Au revoir, Waterloo. Alors que le taxi s’éloigne de la rue Caroline, je fais un petit signe aux oies qui veillent sur l’Institut Périmètre durant les mois doux, du printemps à l’automne. Combien de fois en avons-nous plaisanté (non sans une certaine crainte) pendant ces deux dernières années, à propos de ces animaux féroces et résolument canadiens?
Eh oui, cela fait bien deux ans — et non les dix mois habituels du programme PSI. Je suis très reconnaissante que Périmètre ne m’ait pas expulsée avant que je sois prête à partir. Bien des étudiant·e·s arrivent au programme PSI avec une idée assez claire de leur prochaine étape — certain·e·s ont même déjà obtenu une place en doctorat, et voient la maîtrise de dix mois à Périmètre comme un tremplin de plus avant leur Ph. D.
Mais lorsque j’ai franchi les portes de Périmètre pour la première fois, l’idée de penser à « l’après » était bien loin de mon esprit. J’avais passé mes trois années de premier cycle entourée d’environ 10 000 étudiant·e·s de baccalauréat, 5 000 doctorant·e·s et 500 professeur·e·s — alors les proportions à PI étaient tout un changement : une vingtaine de PSIons au niveau maîtrise, un peu plus de 50 doctorant·e·s résident·e·s, et une cinquantaine de chercheurs et chercheuses, sans compter le flot constant de visiteurs de renom. Je me sentais vraiment comme un petit oison avec tant de choses à apprendre. À ce moment-là, faire une demande de doctorat me semblait (presque) aussi lointain que chercher un emploi en entrant au secondaire.
Arrivée à Périmètre
Les premiers mois à PSI ont filé à toute vitesse. Entre les trous noirs, les diagrammes de Feynman et les infinis renormalisés, sans oublier la découverte de ma petite famille d’adoption — mes 20 camarades venus de 11 pays différents — mon esprit tournait à plein régime. J’admire encore celles et ceux qui, en parallèle, ont déposé jusqu’à 12 candidatures à des doctorats aux États-Unis. Même s’ils connaissaient déjà bien le système, conjuguer la charge quotidienne du programme et la frénésie des candidatures a sans doute été la période la plus éprouvante de l’année.
Le printemps est arrivé — et avec lui les premières réponses des universités américaines. Les ouvertures de postes en doctorat ont aussi commencé en Europe. Ce système, plus familier pour moi et donc moins intimidant, m’a incitée à rédiger une lettre de motivation. Mais cet exercice m’a vite rappelé une évidence : encore faut-il savoir quoi écrire. Il faut d’abord se convaincre soi-même du sujet de spécialisation qui nous motivera assez pour y consacrer plusieurs années.
Premiers pas en recherche
Pendant mon baccalauréat, la recherche n’avait pas été une priorité. Mon programme était structuré de manière séquentielle, axé sur les cours magistraux et les examens, dans le but de nous fournir une base solide avant d’aborder la recherche en profondeur à la maîtrise.
J’avais déjà ressenti un léger choc culturel académique dès mes premiers jours à Périmètre, lorsque certain·e·s PSIons — venu·e·s par exemple du Canada ou des États-Unis — racontaient avoir réalisé une longue série de petits projets de recherche parallèlement à leurs études de premier cycle. Cette expérience leur avait permis de commencer à cerner assez tôt les domaines qui éveillaient vraiment leur curiosité.
La première année à PSI m’avait sans aucun doute mise sur la voie pour répondre à cette question d’intérêt et de motivation. Entourée en permanence par la vie de recherche — discussions autour du tableau noir, séminaires, conversations de midi avec d’autres étudiant·e·s diplômé·e·s, postdoctorant·e·s, professeur·e·s et chercheur·euse·s invité·e·s — j’étais bel et bien sortie du mode « manuels et exercices » dans lequel j’avais été formée.
Mais la fin de ce chemin ne se profilait pas encore à l’horizon. Au contraire, j’avais l’impression que PSI avait ouvert devant moi un vaste panorama de questions non résolues en physique, et qu’il me faudrait plus de temps pour assimiler tout ce que j’avais reçu. Ce n’est qu’ensuite que je pourrais commencer à resserrer mes intérêts et avoir assez de recul pour savoir dans quel domaine de recherche je me voyais me spécialiser.
Piloter l’option de stage à PSI
Avec une autre PSIon qui partageait le même sentiment, nous nous sommes assises avec nos coordonnatrices pédagogiques, Maïté Dupuis et Lauren Hayward, pour explorer la possibilité de rester une année de plus à l’Institut Périmètre. Toutes deux avions amorcé des projets de recherche en information quantique durant notre première année à PSI, et l’idée a émergé de faire un stage dans l’industrie quantique en plein essor, en complément de l’environnement académique offert par Périmètre.
Grâce au soutien précieux de l’équipe académique de l’Institut et de mon superviseur, Roger Melko — et à un brin de chance! — ma deuxième année à PSI ne s’est pas déroulée à Waterloo, mais à Boston, chez QuEra Computing Inc. Intégrée à l’équipe de logiciels scientifiques, ma mission consistait à bâtir une bibliothèque Quantum Monte Carlo (QMC) à partir d’un code QMC développé auparavant par deux autres étudiant·e·s du groupe de recherche de Roger, Ejaaz Merali et Isaac de Vllugt. Ce code visait à enrichir la boîte à outils offerte par la plateforme libre Bloqade, développée par QuEra pour la simulation et le calcul quantiques.
Stages dans l’industrie quantique
Avec des pull requests et des tests d’intégration comme pain quotidien, ce projet m’a certainement permis de perfectionner mes compétences GitHub bien au-delà des simples commandes commit et push. La rédaction de tutoriels m’a appris que la qualité d’un outil repose en grande partie sur la convivialité de son interface. Être plongée dans les débats de l’industrie quantique m’a aussi donné une perspective d’ensemble : Quelles sont les tendances actuelles de l’investissement quantique à l’échelle mondiale? Comment la recherche universitaire alimente-t-elle les produits à valeur commerciale? Quels cas d’usage le marché recherchera-t-il dans cinq ans?
Par-dessus tout, j’ai eu l’immense chance d’assister au lancement du tout premier ordinateur quantique de QuEra : Aquila, qui compte 256 qubits reposant sur la technologie quantique à atomes neutres et est accessible au public via des services infonuagiques. À l’approche de cette sortie tant attendue, c’était inspirant de voir toute la start-up unir ses efforts dans une course contre la montre pour mener à bien le lancement.
Les machines étant assemblées juste à côté, j’en profitais pour passer régulièrement discuter avec les expérimentalistes et apprendre les rouages de la technologie à atomes neutres — un vrai privilège. C’est toujours bon de se rappeler que la théorie a ses limites. Représenter QuEra dans des conférences comme New Frontiers in Machine Learning and Quantum à Périmètre m’a aussi permis de m’exercer à présenter à la fois des exposés scientifiques et des messages d’entreprise devant un public.
À la fin de 2022, j’avais le sentiment que ma deuxième année à PSI avait déjà porté ses fruits. Ma tête ne tournait plus. La manière dont la recherche quantique fait le pont entre formalismes abstraits et applications concrètes m’attirait clairement, tout comme le mélange savoureux de codage, d’algorithmes théoriques et de matériel tangible. La perspective de collaborer étroitement avec des chercheurs en dehors de la physique — en chimie, biologie ou informatique, par exemple — m’enthousiasmait. Pour la première fois, je me sentais prête à rédiger une véritable lettre de motivation, enracinée dans une expérience de recherche qui me manquait l’année précédente.
Ajouter une dimension sociale à la technologie quantique
Mais cette deuxième année avait encore bien des surprises en réserve. Après une pause hivernale revigorante à bord du train transcanadien de Via Rail pendant cinq jours, la nouvelle année a ajouté une autre dimension à mon parcours quantique : deux autres étudiants aux cycles supérieurs à Waterloo et à Boston, Joan Étude Arrow et Rodrigo Araiza Bravo, m’ont initiée aux discussions sur les répercussions sociétales de la technologie quantique. Ensemble, avec un serveur Discord rempli d’autres étudiant·e·s, nous avons commencé à bâtir le Quantum Ethics Project (QEP).
Notre objectif était — et reste — simple : à mesure que les technologies quantiques commenceront (espérons-le) à concrétiser leur impact anticipé au cours de la prochaine décennie, de nombreuses questions se poseront. Qui profitera le plus de leur développement? Qui sera inclus dans la main-d’œuvre spécialisée? Nous voulions prendre de l’avance en soulevant ces questions tant que la technologie est encore en ébullition — avant qu’elle ne soit fermement intégrée à la société, à l’économie et aux politiques publiques.
En réalité, ces questions sont déjà pertinentes aujourd’hui. Par exemple, comment maintenir un niveau sain de battage médiatique? D’un côté, susciter un enthousiasme collectif autour du potentiel des technologies quantiques peut motiver les chercheurs et chercheuses à se surpasser. De l’autre, des ouvrages à succès contenant des affirmations irréalistes comme « Il n’existe pas un seul problème auquel l’humanité est confrontée qui ne pourrait être résolu par l’informatique quantique » risquent de générer des attentes publiques impossibles à satisfaire. Espérons que nous puissions trouver un juste équilibre, qui maintiendra la confiance et le soutien du public malgré les embûches potentielles du parcours de recherche.
Périmètre favorise les réflexions hors du cadre technique
Cette approche anticipative de l’éthique des technologies de pointe m’a interpellée. Avec mes camarades du QEP, j’ai approché la plateforme Inclusion de l’Institut², et nous avons rapidement mis sur pied un groupe de travail bénéficiant d’un petit budget, sous son égide. Cela nous a permis d’organiser des événements et de favoriser des discussions entre chercheur·e·s techniques et spécialistes des sciences sociales.
En effet, l’Institut Périmètre dans son ensemble s’est révélé être un environnement idéal pour nourrir ces initiatives. Grâce à l’équipe Carrières et trajectoires de PI, nous avons pu organiser un atelier sur l’éthique quantique dans le cadre d’un cours plus large sur la physique quantique et l’intelligence artificielle. Et grâce au vaste réseau de l’Institut, nous avons eu la chance d’échanger avec des figures de proue de la recherche quantique comme Raymond Laflamme, coprésident du Conseil consultatif de la Stratégie quantique nationale du Canada, ainsi qu’avec des responsables politiques comme Bardish Chagger, députée de Waterloo. À l’occasion de la Journée mondiale de la physique quantique 2022, nous avons organisé une table ronde virtuelle sur le thème des intérêts nationaux et des enjeux géopolitiques qui influencent actuellement le développement du quantique à l’échelle mondiale.
Dans l’ensemble, je crois que ces occasions n’ont fait que renforcer mon intérêt pour la science et la technologie — y compris le quantique — en me montrant à quel point ces sujets sont riches lorsqu’on dépasse les aspects purement techniques.
Quitter PSI avec un but
Je pourrais raconter encore bien d’autres anecdotes sur les deux années que j’ai passées à l’Institut Périmètre. Mais s’il y a un message que j’aimerais transmettre aux futur·e·s PSIons, c’est que même si PSI semble être un repaire pour les passionné·e·s de physique théorique (ce qu’il est tout à fait), il ne vous pousse pas dans une voie unique. En fait, certaines des personnes les plus brillantes de notre cohorte jouent maintenant dans des bars brésiliens, enseignent à des élèves du primaire ou écrivent de la poésie. PSI n’est pas une route à sens unique.
Dans mon cas, il m’a simplement fallu un tour de plus pour sentir dans quelle direction le vent soufflait pour moi. Maintenant, je suis prête et enthousiaste à l’idée de commencer un doctorat en sciences et ingénierie quantiques à la Harvard Quantum Initiative. Dans ce nouveau chapitre, je n’oublierai jamais la leçon fondamentale que m’a apprise PSI : ne jamais laisser quoi que ce soit freiner votre curiosité.
Feel free to reach out to me via atomyka.com, where you can also find another report (with many photos!) about the first PSI year.
Anna also thanks the Swiss Study Foundation for two years of financial support through an Annual Scholarship as well as a Werner Siemens Fellowship.
¹Quantum Supremacy – How the Quantum Computer Revolution Will Change Everything, Michio Kaku (https://www.penguinrandomhouse.com/books/697040/quantum-supremacy-by-michio-kaku/)
²For incoming students, researchers and staff who want to engage in climate action, reach out to the PI Climate Working Group which is also part of PI’s Inclusion platform. Activities range from practical discussions around retrofitting PI’s building to exchanging thoughts with climate-related researchers at events such as the Hammers & Nails climate workshop.
À propos de l’IP
L'Institut Périmètre est le plus grand centre de recherche en physique théorique au monde. Fondé en 1999, cet institut indépendant vise à favoriser les percées dans la compréhension fondamentale de notre univers, des plus infimes particules au cosmos tout entier. Les recherches effectuées à l’Institut Périmètre reposent sur l'idée que la science fondamentale fait progresser le savoir humain et catalyse l'innovation, et que la physique théorique d'aujourd'hui est la technologie de demain. Situé dans la région de Waterloo, cet établissement sans but lucratif met de l'avant un partenariat public-privé unique en son genre avec entre autres les gouvernements de l'Ontario et du Canada. Il facilite la recherche de pointe, forme la prochaine génération de pionniers de la science et communique le pouvoir de la physique grâce à des programmes primés d'éducation et de vulgarisation.
Ceci pourrait vous intéresser

