La vision hors du commun de Jocelyn Bell Burnell

Pionnière de l’astrophysique, Jocelyn Bell Burnell n’hésite pas à relever des défis, qu’il s’agisse d’analyser des données, de s’attaquer au sexisme ou d’être à l’avant-garde du changement dans la science elle-même.

Jocelyn Bell Burnell a un talent particulier pour remarquer ce qui passe inaperçu. Pendant sa tendre enfance, sa famille accueillait des réfugiés de l’Europe d’Hitler. Ils étaient 4 ou 5 à la fois, apprenant l’anglais et participant aux travaux de la ferme familiale à Lurgan, en Irlande du Nord.

Les réfugiés allaient et venaient, leur vie flottant dans un monde ravagé par la guerre. Mais alors qu’ils pouvaient se sentir oubliés, la petite fille qui était au milieu d’eux les remarquait, et se souvenait d’eux.

En 1967, cette fille était devenue étudiante diplômée à Cambridge, se passionnant de radioastronomie. Après avoir passé 2 ans à participer à la construction d’un radiotélescope, elle devait examiner les kilomètres de graphiques qu’il produisait sur papier, afin de trouver des signaux d’objets quasi stellaires appelés quasars.”

Un jour, elle a remarqué quelque chose sur un graphique produit par le radiotélescope : une petite irrégularité, où l’une des courbes du graphique sautait brièvement. Comme ce n’était pas le signe d’un quasar, elle a continué sans s’arrêter. Plus loin sur le graphique, la courbe sautait à nouveau. Cela déclencha quelque chose. « J’ai déjà vu ça », se souvient-elle d’avoir pensé. Elle est revenue en arrière dans le graphique pour trouver la première irrégularité et a comparé les deux. Elles étaient identiques.

Mme Bell Burnell venait de découvrir la première preuve de l’existence de pulsars, des étoiles à neutrons en rotation qui émettent un faisceau d’ondes radio balayant l’espace, comme la lumière d’un phare balaie le ciel.

Elle a trouvé ainsi les 4 premiers pulsars et a publié les preuves de leur existence dans une annexe de sa thèse de doctorat. (Son directeur de thèse lui avait dit qu’il était trop tard pour changer de sujet et passer des quasars aux pulsars. « C’est probablement l’annexe la plus lue de toutes les thèses » [traduction], dit-elle en forme de boutade. De manière discutable, son directeur de thèse a finalement été colauréat du prix Nobel 1974 pour son « rôle décisif » dans la découverte des pulsars.)

Mais ce qui aurait dû lancer la carrière de Jocelyn Bell Burnell en radioastronomie en a plutôt été la fin, car elle s’était fiancée.

Dans la Grande-Bretagne des années 1960 et 1970, il était impensable qu’une femme mariée ait une carrière professionnelle. Du moins, c’était impensable pour les gens à l’esprit fermé, ce qui, comme d’habitude, n’était pas le cas de Mme Bell Burnell.

Avec un doctorat de Cambridge en main et la découverte des pulsars à son crédit, elle a écrit des lettres de demande à des observatoires et à des universités, sollicitant n’importe quel emploi possible dans n’importe quelle ville où son mari travaillait. « Pour être honnête, je ne trouvais pas cela acceptable », a t-elle déclaré lors d’une récente visite à l’Institut Périmètre pour prononcer une conférence publique. « C’était très exaspérant. » [traduction]

Lorsqu’ils eurent un fils, elle dut faire face à un nouvel obstacle. « Les Britanniques étaient d’avis — et, apparemment, c’était même “prouvé” — que les enfants d’une mère au travail devenaient délinquants. » Il n’y avait donc aucun service de garde, parce que cela aurait été vu comme un encouragement au travail des mères. « C’était extrêmement difficile » [traduction], ajoute-t-elle..

Loin de sa famille étendue et sans soutien social, elle a dû recourir à un mélange improvisé de travail à temps partiel et de solutions à la pièce pour faire garder son fils par des gens du voisinage. Et cela a duré pendant 18 ans.

« J’étais aussi dynamique que je le pouvais. J’obtenais un emploi plutôt modeste non loin du lieu de travail de mon mari. Je travaillais aussi bien et intelligemment que je le pouvais, et je grimpais dans la hiérarchie. » Et alors la famille déménageait. « Vous connaissez le jeu des serpents et des échelles? On monte une échelle, on glisse sur un serpent, on remonte une échelle… » [traduction]

Cette carrière en courte-pointe présentait des avantages inattendus. Jocelyn Bell Burnell a découvert assez tôt qu’elle avait un talent pour diriger des équipes. Elle a occupé des postes en relations publiques, comme agent de liaison à l’échelle internationale, dans le service technique d’un projet de recherche, et elle a enseigné au 1er cycle universitaire. Et elle a fini par travailler dans pratiquement toutes les longueurs d’onde en astronomie.

« Chaque fois que nous déménagions, je devais apprendre une nouvelle sorte d’astronomie, ce qui d’une certaine manière est très inefficace, mais aussi extrêmement intéressant et donne une grande étendue de connaissances », dit-elle avant d’ajouter avec un sourire en coin : « Mais cela vous rend beaucoup trop utile au sein de comités qui évaluent des propositions. » [traduction]

Pendant tout ce temps, le milieu de la radioastronomie a gardé le contact avec elle à propos de ce qui l’intéressait vraiment : les pulsars.

Maintenant retirée de la recherche active, et Dame commandeur dans l’Ordre de l’Empire britannique, Mme Bell Burnell conserve des liens étroits avec les recherches les plus récentes et le besoin de promouvoir la diversité en sciences par le truchement de programmes tels qu’Athena SWAN, charte d’égalité des sexes qu’elle a contribué à créer en 2005 pour les universités du Royaume-Uni.

Shohini Ghose et Jocelyn Bell Burnell en conversation à l’Institut Périmètre après une discussion sur la diversité et l’inclusion[/caption]

Elle suit de près l’évolution de la science et de la société, avec son humour bien connu, son regard acéré et une détermination sans faille à dénoncer les inégalités partout où elle les constate.

Même si elle n’a jamais protesté contre le fait que le prix Nobel soit allé à son directeur de thèse — à l’époque, les étudiants n’étaient pas inclus dans les citations des comités Nobel; cela a changé après le tollé soulevé par l’exclusion de Mme Bell Burnell —, l’éminente physicienne refuse de se taire face aux problèmes structurels qui continuent d’empêcher certains d’atteindre leur plein potentiel.

« Il y a peu de personnes qui ont vécu tout ce j’ai traversé et qui sont dans une position suffisamment confortable pour parler de ces problèmes, dit-elle. Je crois que les gens doivent savoir. » [traduction]

Et ce ne sont pas seulement des paroles. Cette année, Jocelyn Bell Burnell a reçu le prix scientifique le plus richement doté, le Prix spécial du progrès scientifique (Breakthrough Prize) en physique fondamentale. Elle a presque immédiatement annoncé qu’elle allait faire don du montant de 3 millions de dollars US rattaché au prix pour financer des bourses de recherche administrées par l’Institut de physique du Royaume-Uni, en faveur de groupes sous-représentés.

Cela inclura les femmes, mais aussi les minorités ethniques, raciales et socio-économiques. « Et quelques réfugiés, j’espère, ajoute-t-elle. L’une des choses qui m’ont vraiment frappée, c’est que certains des premiers réfugiés venus de Syrie étaient des gens extrêmement qualifiés, par exemple des pédiatres.

« Je suppose que certains d’entre eux ont obtenu un baccalauréat ou un diplôme de 1er cycle universtaire en physique et sont assez brillants pour faire de la recherche. » [traduction]

Et comme Mme Bell Burnell le sait très bien, quelque chose que l’on néglige facilement peut s’avérer réellement révolutionnaire. Il suffit de savoir regarder.


Visionnez la conférence publique de Jocelyn Bell Burnell à l’Institut Périmètre :

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