Le réseau neuronal — Comment l’intelligence artificielle alimente le projet Phasebook

De nouvelles recherches effectuées par des scientifiques de l’Institut Périmètre font appel à des techniques d’intelligence artificielle pour étudier des états de la matière.

Un algorithme d’apprentissage automatique conçu pour enseigner à un ordinateur à reconnaître des photos, des modèles de voix et des chiffres manuscrits vient d’être appliqué dans un domaine tout à fait différent : la reconnaissance de différents états de matière condensée.

Dans un projet appelé un peu à la blague Phasebook (où le mot anglais phase fait référence aux états de la matière), 2 chercheurs de l’Institut Périmètre ont montré qu’un réseau neuronal — élément standard des algorithmes actuels d’intelligence artificielle (IA) — est également capable d’identifier des transitions entre états de la matière. Ces travaux, publiés aujourd’hui dans la revue Nature Physics, confirment que la relation entre la physique théorique et l’IA peut être fructueuse dans les 2 sens.

Il y a depuis longtemps des liens entre les 2 domaines. La recherche en IA a souvent fait appel à des physiciens pour la mise au point de systèmes commerciaux d’apprentissage automatique. Aujourd’hui, Juan Carrasquilla, ancien postdoctorant à l’Institut Périmètre, et Roger Melko, professeur associé à l’Institut Périmètre et professeur agrégé à l’Université de Waterloo, retournent la situation en posant une question relativement simple : les systèmes standard d’IA pourraient-ils contribuer à la recherche en physique?

Pour trouver la réponse, MM. Carrasquilla et Melko ont mis à profit TensorFlowMC de Google, bibliothèque de logiciels libres d’apprentissage automatique, et l’ont appliquée à un système physique.

Le même algorithme permet à des ordinateurs de lire des chiffres manuscrits, comme ceux que l’on trouve sur des enveloppes mises à la poste ou sur des chèques. Il est également utilisé pour la reconnaissance faciale ainsi que le traitement et la traduction de langues naturelles, et il est célèbre pour avoir battu le champion du monde humain du traditionnel jeu de Go.

« Au lieu de lui faire reconnaître des chiffres manuscrits », déclare M. Melko, titulaire de la chaire de recherche du Canada (de niveau 2) en physique informatique quantique à N corps et récipiendaire de la médaille Herzberg 2016 de l’Association canadienne des physiciens et physiciennes, « nous avons pris le même réseau neuronal et y avons mis des images produites par ordinateur de différents états de la matière. » [traduction]

Juan Carrasquilla, ancien postdoctorant à l’Institut Périmètre[/caption]

Le réseau neuronal a distingué des états d’un aimant simple. Il a aussi distingué un état ferromagnétique ordonné d’un état désordonné à haute température. Selon Juan Carrasquilla, qui travaille maintenant chez D-Wave Systems, entreprise d’informatique quantique, le réseau neuronal a même pu reconnaître la frontière, ou transition, entre 2 états.

« Nous avons inspecté le réseau neuronal, explique-t-il, et nous avons constaté qu’il apprend à lire la magnétisation des images, c’est-à-dire le concept théorique servant à quantifier le degré d’ordre dans des aimants simples. » [traduction]

Ces résultats ouvrent de nouvelles voies de recherche sur la matière condensée et en physique statistique. Ces travaux, qui ont fait l’objet d’une prépublication dans arXiv en mai 2016, ont déjà été cités dans divers articles sur une variété de sujets allant de l'intrication quantique à la recherche sur l’ADN.

Jeter les bases de l’apprentissage automatique quantique

Certains travaux ont repris l’idée générale et l’ont appliquée dans divers domaines; d’autres ont également fait appel à TensorFlow comme outil de recherche. Roger Melko lui-même est à la recherche de nouvelles applications d’apprentissage automatique en physiques.

Avec Jeff Chen — un de ses collègues à l’Université de Waterloo qui est également membre affilié à l’Institut Périmètre —, M. Melko a utilisé TensorFlow pour étudier à quel moment et de quelle manière des polymères se replient. Ces travaux (en attente de publication) sont liés à des questions difficiles concernant l’étude des protéines et de l’ADN.

Rien de cela ne s’annonçait lorsque MM. Carrasquilla et Melko ont commencé à jouer avec l’idée de se servir de TensorFlow. « J’étudiais certains cours en ligne sur l’apprentissage automatique, raconte M. Carrasquilla. Cela m’intéressait, et je voulais appliquer ces idées à des problèmes de physique de la matière condensée. Les réseaux neuronaux me semblaient les plus indiqués, car ils me rappelaient les fonctions d’onde que l’on utilise dans des problèmes de physique à N corps. » [traduction]

Roger Melko dit que lui et son collègue ne savaient pas à quoi s’attendre. « Cela me semblait très hasardeux » [traduction], admet-il.

Les réseaux neuronaux ne fonctionnent que si l’on dispose de suffisamment de données brutes. Il faut des millions de photos de chat pour apprendre à un ordinateur à distinguer un Siamois d’un Shar-peï. S’il n’y a pas assez de données, le logiciel ne peut pas apprendre.

Heureusement, les physiciens de l’Institut Périmètre et d’ailleurs ont des montagnes de données numériques, résultat de décennies de simulations dans des superordinateurs et d’observations expérimentales. MM. Carrasquilla et Melko ont utilisé des masses d’images de différents états de la matière, créées à l’aide de logiciels de simulation dans les superordinateurs de l’Université de Waterloo. Ils ont introduit les données, puis attendu. Le logiciel pourrait-il apprendre à reconnaître des états de la matière au lieu de félins? Il s’est avéré que oui.

« Lorsque nous avons vu que cela fonctionnait, dit M. Melko, nous savions que ce serait la même chose pour tout le reste. Et tout d’un coup, il n’y a plus de limite. Toute personne qui, comme moi, a accès à des masses de données peut essayer ces réseaux neuronaux standard. » [traduction]

Cela ne constitue qu’un volet d’une explosion d’intérêt envers l’apprentissage automatique, dont on prédit qu’il aura des répercussions dans tous les domaines, des grandes banques à la planification du transport en commun. Roger Melko, qui a organisé la première conférence sur l'apprentissage automatique quantique à l’Institut Périmètre en 2016, voit une question plus fondamentale à aborder. Il veut comprendre comment un réseau neuronal de quelques mégaoctets peut représenter une fonction d’onde quantique dont la simulation exige des gigaoctets.

« C’est une question de représentation, dit-il : comment se fait-il qu’un réseau neuronal soit assez puissant pour représenter de manière efficace et compacte une fonction d’onde quantique? Nous n’avons pas encore de réponse à cette importante question. » [traduction]


Réseaux neuronaux : comment l’intelligence artificielle alimente Phasebook

À propos de l’IP

L'Institut Périmètre est le plus grand centre de recherche en physique théorique au monde. Fondé en 1999, cet institut indépendant vise à favoriser les percées dans la compréhension fondamentale de notre univers, des plus infimes particules au cosmos tout entier. Les recherches effectuées à l’Institut Périmètre reposent sur l'idée que la science fondamentale fait progresser le savoir humain et catalyse l'innovation, et que la physique théorique d'aujourd'hui est la technologie de demain. Situé dans la région de Waterloo, cet établissement sans but lucratif met de l'avant un partenariat public-privé unique en son genre avec entre autres les gouvernements de l'Ontario et du Canada. Il facilite la recherche de pointe, forme la prochaine génération de pionniers de la science et communique le pouvoir de la physique grâce à des programmes primés d'éducation et de vulgarisation.

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