Un télescope canadien permettra d’étudier l’évolution de l’univers
De loin, on dirait un rêve de planchiste : 4 demi-lunes, d’une longueur de 100 mètres chacune, placées côte à côte dans les Rocheuses canadiennes.
Cependant, si l’on y regarde de plus près, cette structure n’est pas faite pour propulser des athlètes dans les airs, mais plutôt pour amener la science en des lieux — ou plus précisément des moments — inexplorés de l’univers.
Tout près de Penticton, en Colombie-Britannique, au creux d’une vallée à l’abri des interférences radio, le télescope CHIME commencera bientôt à balayer le ciel à la recherche d’indices sur l’évolution du cosmos.
CHIME signifie Canadian Hydrogen Intensity Mapping Experiment (Expérience canadienne de cartographie d’intensité de l’hydrogène). Cela explique ce que l’on recherche à l’aide de ce télescope, mais non l’époque concernée. Le télescope CHIME visera l’univers adolescent, la période intermédiaire où la personnalité du cosmos était un peu mystérieuse, comme celle d’un adolescent typique.
Alors que l’on connaît bien l’univers naissant d’il y a 14 milliards d’années (grâce au rayonnement fossile imprimé dans le ciel peu après le Big Bang), et que l’univers récent est à la portée de nombreuses expériences, l’univers adolescent est demeuré caché à nos yeux.
Le cosmologiste Kendrick Smith[/caption]
« La période intermédiaire est réellement très difficile d’accès » [traduction], affirme Kendrick Smith, cosmologiste à l’Institut Périmètre, qui collabore au projet CHIME avec des chercheurs de l’Université de la Colombie-Britannique, de l’Université de Toronto, de l’Université McGill et de l’Observatoire fédéral de radioastrophysique.
L’étude de cette ère intermédiaire de l’univers — qui s’étend approximativement de quelques milliards à 10 milliards d’années après le Big Bang — pourrait nous fournir des indices importants à propos de l’un des problèmes les plus déroutants de la cosmologie : l’accélération de l’expansion de l’univers.
Après un ralentissement qui a suivi immédiatement le Big Bang, l’expansion de l’univers a repris de la vitesse pendant la période d’adolescence, alors que les effets de l’énergie sombre semblent avoir commencé à prendre le dessus. En mesurant la répartition de l’hydrogène neutre dans des galaxies lointaines (ce que l’on appelle la cartographie d’intensité), le télescope CHIME pourrait apercevoir la période de l’histoire cosmique où cette reprise de vitesse a eu lieu, et les chercheurs pourraient en déduire certaines réponses fondamentales sur les raisons pour lesquelles notre univers se comporte ainsi.
Poser de grandes questions
« Au bout d’une longue suite d’étapes, nous essayons de résoudre certains mystères vraiment fondamentaux de la physique, déclare M. Smith. Comment le Big Bang s’est-il produit? Quelles particules constituent la matière sombre? Quelle nouvelle physique est responsable de l’accélération tardive de l’expansion de l’univers? » [traduction]
Jusqu’à tout récemment, une expérience aussi ambitieuse que celle du projet CHIME aurait été impossible, parce que nous n’avions pas la puissance technologique nécessaire pour traiter toutes les données recueillies par ce télescope. Cette puissance est venue d’une source quelque peu inattendue : l’industrie des jeux vidéo. Il se trouve que les coprocesseurs requis pour détruire les extraterrestres qui se promènent sur les consoles de jeu de la prochaine génération peuvent, avec des transformations mineures, traiter les masses de données que le télescope CHIME ira chercher quand il sera pleinement fonctionnel dans quelques années.
« Il y a longtemps que nous attendons d’avoir des ordinateurs plus puissants, ajoute M. Smith. L’analyse de toutes ces données pose un gros problème de calcul. » [traduction]
Lorsque le télescope CHIME commencera à balayer le ciel, il traitera de l’information en temps réel au rythme d’environ un térabit par seconde. Cela correspond approximativement à 1 % des exigences de traitement de la totalité d’Internet — une quantité stupéfiante d’information arrivant à un rythme impitoyable.
C’est là qu’intervient Kendrick Smith. Il se qualifie lui-même de « cosmologiste féru de données » [traduction]. Il a contribué de manière importante à la collecte et à l’analyse d’énormes ensembles de données pour la mission du satellite Planck et l’expérience WMAP (Wilkinson Microwave Anisotropy Probe – Sonde d’anisotropie de micro-onde de Wilkinson), qui visaient à cartographier le rayonnement fossile.
Kendrick Smith et ses collègues, dont Ue-Li Pen, professeur associé à l’Institut Périmètre, auront un certain nombre de nouveaux défis à relever lorsque viendra le temps d’analyser le flot de données recueillies par CHIME — en partie à cause de l’immense étendue temporelle et spatiale sondée par le télescope.
La conception non conventionnelle du télescope — les 4 demi-lunes côte à côte — est particulièrement bien adaptée à un projet aussi ambitieux. Le télescope ne possède aucune pièce mobile, mais il est fixé à une mécanique mobile très fiable : le globe terrestre. Chaque nuit, la rotation de notre planète permettra à la surface de CHIME de balayer une nouvelle bande du cosmos et de capter de faibles émissions radio venues du passé lointain de notre univers.
Nuit après nuit, mois après mois, CHIME accumulera suffisamment d’information pour cartographier la structure cosmique du plus grand volume de l’univers jamais observé, avec une résolution suffisante pour discerner les « oscillations acoustiques des baryons », c’est-à-dire les fluctuations de la densité de matière dans l’univers qui aident les cosmologistes à mieux comprendre les effets de la matière sombre sur l’accélération de l’expansion de l’univers.
Kendrick Smith, avec ses collaborateurs de partout au Canada, épluchera les données à la recherche de l’insaisissable catalyseur qui a déclenché l’expansion accélérée de l’univers. Pour le moment, ils doivent attendre que les réflecteurs en demi-lune de CHIME soient équipés des puissants dispositifs électroniques qui amélioreront sa vision du ciel.
« C’est un projet passionnant, déclare M. Smith. Le plus excitant, ce serait de déterminer mieux que jamais l’histoire de l’expansion de l’univers — et d’apprendre ainsi quelque chose de réellement nouveau et fondamental. Nous ne savons pas vraiment où cela va nous mener, mais ça fait partie de l’intérêt de la chose. » [traduction]
À propos de l’IP
L'Institut Périmètre est le plus grand centre de recherche en physique théorique au monde. Fondé en 1999, cet institut indépendant vise à favoriser les percées dans la compréhension fondamentale de notre univers, des plus infimes particules au cosmos tout entier. Les recherches effectuées à l’Institut Périmètre reposent sur l'idée que la science fondamentale fait progresser le savoir humain et catalyse l'innovation, et que la physique théorique d'aujourd'hui est la technologie de demain. Situé dans la région de Waterloo, cet établissement sans but lucratif met de l'avant un partenariat public-privé unique en son genre avec entre autres les gouvernements de l'Ontario et du Canada. Il facilite la recherche de pointe, forme la prochaine génération de pionniers de la science et communique le pouvoir de la physique grâce à des programmes primés d'éducation et de vulgarisation.