Les gens de l’IP — Luis Lehner repousse les limites de la relativité
Luis Lehner n’avait que 6 ans à l’époque, mais il se souvient encore des livres qui couvraient le bureau de son père ce jour-là. Des os, des tendons et des organes. Son père était chirurgien et se préparait en vue d’une opération, et le jeune Luis n’a pas aimé ce qu’il a vu. Pas du tout.
Mais c’était un enfant curieux — ouvrant toujours les armoires chez ses amis pour voir ce qui s’y cachait — et intelligent. Dans une famille comptant beaucoup de médecins et de dentistes, il a choisi l’un des rares domaines considérés comme encore plus difficiles que la médecine. Il est devenu physicien.
« Je suis le mouton noir de la famille » [traduction], dit en riant l’Argentin âgé de 47 ans, qui est vice-président du corps professoral de l’Institut Périmètre. Si c’est le cas, il représente à lui seul toute une race.
Les scientifiques savent que la théorie de l’espace-temps courbe d’Einstein — la relativité générale — ne fonctionne plus dans des régions extrêmes, et que cela pourrait se produire à l’intérieur des trous noirs. Spécialiste de la relativité générale, M. Lehner utilise des techniques avancées de mathématiques et d’analyse numérique pour pousser la théorie à ses limites, dans l’espoir de trouver les brèches qui conduiront à une nouvelle physiques.
La gravitation est maintenant à l’avant-garde de la physique, mais cela n’a pas toujours été le cas. Quand Luis Lehner a commencé ses études universitaires dans les années 1990, de nombreux scientifiques estimaient que la relativité générale était un domaine dépassé.
Mais M. Lehner vivait en Argentine, où il y avait peu d’espoir que l’on puisse monter les grandes expériences scientifiques qui faisaient avancer la recherche dans d’autres pays. Les gens étaient donc libres de s’intéresser à des questions négligées par la plupart des chercheurs des pays riches.
« Dans les pays en développement, nous ne sommes pas nécessairement liés par ce qui est à la mode ou en vogue, dit-il. Il faut avoir le sentiment de faire de la recherche pour elle-même. Si une question est légitime, cela vaut la peine d’essayer d’y répondre, même s’il faut 20 ans pour cela. » [traduction]
Il est donc un peu ironique que, près de 20 ans après que Luis Lehner ait choisi d’étudier la gravitation, les travaux qu’il a effectués avec d’autres chercheurs aident à façonner l’une des réalisations scientifiques les plus importantes de ce début de siècle.
Lorsque les scientifiques du projet LIGO (Laser Interferometer Gravitational-Wave Observatory – Observatoire d'ondes gravitationnelles par interféromètre laser) ont mis en marche le plus grand appareil auditif au monde et commencé à balayer le ciel à la recherche d’ondes gravitationnelles, ils avaient, grâce aux prédictions théoriques, une idée de ce qu’ils devaient écouter. Le signal témoin de la fusion de deux trous noirs — perçu en 2015 et rendu public en 2016 — correspondait parfaitement aux prédictions et a marqué l’aube d’une ère nouvelle de la recherche en cosmologie.
Ce fut un moment intensément excitant pour les chercheurs sur la gravitation; pour Luis Lehner, ce n’est que le commencement. Ses travaux actuels s’étendent sur 3 fronts : le nouveau domaine de l’astronomie des ondes gravitationnelles; les liens entre la gravité forte et des théories quantiques possibles de la gravitation; les régions dynamiques des étoiles à neutrons — objets ultradenses qui concentrent la masse du Soleil dans une sphère de 15 kilomètres de diamètre.
Contrairement aux trous noirs, qui ont une masse énorme mais n’émettent aucune lumière, les étoiles à neutrons émettent à la fois des ondes gravitationnelles et des ondes électromagnétiques. Ces deux sources d’information pourraient permettre de beaucoup mieux comprendre la gravitation dans des lieux extrêmes — en particulier, espère M. Lehner, si deux étoiles à neutrons entrent en collision.
« Il y aura alors de tout, s’exclame-t-il. D’énormes quantités d’énergie dégagées sous toutes ses formes : ondes électromagnétiques, ondes gravitationnelles et même des particules — nous aurons des neutrinos. Je veux comprendre le problème dans sa totalité. Je ne veux pas aller dîner et me contenter d’une entrée. Je veux le repas complet, y compris le plat principal et le dessert. Je veux le tout. » [traduction]
Les ondes gravitationnelles : une fenêtre ouverte sur l’univers
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À propos de l’IP
L'Institut Périmètre est le plus grand centre de recherche en physique théorique au monde. Fondé en 1999, cet institut indépendant vise à favoriser les percées dans la compréhension fondamentale de notre univers, des plus infimes particules au cosmos tout entier. Les recherches effectuées à l’Institut Périmètre reposent sur l'idée que la science fondamentale fait progresser le savoir humain et catalyse l'innovation, et que la physique théorique d'aujourd'hui est la technologie de demain. Situé dans la région de Waterloo, cet établissement sans but lucratif met de l'avant un partenariat public-privé unique en son genre avec entre autres les gouvernements de l'Ontario et du Canada. Il facilite la recherche de pointe, forme la prochaine génération de pionniers de la science et communique le pouvoir de la physique grâce à des programmes primés d'éducation et de vulgarisation.