Faites de la physique, vous allez voyager
Certaines trajectoires professionnelles de physiciens sont assez évidentes. Il y a beaucoup d’ex-physiciens à Wall Street et à Bay Street, tout comme dans les jeunes pousses d’informatique, et les entreprises de données massives vont directement vers les programmes d’études supérieures en physique pour trouver des gens capables de distinguer les signaux significatifs du bruit ambiant. Ajoutez le talent mathématique à des compétences techniques comme l’analyse de données ou la programmation informatique, et vous avez une combinaison puissante, très précieuse quand il faut résoudre des problèmes difficiles à l’aide d’outils technologiques.
Mais ce que l’on reconnaît moins souvent, c’est que la physique, en tant que discipline, exige et enseigne des choses comme la pensée abstraite, la persévérance et la créativité. Cela peut expliquer le succès de physiciens dans des domaines aussi divers que la politique (Angela Merkel a fait sa thèse de doctorat en chimie quantique), la médecine et les arts.
Comme un bon vieux revolver à 6 coups dans un western, la physique a plusieurs cordes à son arc et de l’endurance. Pas surprenant que certains physiciens aillent loin. Voici 6 jeunes aventuriers qui sont heureux que la physique fasse partie de leur bagage.
TOURNER LA PAGE
Rowan Thomson a fait sa thèse de doctorat en théorie des cordes. Maintenant, elle travaille sur le traitement du cancer. Selon elle, c’est moins un saut qu’un nouveau chapitre.
Elle a commencé ses études universitaires en biochimie, puis est passée à la physique. Alors qu’à l’école secondaire la physique consistait à appliquer des équations, à l’université Rowan Thomson a vu la trame narrative. « La physique, dit-elle, est comme un livre qui devient meilleur à mesure qu’on le lit. » [traduction]
Cette attitude de curiosité et d’ouverture a donné à Mme Thomson la formation et la souplesse voulues pour passer d’un doctorat en théorie des cordes à un postdoctorat en physique médicale. Aujourd’hui, elle est professeure agrégée à l’Université Carleton et titulaire d’une chaire de recherche du Canada. Elle s’intéresse aux questions théoriques concernant les interactions entre matière et rayonnement, et aux manières d’améliorer les traitements du cancer par radiothérapie.
Une grande partie du travail de Mme Thomson est de nature calculatoire : par exemple, elle utilise des techniques de Monte Carlo pour faire des simulations de transport de rayonnement et de dépôt d’énergie aux échelles cellulaire et subcellulaire.
Son équipe de recherche a mis au point BrachyDose, un progiciel de simulation rapide par la méthode de Monte Carlo d’une brachythérapie (type de radiothérapie, aussi appelé curiethérapie ou radiothérapie interne, où la source radioactive est implantée à l’intérieur du corps, à l’emplacement de la tumeur ou à proximité). Ce progiciel est en cours de déploiement dans des centres de cancérologie pour la planification et l’évaluation de traitements, en plus d’être utilisé dans des études de dosimétrie pour le traitement de cancers de l’œil, du sein, du poumon et de la prostate.
C’est merveilleux que son travail puisse se traduire par des traitements plus efficaces du cancer, mais Rowan Thomson dit que ce n’est pas sa principale motivation. Elle est d’abord et avant tout une physicienne, curieuse de comprendre le fonctionnement de la nature. « La physique constitue une bonne formation pour le cerveau, dit-elle, peu importe ce qu’on en fait ensuite. » [traduction]
HABITUDES DE PENSÉE
Ken Neerhold est un apprenti chef pâtissier qui détient une maîtrise en physique des particules de haute énergie. « Voyez jusqu’à quel point je me suis éloigné de la religion de la science! », dit-il alors que des nuages de sucre glace flottent autour de lui. « Mais en fait, je n’en suis pas aussi loin que vous pourriez le croire. » [traduction]
La cuisine et la pâtisserie sont des disciplines scientifiques — mélanges de physique, de chimie, d’un peu de biologie et de beaucoup de technique de laboratoire —, mais ce n’est pas ce que Ken Neerhold veut dire. « Toutes mes meilleures habitudes de pensée, je les ai acquises en travaillant sur des accélérateurs de particules, dit-il. Et cela comprend des méthodes de résolution de problèmes que j’utilise encore tous les jours. Comment définir et contrôler des variables, comment simplifier les problèmes et se concentrer sur les résultats. Je le faisais avec des chemins de câbles; je le fais maintenant surtout avec des moules en silicone. » [traduction]
Il explique certains problèmes qu’il a avec des bonbons collant à des moules complexes. « La persévérance, l’importance du tableau d’ensemble, la recherche de l’excellence — même si cela peut prendre des années —, c’est ce que la physique m’a apporté. » [traduction]
DÉCOMPOSER LE PROBLÈME
Le chemin menant de la relativité générale à l’écriture de volumes pour enfants a été, selon les termes de Kevin Sands, long et sinueux.
Ce chemin a commencé par un désenchantement face au monde universitaire, a fait un détour par la consultation pour des entreprises, puis s’est arrêté au poker en ligne avant d’aboutir à l’écriture. Au début, Kevin Sands enseignait à temps partiel pour financer ses activités d’écriture, mais depuis que son premier roman, The Blackthorn Key, traduit en français sous le titre Le mystère Blackthorn, a connu un lancement fulgurant chez Simon & Schuster l’an dernier, il est auteur à plein temps.
Comment une formation en physique contribue-t-elle au travail de romancier? « Cela ne se fait pas directement », dit Kevin Sands en faisant remarquer qu’il n’y a pas beaucoup de place pour les mathématiques des tenseurs dans les aventures pour enfants. « Mais vous seriez surpris. Cela éclaire assurément mon processus de création. » [traduction]
Lorsqu’il a commencé à écrire, il s’est tourné vers d’autres auteurs pour avoir des conseils, et il a sollicité des critiques. « J’ai beaucoup appris de cette manière, dit-il, mais, en réalité, ce que j’ai fait et que je fais encore, c’est ce que fait un physicien : je découpe mes romans beaucoup comme on découperait un théorème en mathématiques. » [traduction]
Les diplômes de physique et de mathématiques sont « au bout du compte des diplômes de résolution de problèmes », dit-il. Les physiciens décomposent des problèmes en un certain nombre d’autres problèmes plus petits, définissent avec soin ce qui est connu et ce qui est inconnu, et trouvent où les choses pourraient mal aller. « Si j’essaie de m’instruire sur le rythme d’un récit, je recherche des livres dont le rythme est excellent. Quels auteurs sont efficaces à ce titre? Pourquoi le sont-ils? Comment y parviennent-ils? Quels trucs puis-je utiliser? »
Il hausse les épaules et ajoute : « J’ai décrit ce processus à quelqu’un lors d’un repas, et il m’a dit que c’était une démarche très scientifique. J’ai été surpris. Je n’avais jamais pensé à cela. Mais, bien entendu, il avait raison. » [traduction]
UN SAUT QUANTIQUE DANS L’AVENIR
Gus Gutoski était étudiant de 1er cycle en informatique à l’Université de Waterloo lorsqu’un jour il a entendu dire qu’un ordinateur quantique pourrait « percer Internet ».
Cet aperçu de l’avenir, avec le potentiel aussi effrayant que merveilleux de l’ordinateur quantique, a amené Gus Gutoski à faire un postdoctorat en théorie de l’information et cryptographie quantiques à l’Institut Périmètre et à l’Université de Waterloo.
Maintenant, il prépare des organisations à cet avenir quantique dans le cadre de son travail chez ISARA Corp., jeune entreprise de Waterloo qui aide les clients, les entreprises et les gouvernements à protéger leurs données actuelles à l’aide de systèmes de cryptographie à l’épreuve des attaques quantiques. « Notre objectif, dit-il, est de permettre aux gens de profiter des avantages des ordinateurs quantiques sans être menacés par ceux-ci. » [traduction]
Cela peut sembler prématuré, puisqu’il pourrait s’écouler des décennies avant qu’un ordinateur quantique puisse violer les systèmes actuels de cryptographie.
Mais, ajoute M. Gutoski « vous seriez surpris du temps qu’il faut pour changer de système de cryptographie » [traduction]. De nombreux ministères et agences de gouvernements, sans parler des institutions financières, possèdent dans leurs ordinateurs des données pour lesquels ils doivent s’assurer qu’elles seront encore cryptées même dans 30 ans.
Il utilise sa formation en physique pour résoudre des problèmes pratiques comme celui-ci : combien d’interrogations un ordinateur quantique devrait-il faire avant de pouvoir faire intrusion dans cette boîte noire d’information?
Pour Gus Gutoski, c’est un domaine fascinant, avec en prime le fait que l’avenir est plein de questions intéressantes. Et la physique peut être utile dans tous ces sujets. « Si vous êtes passionné de physique, conclut-il, elle s’applique vraiment, alors n’hésitez pas. » [traduction]
EXPLIQUER LE MONDE
Qu’arrive-t-il lorsque vous combinez la capacité extraordinaire qu’a la physique d’expliquer le monde et le pouvoir qu’a la vidéo de transmettre ces explications au grand public? Si vous le faites bien, vous obtenez un immense auditoire de centaines de milliers de personnes intéressées.
Bref, vous devenez Henry Reich, le créateur de MinutePhysics. Celui-ci combine croquis, humour et narration hors-champ pour créer des capsules de physique courtes, efficaces et éducatives.
Ses vidéos couvrent des sujets très variés, allant de Why is the Solar System Flat? (Pourquoi le système solaire est-il plat?), avec plus de 4,5 millions de visionnements à ce jour, à Concrete Does Not Dry Out (Le béton ne sèche pas), déjà visionné plus de 700 000 fois. MinutePhysics a compté parmi les 200 canaux les plus populaires dans les débuts de YouTube. Même avec l’énorme expansion du plus grand site Web de partage de vidéos au monde, MinutePhysics fait encore partie des 500 canaux les plus suivis.
À l’école, Henry Reich a toujours été fasciné par la physique. C’est selon lui une manière logique d’expliquer le monde. Mais il est également intéressé par la création. Diplômé de la première promotion du programme PSI (Perimeter Scholars International – Boursiers internationaux de l’Institut Périmètre) en 2009, il est revenu plus tard à l’Institut comme premier cinéaste et artiste numérique en résidence.
Lorsqu’il a lancé MinutePhysics, peu de gens voyaient YouTube comme autre chose qu’un canal de divertissement. Maintenant, Henry Reich, qui vit dans le Montana, contribue à montrer que le divertissement peut quand même inclure une science forte et solide.
« Je m’efforce vraiment de rendre les vidéos aussi accessibles que possible sans sacrifier quoi que ce soit de la vérité scientifique », dit-il.
« Je vise toujours à faire une vidéo qu’un chercheur de l’Institut Périmètre serait fier de montrer en disant que c’est une manière vraiment brillante d’expliquer le sujet. » [traduction]
Avec MinutePhysics et son autre canal, MinuteEarth, alimenté par une équipe de rédacteurs scientifiques et d’illustrateurs, Henry Reich peut faire preuve d’une curiosité sans borne. « Il y a tellement de choses dont on peut parler, dit-il, et tellement de choses dont je n’ai même pas effleuré la surface. » [traduction]
LE POUVOIR DE L’ABSTRACTION – ET DES MATHÉMATIQUES
Matteo Smerlak, postdoctorant à l’Institut Périmètre, travaille (entre autres) sur la thermodynamique des trous noirs. Mais un de ses articles récemment publiés — dans la prestigieuse revue Science, rien de moins — était bien loin de l’astrophysique théorique.
M. Smerlak a aidé une équipe de biologistes à découvrir et à formuler la relation mathématique entre les prédateurs et leurs proies.
Leurs travaux ont révélé que lorsqu’il y a une hausse importante du nombre de proies dans un écosystème, le nombre de prédateurs augmente également, mais beaucoup moins rapidement.
Qu’est-ce qu’un physicien fait dans un domaine aussi éloigné? « Je n’ai pas de stratégie visant à tout explorer. Si quelque chose m’intéresse, je l’intègre à mes recherches, affirme M. Smerlak. Jusqu’à maintenant, cela a inclus la macro-économie, la biologie évolutive, et maintenant l’écologie, en plus de mes travaux habituels sur la physique de la gravitation. » [traduction]
Beaucoup des collaborations les plus inattendues de Matteo Smerlak sont nées en 2013 à l’École d’été de Santa Fe sur les systèmes complexes, où des scientifiques d’horizons divers se sont réunis pour travailler sur des problèmes difficiles. « Il est rapidement apparu que les physiciens théoriciens étaient les scientifiques les plus souples, dit-il. Ils pouvaient passer d’une équipe à une autre et y contribuer de manière réelle. » [traduction]
Pourquoi? M. Smerlak cite 2 raisons : « La capacité et la tendance des physiciens à simplifier les choses sont utiles. Nous avons appris à travailler sur des problèmes simples à partir d’un problème complexe. C’est une attitude autant qu’un ensemble de compétences. Cela peut ressembler à de l’arrogance, mais cela peut aussi être très utile. » [traduction]
Et il y a bien entendu les mathématiques. Selon M. Smerlak, c’est une aptitude qui se transpose à d’autres domaines : « Les mathématiques constituent un langage abstrait. Grâce à son caractère abstrait, ce langage peut s’utiliser et s’appliquer dans différents contextes. Les idées s’alimentent mutuellement, et je vais où la curiosité me conduit. » [traduction]
À propos de l’IP
L'Institut Périmètre est le plus grand centre de recherche en physique théorique au monde. Fondé en 1999, cet institut indépendant vise à favoriser les percées dans la compréhension fondamentale de notre univers, des plus infimes particules au cosmos tout entier. Les recherches effectuées à l’Institut Périmètre reposent sur l'idée que la science fondamentale fait progresser le savoir humain et catalyse l'innovation, et que la physique théorique d'aujourd'hui est la technologie de demain. Situé dans la région de Waterloo, cet établissement sans but lucratif met de l'avant un partenariat public-privé unique en son genre avec entre autres les gouvernements de l'Ontario et du Canada. Il facilite la recherche de pointe, forme la prochaine génération de pionniers de la science et communique le pouvoir de la physique grâce à des programmes primés d'éducation et de vulgarisation.