La lumière en spirale provenant du trou noir supermassif de la galaxie M87 révèle des champs magnétiques puissants
Lorsque les premières images du trou noir supermassif M87* produites par le télescope EHT ont été publiées en 2019, elles offraient un superbe gros plan d’un trou noir supermassif comme nous n’en avions jamais vu auparavant. Mais il y a plus de détails qui se cachent dans les données, et les membres de l’équipe de chercheurs du télescope EHT ont travaillé dur pour extraire toutes les informations possibles.
En 2021, par exemple, ils ont mesuré la « polarisation linéaire » de la lumière provenant du trou noir, fournissant ainsi des informations sur la direction et l’amplitude des oscillations dans le champ électrique. La polarisation est le même effet que les lunettes de soleil utilisent pour bloquer les rayons du soleil, et les mesures polarimétriques sont un moyen de détecter et de cartographier les champs électromagnétiques. La mesure de la polarisation linéaire de la lumière du trou noir supermassif M87* a permis de confirmer que les champs magnétiques autour du trou noir étaient très puissants et structurés de manière ordonnée.
Aujourd’hui, l’équipe de chercheurs du télescope EHT a publié ses derniers résultats, en étudiant la polarisation circulaire de la lumière provenant du trou noir.
« La polarisation circulaire est une variante de la polarisation linéaire dans laquelle le champ électrique tourne autour au lieu d’osciller dans un seul plan », explique Avery Broderick, membre de l’équipe de chercheurs du télescope EHT et professeur associé à l’Institut Perimeter et à l’Université de Waterloo.
Cette lumière en spirale est extrêmement utile. Elle peut fournir des informations sur la structure du champ magnétique et les particules responsables de la génération des émissions radio observées grâce au télescope EHT, explique Broderick.
Cependant, elle est également incroyablement faible.
« La polarisation circulaire est le dernier signal que nous avons recherché dans les premières observations du trou noir supermassif de la galaxi M87 à l’aide du télescope EHT, et c’était de loin le plus difficile à analyser », explique Andrew Chael, chercheur associé à la Gravity Initiative de l’Université de Princeton, qui a coordonné le projet. « Ces nouveaux résultats nous confortent dans l’idée que notre image d’un champ magnétique puissant imprégnant le gaz chaud entourant le trou noir est la bonne. » Les observations sans précédent obtenues grâce au télescope EHT nous permettent de répondre à des questions de longue date sur la façon dont les trous noirs consomment de la matière et lancent des jets en dehors de leurs galaxies hôtes. »
Il n’a pas été facile d’obtenir ces résultats. Le signal de polarisation circulaire ne représente qu’une infime fraction de la lumière totale reçue par le réseau de télescopes de l’EHT : il a été presque noyé par le désordre bruyant des émissions provenant de la région autour du trou noir.
En raison de la faiblesse du signal, de l’environnement chaotique autour du trou noir et des incertitudes concernant les performances des instruments du télescope EHT lorsque les données ont été capturées pour la première fois en 2017, des mesures exactes de la polarisation circulaire ne sont pas possibles pour le moment, pas plus qu’elles ne le seront sans de nouvelles observations. Mais l’équipe de chercheurs du télescope EHT a pu fixer des limites supérieures au niveau de polarisation circulaire dans l’image, le plaçant à moins de 3,7 % de la lumière totale.
« À moins de 4 parties sur cent, trouver le signal de polarisation circulaire, c’est comme entendre un murmure à travers une salle bondée. Il s’agissait d’un défi monumental », explique Broderick.
« Le signal de polarisation circulaire étant si faible, sa recherche a nécessité un examen et un traitement minutieux de toutes les sources d’erreur instrumentale. Une nouvelle technique, mise au point ici à Waterloo, a fourni des mesures rigoureuses de la crédibilité et de la fiabilité de toute mesure, et a abouti aux limites supérieures rapportées ici. »
Cette technique est une méthode d’imagerie polarimétrique qui non seulement reconstruit une image, mais estime également la probabilité de diverses caractéristiques de l’image. Sans elle, il n’aurait pas été possible d’obtenir une limite supérieure.
Et cette limite supérieure est une information précieuse.
Même sans détection ni confirmation claire de l’« orientation » de la polarisation (qu’elle tourne dans le sens des aiguilles d’une montre ou dans le sens inverse), l’équipe de chercheurs du télescope EHT a pu utiliser la limite supérieure pour contraindre le comportement du disque d’accrétion du trou noir supermassif M87*. Ces données s’ajoutent aux preuves de l’existence de champs magnétiques puissants et ordonnés à l’horizon des événements du trou noir supermassif M87*, et permettent d’expliquer comment la matière peut être lancée depuis la proximité du trou noir sous la forme d’un jet puissant.
Bien qu’il s’agisse du dernier signal du trou noir supermassif M87* recueilli au cours de la campagne d’observation historique à l’aide du télescope EHT de 2017, il ne s’agit que de la première incursion dans la cartographie de la polarisation circulaire à l’échelle de l’horizon. Au cours des six dernières années, l’équipe de chercheurs du télescope EHT a ajouté de nouveaux télescopes à son réseau mondial et a gagné en sensibilité. Ces progrès permettront bientôt de cartographier entièrement les structures magnétiques qui entourent les objets gravitationnels les plus extrêmes.
Plus d’informations
L’équipe de chercheurs du télescope Horizon des événements « Event Horizon Telescope (EHT) » regroupe plus de 300 chercheurs d’Afrique, d’Asie, d’Europe et d’Amérique du Nord et du Sud. Cette collaboration internationale vise à capturer les images de trous noirs les plus détaillées jamais obtenues en créant un télescope virtuel de la taille de la Terre. Soutenu par des investissements internationaux considérables, le télescope EHT relie les télescopes existants à l’aide de nouveaux systèmes, créant ainsi un instrument fondamentalement nouveau doté du pouvoir de résolution angulaire le plus élevé jamais atteint à ce jour.
Les télescopes individuels concernés sont : ALMA, APEX, le télescope de 30 mètres de l’IRAM, l’observatoire NOEMA de l’IRAM, le télescope James Clerk Maxwell (JCMT), le grand télescope millimétrique (LMT), le réseau submillimétrique (SMA), le télescope submillimétrique (SMT), le télescope du pôle Sud (SPT), le télescope Kitt Peak et le télescope du Groenland (GLT).
Le consortium du télescope EHT se compose de 13 instituts partenaires: l’Institut d’astronomie et d’astrophysique de l’Académie Sinica, l’Université d’Arizona, l’Université de Chicago, l’Observatoire d’Asie de l’Est, l’Université Goethe de Francfort, l’Institut de radioastronomie millimétrique, le Grand télescope millimétrique, l’Institut Max Planck de radioastronomie, l’Observatoire Haystack du MIT, l’Observatoire astronomique national du Japon, l’Institut Perimeter de physique théorique, l’Université Radboud et l’Observatoire astrophysique Smithsonian.
À propos de l’IP
L'Institut Périmètre est le plus grand centre de recherche en physique théorique au monde. Fondé en 1999, cet institut indépendant vise à favoriser les percées dans la compréhension fondamentale de notre univers, des plus infimes particules au cosmos tout entier. Les recherches effectuées à l’Institut Périmètre reposent sur l'idée que la science fondamentale fait progresser le savoir humain et catalyse l'innovation, et que la physique théorique d'aujourd'hui est la technologie de demain. Situé dans la région de Waterloo, cet établissement sans but lucratif met de l'avant un partenariat public-privé unique en son genre avec entre autres les gouvernements de l'Ontario et du Canada. Il facilite la recherche de pointe, forme la prochaine génération de pionniers de la science et communique le pouvoir de la physique grâce à des programmes primés d'éducation et de vulgarisation.