce n’est pas une image. Le mot magique a un sens technique précis en physique quantique, et Timothy Hsieh vient de trouver une source abondante de matériaux magiques.
« On peut dire que tous les matériaux sont quantiques, dit M. Hsieh. Ils diffèrent selon que la physique quantique est plus ou moins nécessaire pour comprendre les phénomènes importants qui s’y produisent. Dans la grande majorité des cas, la physique quantique est pertinente, mais d’une manière différente selon le matériau. »
Les propriétés — quantiques ou non — d’un matériau dépendent de sa structure, de sa composition chimique et de son état de la matière.
Dans la vie courante, on distingue généralement 3 états de la matière : solide, liquide et gazeux. De nombreuses propriétés dépendent de l’état de la matière : la forme, la couleur, les conductivités électrique et calorifique, l’élasticité, la fluidité, etc.
Même si ces propriétés émergent de structures quantiques profondes, beaucoup d’entre elles peuvent être — et sont généralement — décrites à l’aide de la physique classique. On peut provoquer une transition d’un état à un autre en modifiant (ou en réglant) des facteurs tels que la température ou la pression.
De nombreux états moins connus de la matière sont dominés par des propriétés plus manifestement quantiques, par exemple la supraconductivité, la suprafluidité, le spin des particules, l’intrication et des formes rares de magnétisme. Les facteurs susceptibles de déclencher des transitions d’état dans des matériaux quantiques sont également inhabituels.
Timothy Hsieh, professeur à l’Institut Périmètre[/caption]
« Ces états quantiques peuvent être réglés par des paramètres bien différents de ceux qui interviennent pour les états solide, liquide et gazeux, dit M. Hsieh. À titre d’exemple, au lieu de régler la température pour passer d’un état à un autre, il faut régler les interactions entre particules du système. »
Timothy Hsieh est devenu de plus en plus fasciné par le potentiel concret de certains de ces matériaux, en particulier ceux qui ont des applications en informatique quantique.
Les ordinateurs quantiques stockent et traitent de l’information en faisant appel aux propriétés physiques de matériaux qui appartiennent totalement au monde quantique. Les bits quantiques (ou qubits) d’information peuvent être codés par le spin d’électrons, la résonance magnétique de noyaux atomiques ou la polarisation de photons.
Les scientifiques augmentent la complexité du système en intriquant des qubits. Des qubits deviennent intriqués lorsqu’ils interagissent les uns avec les autres de telle manière que les propriétés de l’un sont liées aux propriétés des autres — relation qui subsiste même lorsque les particules intriquées sont à de grandes distances les unes des autres.
En principe, le potentiel des qubits est énorme : certains types de calculs complexes, qui seraient interminables même pour les superordinateurs les plus puissants au monde, pourraient être effectués rapidement avec seulement quelques dizaines ou quelques centaines de qubits intriqués.
En pratique, l’utilisation de qubits vient avec beaucoup d’exigences sur les plans scientifique et technologique. De petites perturbations peuvent causer des erreurs ou l’effondrement de tout le système. Et même si le monde classique et le monde quantique sont en fait 2 manières d’interpréter la même réalité, il demeure difficile de faire passer de l’information d’un monde à l’autre.
Malgré tout, les physiciens ont fini par construire des ordinateurs quantiques de plus en plus puissants, fiables et souples. Cependant, ils ont souvent dû renoncer en partie à la souplesse pour obtenir une meilleure fiabilité. L’idéal serait un ordinateur quantique à la fois insensible aux défaillances et universellement programmable.
« C’est là qu’intervient la magie », dit M. Hsieh.
Dans le domaine de l’information quantique, on qualifie de « magique » une ressource essentielle à la réalisation d’ordinateurs quantiques universellement programmables. Un état magique est un type d’état quantique complexe impossible à obtenir dans un ordinateur classique. C’est le moyen par lequel les physiciens peuvent réaliser un véritable calcul quantique.
Grâce à cette magie, le calcul quantique n’est plus seulement une technologie propre à certaines tâches, mais il permet des applications universelles.
Zi-Wen Liu, postdoctorant à l’Institut Périmètre[/caption]
Dans un article récent publié par la revue Quantum, Timothy Hsieh et les autres auteurs — Tyler D. Ellison, ancien adjoint diplômé invité à l’Institut Périmètre (qualifié par M. Hsieh de moteur de ces travaux); Zi-Wen Liu, postdoctorant à l’Institut Périmètre; Kohtaro Kato, professeur à l’Université d’Osaka — décrivent leur analyse d’une classe de matériaux magiques qui sont typiques d’états topologiques conservant la symétrie (SPT pour symmetry-protected topological).
« Les états SPT sont des états de la matière bien connus, dit M. Hsieh. Les travaux qui ont fait l’objet de l’article nous ont permis de découvrir qu’une vaste catégorie de ces états comporte cette ressource magique. Dans certains états, la totalité du matériau possède des propriétés magiques. Ce n’est pas seulement limité à un modèle particulier réglé à cette fin.
« Maintenant que nous connaissons des matériaux ayant ces propriétés, poursuit-il, comment pouvons-nous exploiter cette ressource? Quel protocole peut-on utiliser pour distiller cette magie et faire le lien avec les prochaines étapes du calcul quantique? »
Selon M. Hsieh, l’Institut Périmètre offre un milieu excellent pour étudier ces questions. À l’Institut, il peut communiquer avec des experts de nombreux autres domaines de la physique. La culture de collaboration interdisciplinaire convient à son ambitieux projet de recherche, qui s’étale sur plusieurs années.
« La rencontre en un seul lieu de tous ces domaines de la physique théorique est tout à fait unique », dit-il. Et en soutenant fermement les chercheurs qui s’intéressent aux applications aussi bien que ceux qui travaillent sur la théorie, l’Institut Périmètre constitue un foyer intellectuel idéal où Timothy Hsieh peut faire apparaître de la magie.
À propos de l’IP
L'Institut Périmètre est le plus grand centre de recherche en physique théorique au monde. Fondé en 1999, cet institut indépendant vise à favoriser les percées dans la compréhension fondamentale de notre univers, des plus infimes particules au cosmos tout entier. Les recherches effectuées à l’Institut Périmètre reposent sur l'idée que la science fondamentale fait progresser le savoir humain et catalyse l'innovation, et que la physique théorique d'aujourd'hui est la technologie de demain. Situé dans la région de Waterloo, cet établissement sans but lucratif met de l'avant un partenariat public-privé unique en son genre avec entre autres les gouvernements de l'Ontario et du Canada. Il facilite la recherche de pointe, forme la prochaine génération de pionniers de la science et communique le pouvoir de la physique grâce à des programmes primés d'éducation et de vulgarisation.