Entendre les notes les plus brèves de l’univers
Des événements astronomiques tels que la naissance d’une étoile ou la formation d’une galaxie se déroulent généralement sur de très longues périodes : des millions ou même des milliards d’années. Mais d’autres peuvent durer le temps d’un clin d’œil.
Ces phénomènes éphémères se présentent sous plusieurs formes, dont les supernovas et les transits planétaires, et leur durée peut se compter en années, semaines, jours ou même millisecondes. Au cours des 10 dernières années, les astronomes ont découvert une nouvelle sorte de phénomènes éphémères mystérieux : des lueurs brèves, brillantes et rares appelées sursauts radio rapides (SRR, ou en anglais FRB pour fast radio bursts).
Un groupe de Canadiens a proposé une manière de traquer ces rares événements à l’aide d’un nouveau télescope. Lorsqu’ils mettront celui-ci en marche, ils s’attendent à détecter non seulement un ou deux, mais des centaines de SRR.
En 2007, des astronomes ont remarqué un signal extraordinairement brillant mais incroyablement bref dans les données d’archives de l’observatoire Parkes, radiotélescope situé en Nouvelle-Galles du Sud, en Australie. L’événement a duré en tout moins de 5 millisecondes. Plus court qu’un clin d’œil? De fait, le temps d’un clin d’œil, vous pourriez manquer jusqu’à 40 SRR, car un clin d’œil d’un être humain dure en moyenne quelque 200 millisecondes.
À cause de leur caractère passager, ces événements sont rarement détectés. Au cours de la décennie qui a suivi cette première découverte, seulement 25 autres sursauts radio rapides ont été observés.
Étant donné le petit nombre d’événements enregistrés, il y a plus de théories sur l’origine et la nature des SRR que de détections. Une partie du problème vient tout simplement du manque de données. C’est incroyablement difficile de cerner d’où viennent exactement ces sursauts.
« Une expérience révolutionnaire »
Le télescope CHIME à Penticton, en Colombie-Britannique. Photo : Peter Klages, Université de Toronto.[/caption]
CHIME, qui est l’acronyme de Canadian Hydrogen Intensity Mapping Experiment (Expérience canadienne de cartographie d’intensité de l’hydrogène) est un radiotélescope innovateur en construction près de Penticton, en Colombie-Britannique, qui pourrait éclaircir le mystère des SRR lorsqu’il entrera en fonction plus tard cette année.
On s’attend à ce que ce télescope détecte dès les premiers jours de sa mise en service pratiquement autant de sursauts que l’on en a observés au cours des 10 dernières années. « En deux jours et demie, nous aurons trouvé davantage de SRR que l’on en a observés par ailleurs », déclare Kendrick Smith, professeur à l’Institut Périmètre. « Ce sera une expérience révolutionnaire. » [traduction]
L’ensemble du projet résulte d’une collaboration entre des chercheurs de l’Université de Toronto, de l’Université de la Colombie-Britannique, de l’Université McGill et de l’Observatoire fédéral de radioastrophysique. Plusieurs chercheurs de l’Institut Périmètre, dont Kendrick Smith, fournissent au projet leur expertise théorique.
La recherche de signaux ultrarapides s’ajoute en prime : la tâche première de CHIME est d’étudier une période quelque peu négligée de l’histoire de l’univers, celle de son « adolescence », qui se situe entre les suites du Big Bang (considérées maintenant comme bien connues, grâce aux mesures très précises du rayonnement fossile) et l’univers plus récent que l’on peut étudier avec les télescopes conventionnels.
Pour ce faire, CHIME mesurera comment l’hydrogène neutre s’accumule dans les galaxies lointaines. L’hydrogène agit comme un traceur de densité et des structures à grande échelle. En sachant comment l’univers a grandi pendant sa phase d’adolescence, l’équipe du projet CHIME espère percer l’un des mystères les plus déroutants de la cosmologie : la nature de l’« énergie sombre », force énigmatique responsable de l’accélération de l’expansion de l’univers.
Lors d’une rencontre de l’Institut canadien de recherches avancées en 2014 — qui réunissait des théoriciens, des expérimentateurs et des spécialistes de l’observation travaillant dans divers sous-domaines, notamment les phénomènes astronomiques éphémères —, les chercheurs se sont rendu compte que les capacités exceptionnelles de CHIME pouvaient être étendues au prix d’efforts relativement modestes.
Victoria Kaspi, professeure de physique, directrice de l’Institut spatial de McGill et experte des signaux radio transitoires, a proposé à la Fondation canadienne pour l'innovation d’ajouter aux antennes de CHIME une grappe supplémentaire d’ordinateurs afin de combiner les données des signaux fugaces des SRR. « Le problème des SRR est aujourd’hui l’un des plus intéressants de l’astrophysique, dit-elle. C’est une chance inouïe que CHIME ait été construit au moment où ce casse-tête a réellement fait son apparition. » [traduction]
« Une avalanche de données »
Ce montage est idéal parce que CHIME peut balayer le ciel plus vite que tout autre radiotélescope de la planète. Pensez à une caméra numérique : plus le capteur a de pixels, plus grande est la résolution des photos. Les autres radiotélescopes ont beaucoup moins de « pixels » que CHIME, parce que les ondes radio qu’ils détectent sont très longues par rapport à celles de la lumière visible, mais le principe demeure le même : plus vous avez de pixels, plus vous pouvez capter de détails à un moment donné.
« À l’heure actuelle, le plus gros récepteur cohérent de tous les radiotélescopes est celui de l’observatoire Parkes, qui possède un récepteur de 13 pixels », explique Ue-Li Pen, professeur associé à l’Institut Périmètre et directeur par intérim de l’Institut canadien d’astrophysique théorique.
« Presque tous les autres radiotélescopes n’ont qu’un pixel. Par contre, CHIME a 1 000 pixels. Donc CHIME peut multiplier par 100 les performances de l’observatoire Parkes. » [traduction]
Cette sensibilité accrue entraîne toutefois une autre difficulté. « Nous allons avoir une avalanche de données » [traduction], explique Kendrick Smith.
CHIME produira chaque jour un pétaoctet de données, c’est-à-dire 1 024 téraoctets, ou un million de gigaoctets. C’est l’équivalent de 38 ans de lecture en continu de vidéos haute définition de Netflix, ou de plus de 990 ans d’écoute en continu de musique haute-fidélité.
L’équipe de CHIME doit faire ses recherches en temps réel dans les données, à mesure qu’elles arrivent. « Il y a trop de données pour les stocker sur disque, explique M. Smith. Il faut donc les examiner pendant le court moment où elles sont en mémoire. Il faut avoir sur place de grands superordinateurs pour faire en temps réel toutes les analyses voulues — y compris pour la recherche de SRR. » [traduction]
Au départ, l’équipe croyait qu’il serait impossible de traiter rapidement tant de données. « Avec 10 personnes travaillant sur ces données, un parc gigantesque d’ordinateurs et une énorme facture d’électricité, nous pensions limiter nos recherches à un sous-ensemble des données », déclare M. Pen. Mais les chercheurs ont découvert des algorithmes peu utilisés et prometteurs qui pourraient les aider à accélérer le travail.
« Kendrick s’est enthousiasmé, ajoute M. Pen avec un petit rire. S’il faut un algorithme génial, c’est son rayon. »
Le code mis au point et optimisé par Kendrick Smith, avec ses étudiants Masoud Rafiei-Ravandi et Utkarsh Giri, ainsi que l’assistante de recherche Maya Burhanpurkar, est « 100 fois plus rapide que ce à quoi tout le monde s’attendait, ajoute M. Pen. Il sera meilleur que tout ce que l’on espérait, et la facture d’électricité sera réduite de 90 %. C’est un exemple de situation où la bonne personne au bon endroit peut faire toute la différence. » [traduction]
Pendant que l’algorithme traite les signaux, il faut aussi composer avec les faux positifs possibles. « Par exemple, chaque fois que quelqu’un déverrouille à distance une voiture dans le terrain de stationnement, cela peut créer un signal ressemblant à un SRR qui s’ajoute à nos données, explique M. Smith. Et il y a beaucoup de petits ordinateurs dans les voitures. Un véhicule qui passe sur une route non loin du télescope peut interférer avec les données. » [traduction] Pour minimiser les perturbations d’origine humaine, tous les visiteurs de CHIME doivent éteindre leur téléphone cellulaire et arrêter les fonctions Wi-Fi de leur ordinateur portatif.
Une question à laquelle CHIME devrait pouvoir répondre est celle de savoir si les sursauts radio rapides sont des occurrences uniques — dues peut-être à des événements cataclysmiques tels que des supernovas ou des collisions d’objets denses comme des étoiles à neutrons ou des trous noirs — ou si ces signaux se répètent. Sur les 26 SRR détectés à ce jour, un seul s’est répété, mais selon Ue-Li Pen, il se peut qu’au bout du compte tous les SRR se répètent.
« La question est ouverte, dit-il, mais CHIME va résoudre le problème. Si ces signaux se répètent, CHIME va le détecter. » [traduction] Il pourra aussi détecter si les SRR surviennent de manière prévisible, périodique — ce qui concorderait avec une hypothèse selon laquelle ils sont associés d’une manière ou d’une autre aux étoiles à neutrons.
Une fois que CHIME entrera en fonction, Kendrick Smith s’attend à ce qu’il détecte presque immédiatement des SRR : « Selon le scénario optimiste, où le matériel et le logiciel fonctionnent bien et où il n’y a aucun problème — ce qui ne se produit jamais —, je crois que nous observerons des événements sans tarder, dès la première journée. » [traduction]
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À propos de l’IP
L'Institut Périmètre est le plus grand centre de recherche en physique théorique au monde. Fondé en 1999, cet institut indépendant vise à favoriser les percées dans la compréhension fondamentale de notre univers, des plus infimes particules au cosmos tout entier. Les recherches effectuées à l’Institut Périmètre reposent sur l'idée que la science fondamentale fait progresser le savoir humain et catalyse l'innovation, et que la physique théorique d'aujourd'hui est la technologie de demain. Situé dans la région de Waterloo, cet établissement sans but lucratif met de l'avant un partenariat public-privé unique en son genre avec entre autres les gouvernements de l'Ontario et du Canada. Il facilite la recherche de pointe, forme la prochaine génération de pionniers de la science et communique le pouvoir de la physique grâce à des programmes primés d'éducation et de vulgarisation.