Les résultats de validation des données d’observation de DESI enthousiasment les scientifiques qui étudient l’énergie sombre
Lorsqu’il est question de décrire l’énergie noire, parler de mystère est un euphémisme.
« On dit que c’est le plus grand mystère en cosmologie, et c’est vrai, mais c’est aussi très étrange. Il n’existe rien de semblable dans l’Univers qui puisse y être relié », explique Dustin Lang, informaticien à l’Institut Périmètre.
L’énergie sombre est cette chose qui provoque l’expansion de tout l’Univers, non seulement par une expansion de l’espace-temps, mais ce, à un rythme de plus en plus rapide.
Qu’est-ce que cette chose? Nous n’en avons aucune idée.
Cependant, nous disposons désormais d’un instrument sophistiqué, le spectroscope DESI (Dark Energy Spectroscopic Instrument), installé au sommet du télescope Nicholas U. Mayall de 4 mètres à l’Observatoire de Kitt Peak en Arizona, qui permettra d’accéder à de nouvelles connaissances.
Cette semaine, l’équipe de DESI a publié les résultats de l’étape de « validation des données d’observation » du projet. Il s’agit d’un premier lot de données rendues accessibles au public, qui provient de 2 480 expositions prises sur six mois en 2020 et en 2021, entre la mise en service de l’instrument et le début de la collecte de données officielle du projet scientifique. Ce sont près de 2 millions d’objets que les chercheurs pourront explorer.
Il ne s’agit là que d’une fraction des données déjà collectées par le spectroscope DESI. Des annonces encore plus excitantes découleront des ensembles de données beaucoup plus volumineux qu’étudient actuellement des scientifiques comme Will Percival, professeur-chercheur associé à l’Institut Périmètre et directeur du Centre d’astrophysique de Waterloo à l’Université de Waterloo.
À terme, DESI cartographiera plus de 40 millions de galaxies, quasars et étoiles.
Pour l’heure, cette première communication marque le coup d’envoi pour la construction de cartes 3D de l’Univers à partir de données préliminaires, des outils qui permettront peut-être d’élaborer de nouvelles théories sur l’énergie sombre et son origine.
Il s’agit d’une réalisation colossale pour l’équipe internationale de « bâtisseurs » de DESI, dont font partie Will Percival et Dustin Lang.
Les résultats de la phase de validation des données d’observation – l’étape où les scientifiques vérifient combien de temps il faut pour observer des galaxies de différentes luminosités et valident le choix des étoiles et des galaxies à observer – prouvent non seulement que DESI est un instrument qui fonctionne très bien, « mais aussi que ce que nous voulions observer correspond à ce à quoi nous nous attendions », explique Percival.
C’est le fruit de plusieurs années de travail. Lang et Percival travaillent sur DESI depuis au moins une dizaine d’années. Auparavant, ils ont aussi travaillé sur les précurseurs de DESI : le projet SDSS (Sloan Digital Sky Survey – Relevé numérique du ciel Sloan) et le projet eBOSS (Extended Baryon Oscillation Spectroscopic Survey – Relevé spectroscopique étendu des oscillations baryoniques).
L’informaticien Dustin Lang a été appelé à participer pour faire en sorte que le logiciel de l’instrument recueille les images des parties du ciel qui intéressent les chercheurs.
Le spectroscope DESI possède environ 5 000 positionneurs de fibres optiques robotisés. Ainsi, les premiers travaux avec DESI ont consisté à s’assurer que chacun de ces 5 000 petits robots positionnerait les câbles de fibre optique avec précision, de sorte que la lumière des galaxies que les chercheurs veulent observer arrive aux bons endroits.
Dans le processus, les chercheurs ont construit une carte bidimensionnelle du ciel permettant de choisir les galaxies, « pour que nous puissions ensuite les suivre et obtenir leur position tridimensionnelle », explique Lang.
Percival, quant à lui, s’occupe de l’analyse des données. Il est arrivé à Waterloo en provenance du Royaume‑Uni, où il a piloté une demande de subvention qui a permis à son pays de se joindre au projet DESI.
Toutefois, il avait commencé le travail bien avant cela. Dès la fin des années 1990, Percival travaillait avec des ensembles de données donnant les « décalages vers le rouge » des galaxies qui s’éloignent de nous. Ces travaux ont conduit au relevé SDSS et au projet eBOSS qui en faisait partie, utilisés pour réaliser des images multispectrales d’envergure et un relevé spectroscopique du décalage vers le rouge, de manière à remonter avec précision l’histoire de l’expansion de l’Univers depuis l’époque où celui-ci avait moins de trois milliards d’années.
Ces relevés antérieurs ont permis de rassembler une bonne partie des preuves de l’existence de l’énergie sombre dont nous disposons actuellement.
Quoi qu’il en soit, cette force demeure à ce jour pour nous un mystère. Will Percival explique que nous avons un « cadre mathématique » dans lequel s’inscrit l’énergie sombre, basé sur la relativité générale d’Einstein, dont sa constante cosmologique, mais cela n’explique pas la nature de cette énergie.
DESI nous emmènera plus loin. Il nous permettra de recueillir des informations sur la distance entre les galaxies et leur distribution, essentiellement jusqu’à l’horizon observable des débuts de l’Univers.
Il permettra aux scientifiques de recueillir des données sur la distribution des amas de galaxies, des filaments galactiques et des feuillets de matière que nous voyons, ainsi que sur les vides intergalactiques.
On pourra transposer ces données en une belle carte 3D qui nous renseignera sur la façon dont l’Univers a évolué au fil des différentes époques, que les scientifiques pourront ensuite étudier pour élaborer de meilleures théories sur l’énergie sombre.
Cette démarche fait partie d’une longue quête de la compréhension du cosmos qui remonte à plus d’un siècle, à l’époque où Albert Einstein avait introduit sa constante cosmologique, une quantité appelée lambda.
Avant cela, on pensait que l’Univers était statique et immuable. Mais Einstein, en essayant d’appliquer sa théorie de la relativité générale (sa théorie de la gravité) à l’Univers dans son ensemble, s’est buté à un problème, ce qui a mené à un modèle dynamique de l’Univers. Les équations ont montré que si l’Univers avait été statique au départ, l’attraction gravitationnelle de la matière l’aurait fait s’effondrer sur lui-même.
Einstein, en collaboration avec l’astronome néerlandais Willem de Sitter, a donc ajouté à ses équations un nouveau facteur de correction, une constante cosmologique dite lambda. Celle-ci impliquait l’existence d’une force répulsive qui agirait contre l’attraction gravitationnelle et qui maintiendrait l’Univers dans un état statique.
Cependant, en 1929, Edwin Hubble découvrit que l’Univers n’était pas statique, qu’il était en fait en expansion. Einstein aurait dit de lambda qu’elle était sa « plus grosse bévue », comme l’ont rapporté ses contemporains, mais nous ne savons pas vraiment si c’est vrai. Quoi qu’il en soit, une fois qu’il a su que l’Univers était en expansion, Einstein a abandonné l’idée de la constante cosmologique.
Puis, en 1998, en regardant les données de certaines des galaxies les plus éloignées de l’Univers, les scientifiques ont fait la découverte surprenante que l’Univers n’est pas seulement en expansion, mais que son expansion est en train de s’accélérer!
La gaffe d’Einstein n’était peut-être pas si grave après tout. Son lambda, qui décrivait une force répulsive poussant l’espace-temps à prendre de l’ampleur, semble correspondre à ce que nous appelons aujourd’hui l’énergie sombre, même si nous ne savons pas vraiment en quoi consiste cette force ni pourquoi elle existe.
Avec DESI qui renvoie enfin des données, issues à la fois de la phase de validation initiale et de plus grands ensembles de données qui seront dévoilés dans les mois à venir, l’anticipation est grande pour les membres de l’équipe de DESI.
« Nous sommes fébriles, car tout fonctionne incroyablement bien », conclut Percival.
Note du traducteur : Les citations de cet article sont traduites de propos tenus en anglais.
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