Les gens de l’IP — Dustin Lang, bricoleur de données
Les ours s’éloignaient à l’arrivée des humains au dépotoir, comprenant peut-être que les humains, un père et son fils, ne venaient pas leur faire concurrence pour avoir de la nourriture.
Le père et son fils cherchaient différents gadgets — des postes de radio, des téléviseurs, tout ce qui comportait des fils et des circuits et qui semblait récupérable. Le père, chauffeur d’autobus scolaire, adorait bricoler. Son fils, un garçon curieux qui n’avait pas encore 10 ans, avait attrapé la bosse du bricolage. La mère, infirmière, soignait leurs inévitables coupures et éraflures.
Après les séances de récupération en ces matins d’été, la voiture familiale pleine de trésors, le père et son fils retournaient à la fermette familiale de 6 hectares à Christina Lake (Colombie-Britannique), où chevaux et moutons broutaient entre des dépendances qui tenaient lieu d’ateliers d’électronique.
Le garçon, Dustin Lang, passait des heures à essayer — souvent sans succès — de faire fonctionner ces appareils. À l’occasion, l’électricité coulait comme du sang dans des veines métalliques, donnant une nouvelle vie à des appareils morts.
« C’était une merveilleuse façon de grandir, se souvient-il, dans un endroit magnifique, au milieu de nulle part. » [traduction]
Un jour, il a construit un télégraphe rudimentaire qu’il utilisait avec ses amis pour échanger des messages en Morse entre une classe et la bibliothèque de leur école primaire. À l’époque, il ne savait pas — et ne pouvait pas savoir — que quelques dizaines d’années plus tard, il contribuerait à donner vie à une autre machine électronique, beaucoup plus complexe, dans une vallée située juste de l’autre côté des montagnes, à l’ouest du village de son enfance.
Il ne pouvait certainement pas imaginer que son travail aiderait à révéler de nouvelles vérités incroyables à propos du ciel étoilé qui s’étend entre les sommets des montagnes.
Maintenant âgé de 40 ans et travaillant comme informaticien à l’Institut Périmètre, M. Lang se rappelle son enfance avec un mélange de nostalgie et d’incrédulité. Son parcours vers l’Institut Périmètre semble improbable sous certains aspects, mais d’une certaine façon presque inévitable.
Pour lui, c’est pure coïncidence qu’il ait grandi à quelques vallées de distance du site d’Okanagan Falls où se trouve le télescope CHIME — jusqu’à maintenant l’objet le plus important de sa carrière scientifique.
Pour le reste, il attribue son parcours à la curiosité et à la passion : un amour de l’électronique et des ordinateurs qui remonte à l’époque où il fouillait dans le dépotoir avec son père. Il se rappelle le moment où son école primaire a acquis des ordinateurs tout neufs, de modèle Apple IIe, sur lesquels il a joué à des jeux simples et appris les rudiments de la programmation.
Au secondaire, les enseignants ont nourri sa passion des ordinateurs et l’ont encouragé à chercher au-delà de son milieu rural des possibilités d’études postsecondaires. Au bout de 7 heures d’autocar, il est arrivé à l’Université de la Colombie-Britannique, où une seule résidence pour étudiants pouvait loger plus que la population de son village d’origine. Après avoir obtenu un baccalauréat et une maîtrise en informatique (et rencontré la collègue informaticienne qui allait devenir sa femme), il est allé faire son doctorat à l’Université de Toronto.
C’est là que son codirecteur de thèse, un astronome, l’a encouragé à appliquer ses techniques d’informatique aux énormes jeux de données résultant d’observations du cosmos. Sa carrière l’a ensuite amené à faire des postdoctorats à l’Université de Princeton, à l’Université Carnegie Mellon, puis à nouveau à Toronto.
Lorsqu’une offre d’emploi est parue en ligne pour un poste d’informaticien à l’Institut Périmètre — avec une combinaison d’expérience en analyse de données massives et en astrophysique —, des amis de Dustin Lang lui ont dit à la blague que la description de poste avait été écrite pour lui. Ce n’était pas le cas, mais l’étonnante correspondance entre son profil et les exigences du poste n’a pas échappé aux responsables de l’embauche.
Après son arrivée à l’Institut Périmètre en septembre 2018, il s’est joint à une équipe qui travaillait depuis plusieurs années sur un défi d’astronomie exigeant beaucoup d’ingéniosité informatique. Kendrick Smith, professeur à l’Institut Périmètre, et des collègues d’organismes partenaires étaient à la recherche de sursauts radio rapides (SRR) : de soudains, brefs et mystérieux sursauts d’énergie survenant dans des galaxies lointaines.
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Le télescope CHIME, à Penticton (Colombie-Britannique)[/caption]
La cause des SRR était et demeure un mystère, mais l’équipe de recherche savait que la première chose à faire pour résoudre ce mystère était de détecter davantage de SRR, car on n’en avait perçu en tout et pour tout que quelques dizaines.
L’équipe croyait pouvoir se servir d’un télescope existant, construit en Colombie-Britannique pour une autre expérience — l’expérience canadienne de cartographie d’intensité de l’hydrogène —, afin de trouver d’autres SRR, à condition de concevoir le logiciel approprié.
C’était tout un défi : le logiciel devait apercevoir en temps réel, au milieu de toutes les données d’observation du télescope CHIME, des empreintes fugaces témoins de lointaines explosions. Étant donné l’énorme quantité de données recueillies par le télescope, c’était comme de trouver une aiguille dans d’innombrables bottes de foin.
Comme le télescope sonde en même temps des milliers de portions du ciel, faisant un balayage au fur et à mesure de la rotation de la Terre, les chercheurs devaient raffiner leur logiciel pour qu’il reconnaisse une baisse légère et momentanée de la fréquence du signal.
Il fallait d’innombrables lignes de code exécutées dans des superordinateurs à refroidissement par liquide, placés dans des contenants spécialement isolés sur le site du télescope CHIME. Il fallait aussi énormément de collaboration avec des collègues d’un bout à l’autre du Canada, beaucoup d’essais, d’erreurs et de corrections, et une bonne dose d’optimisme.
Et cela a fonctionné. Presque immédiatement après avoir été équipé de son matériel et de son logiciel personnalisés, le télescope CHIME a détecté 13 SRR pendant une séance de prédémarrage. L’équipe du télescope CHIME avait réussi en quelques semaines autant que ce qui avait été accompli en 10 années.
« C’était assez étonnant », se rappelle M. Lang à propos des résultats annoncés par l’équipe au début de 2019. « Nous avions l’embarras du choix. » [traduction]
Et les trésors continuent d’affluer dans le télescope CHIME. Les résultats des observations continues ne sont pas encore publics, mais Dustin Lang s’attend à ce que les prochains articles publiés par l’équipe confirment le statut de CHIME comme source la plus prolifique de SRR au monde.
Avec un tel accroissement de la capacité à détecter des SRR, les scientifiques ont beaucoup plus de chances d’en comprendre les causes — étoiles à neutrons, trous noirs, supernovas ou autres possibles coupables.
Dustin Lang trouve « un peu surréel » de travailler sur un télescope vraiment révolutionnaire situé de l’autre côté des montagnes, presque à côté — à l’échelle de la Colombie-Britannique — du dépotoir où est née sa passion pour les gadgets électroniques.
« Je suis encore stupéfait que l’on puisse apprendre des choses importantes à propos de l’univers en écrivant des programmes informatiques, dit-il. C’est cette sensation merveilleuse — l’étonnement que de telles choses soient possibles — qui me stimule. » [traduction]
Le télescope CHIME détecte des sursauts radio rapides…
À propos de l’IP
L'Institut Périmètre est le plus grand centre de recherche en physique théorique au monde. Fondé en 1999, cet institut indépendant vise à favoriser les percées dans la compréhension fondamentale de notre univers, des plus infimes particules au cosmos tout entier. Les recherches effectuées à l’Institut Périmètre reposent sur l'idée que la science fondamentale fait progresser le savoir humain et catalyse l'innovation, et que la physique théorique d'aujourd'hui est la technologie de demain. Situé dans la région de Waterloo, cet établissement sans but lucratif met de l'avant un partenariat public-privé unique en son genre avec entre autres les gouvernements de l'Ontario et du Canada. Il facilite la recherche de pointe, forme la prochaine génération de pionniers de la science et communique le pouvoir de la physique grâce à des programmes primés d'éducation et de vulgarisation.