Les sursauts radio rapides formaient un phénomène entièrement nouveau — et profondément mystérieux — lorsque Emily Petroff est partie en Australie pour entreprendre son doctorat en astrophysique, en 2012.
Le tout premier de ces mystérieux éclairs lumineux dans le ciel nocturne avait été découvert à peine six ans plus tôt par l’astronome américain Duncan Lorimer, alors qu’il fouillait avec un étudiant dans des données d’archives issues d’un relevé sur les pulsars.
La communauté scientifique était complètement déconcertée. Comment ces « sursauts » pouvaient-ils apparaître au hasard dans le ciel pendant une fraction de milliseconde, tout en étant si lumineux qu’ils produisent plus d’énergie que le Soleil en un mois ? Que pouvaient-ils bien être ?
Ces questions ont enflammé l’imaginaire et l’enthousiasme des astrophysicien·ne·s, au moment même où Petroff entamait ses propres recherches scientifiques. Elle s’est naturellement tournée vers leur étude — et a même rédigé la toute première thèse de doctorat consacrée aux sursauts radio rapides.
« C’était un mystère — et tout le monde aime les mystères, moi y compris », explique-t-elle en parlant du choix de son sujet.
Aujourd’hui, Emily Petroff est directrice des relations externes à l’Institut Périmètre, bien connue du public des conférences pour ses animations et présentations des conférencier·ère·s invité·e·s.
Petroff ne fait plus activement de recherche, mais l’un des derniers volets de sa carrière scientifique vient tout juste d’être publié dans la revue Astronomy & Astrophysics.
L’article, intitulé Comprehensive analysis of the Apertif fast radio burst sample, dirigé par sa collaboratrice Inés Pastor-Marazuela, représente l’aboutissement de plusieurs années de travail que Petroff a consacrées à l’étude des sursauts radio rapides. Cette étude découle d’un relevé de sursauts auquel elle a participé pendant son stage postdoctoral à l’Institut néerlandais de radioastronomie (ASTRON) et au cours de sa bourse NWO Veni à l’Université d’Amsterdam.
Lorsqu’elle est arrivée aux Pays-Bas comme chercheuse postdoctorale, un radiotélescope de 50 ans situé à Westerbork était en pleine transformation. On le rééquipait pour étudier les sursauts radio rapides — avec de nouveaux récepteurs et un superordinateur. Le tout formait le système Apertif Radio Transient System (ARTS).
Petroff a été impliquée dans presque toutes les étapes du déploiement du système et du relevé. Elle faisait partie de l’équipe de mise en service chargée de vérifier que les données entraient correctement et que les scientifiques obtenaient les résultats attendus. Puis, lorsque le relevé Apertif a commencé, elle a participé aux observations et à l’analyse des données.
« J’ai passé beaucoup de temps devant l’ordinateur à faire bouger les télescopes et à analyser des données. Chaque fois qu’on découvrait un sursaut radio rapide, j’aidais nos doctorant·e·s à analyser et à interpréter les résultats. »
Le relevé, qui s’est déroulé de juillet 2019 à février 2022, a permis de détecter deux douzaines de sursauts radio rapides. Ces résultats s’ajoutent aux preuves selon lesquelles ces puissants sursauts proviendraient d’étoiles à neutrons jeunes, fortement magnétisées et très énergétiques.
La première autrice de l’article récemment publié est Inés Pastor-Marazuela, aujourd’hui titulaire d’une bourse de recherche Rubicon (NWO) au Jodrell Bank Centre for Astrophysics (Université de Manchester, Royaume-Uni). Elle était doctorante lorsque ce relevé a été mené.
Selon Petroff, ce que Pastor-Marazuela et ses collègues ont accompli, c’est une analyse extrêmement détaillée et rigoureuse de ces 24 sursauts radio rapides. L’équipe a examiné l’échantillon sous toutes ses coutures — en fonction de la luminosité et d’autres propriétés techniques.
« Nous avons pu étudier ces sursauts dans un niveau de détail impressionnant. Leur forme ressemble beaucoup à ce qu’on observe chez les jeunes étoiles à neutrons », explique Pastor-Marazuela dans un communiqué d’ASTRON. « La manière dont les signaux radio ont été émis, puis modifiés pendant leur voyage à travers l’espace sur des milliards d’années, est aussi compatible avec une origine liée aux étoiles à neutrons — ce qui renforce encore davantage cette conclusion », ajoute-t-elle.
Petroff souligne que d’autres études avaient déjà pointé vers cette hypothèse, mais celle-ci a permis d’observer des sursauts radio rapides « ultra-lumineux et ultra-lointains ».
Selon ASTRON, c’est un fait remarquable : on sait déjà que les étoiles à neutrons de notre propre galaxie peuvent produire d’énormes quantités d’énergie. « Mais celles qui sont lointaines arrivent d’une manière ou d’une autre à générer un milliard de fois plus d’énergie que les plus proches. »
Ces résultats ouvrent « un espace de paramètres très intéressant dans l’étude des sursauts radio rapides », dit Petroff. En quelque sorte, chaque sursaut raconte sa propre histoire, et chaque signal détecté à une fréquence différente ajoute à notre compréhension de ces phénomènes dans l’univers.
Il reste encore des zones d’ombre, même si de plus en plus d’éléments relient ces sursauts aux étoiles à neutrons.
« Nous ne comprenons toujours pas très bien comment ces sursauts sont générés », explique-t-elle. La recherche sur les sursauts radio rapides en est encore à ses débuts, comparée à d’autres volets de l’astrophysique. Mais à terme, elle pourrait nous en apprendre davantage sur ce qui se passe dans les noyaux et les champs magnétiques des étoiles à neutrons, ajoute Petroff.
C’est précisément pour cela que la physique théorique, dans des lieux comme l’Institut Périmètre, est si essentielle, selon elle. Chaque fois qu’un phénomène inexplicable surgit, c’est aux théoricien·ne·s de proposer des pistes. De nombreuses idées créatives ont émergé lorsque les sursauts radio rapides ont été détectés pour la première fois. Aujourd’hui, on est plus confiant quant à leur origine stellaire, mais il reste beaucoup d’inconnues sur le mécanisme à l’origine de ces signaux. Les physicien·ne·s théoricien·ne·s poursuivent ce travail, dit-elle.
Même si Petroff ne fait plus de recherche active, elle se réjouit de voir de jeunes chercheur·euse·s rejoindre la communauté scientifique en pleine croissance autour des sursauts radio rapides.
« C’est merveilleux de voir ce domaine décoller, et de voir autant de jeunes s’y investir », dit-elle. « Ça fait chaud au cœur. »
Petroff est aussi enthousiaste quant aux surprises qui restent à venir.
« Ce domaine a déjà été rempli de surprises et de découvertes inattendues. Alors on ne sait jamais. Il pourrait encore y en avoir d’ici cinq ans. Il faudra voir ce que l’univers nous réserve », conclut-elle.
For additional information, see the press release from ASTRON:
https://www.astron.nl/fast-radio-bursts-appear-to-be-neutron-stars/
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