Il existe une citation célèbre de Richard Feynman à propos de la mécanique quantique avec laquelle Marina Maciel Ansanelli est profondément en désaccord.
Lors d’une conférence prononcée à l’Université Cornell en 1964, après avoir expliqué qu’au moins quelques scientifiques comprenaient désormais la théorie de la relativité, Feynman lança à la blague : « D’un autre côté, je crois pouvoir affirmer que personne ne comprend la mécanique quantique. » Sur l’enregistrement de la conférence, on entend le public rire et approuver.
Pour Ansanelli, doctorante à l’Institut Périmètre qui étudie les fondements de la physique quantique, cette phrase de Feynman offre aux physicien·ne·s une échappatoire commode. Elle leur permet d’utiliser la théorie quantique dans leur travail sans avoir à se confronter aux eaux encore troubles de son fonctionnement ni à ce qu’elle dit réellement sur notre monde.
« Nous savons comment utiliser la mécanique de la théorie comme une recette pour faire des prédictions sur ce que nous allons observer, mais nous ne savons pas ce qu’elle dit sur la réalité », explique Ansanelli. C’est précisément cette quête de compréhension de la réalité sous-jacente à la théorie quantique qui a mené Ansanelli à l’Institut Périmètre et qui alimente ses recherches.
Lorsqu’Ansanelli a commencé à étudier la théorie quantique au baccalauréat à l’Université de São Paulo, au Brésil, l’approche générale adoptée en classe était : « c’est une théorie très déroutante, et vous allez apprendre à faire les calculs pour faire des prédictions, mais ne demandez pas pourquoi c’est comme ça. »
Mais pour Ansanelli, cela ne suffisait pas. Déjà enfant, elle n’était jamais satisfaite de réponses qui exigeaient simplement qu’elle mémorise des affirmations et des faits. « Je me souviens d’avoir dit : “Pourquoi c’est comme ça ? Pourquoi pas autrement ?” », raconte-t-elle. En ce sens, se tourner vers la physique théorique allait presque de soi. « C’est dans ce domaine que je voyais la possibilité de poursuivre éternellement cette quête de comprendre pourquoi les choses sont comme elles sont. »
Ansanelli travaille dans un domaine de la physique théorique appelé fondements quantiques, qui vise à mieux comprendre la théorie quantique, notamment les aspects fondamentaux qui la distinguent de la physique classique. Parmi les chercheur·euse·s des fondements quantiques, certain·e·s s’intéressent à ce qu’on appelle l’écart d’avantage, c’est-à-dire la différence de performance qu’on observe lorsqu’on aborde un problème de façon classique ou de façon quantique.
Pour illustrer cet écart, Ansanelli s’appuie sur le théorème de Bell, proposé par le physicien John Stewart Bell en 1964. Pour simplifier, ce théorème montre qu’une tâche simple ne peut être résolue qu’à 75 % du temps avec une stratégie classique, alors qu’avec une stratégie quantique, on peut y arriver dans 85 % des cas (selon la formulation, les pourcentages peuvent varier).
« Il existe des tâches qu’on peut accomplir plus efficacement dans le monde quantique », explique Ansanelli, en précisant que cet écart d’avantage se manifeste dans de nombreuses applications concrètes. Par exemple, les ordinateurs quantiques utilisent les principes de la mécanique quantique pour effectuer certains calculs beaucoup plus rapidement que les ordinateurs classiques.
Revenant au théorème de Bell, Ansanelli explique que dans les années 2010, des chercheur·euse·s de l’Institut Périmètre ont réalisé qu’il pouvait être reformulé en termes d’inférence causale, un domaine qui cherche à comprendre les causes derrière un comportement observé. Si l’on prend la tâche simple du théorème de Bell et qu’on l’analyse à l’aide de la structure causale classique la plus naturelle, on ne peut expliquer que le taux de 75 %, mais il est impossible d’expliquer le 85 %.
« Cela montre que, si nous voulons expliquer causalement les prédictions de la théorie quantique, il nous faut soit changer la structure causale, soit revoir entièrement notre cadre de causalité », souligne Ansanelli.
C’est ainsi qu’émerge l’inférence causale quantique, un domaine naissant des fondements quantiques qui constitue le cœur du travail d’Ansanelli. Tout comme les ordinateurs quantiques par rapport aux ordinateurs classiques, l’inférence causale quantique offre certains avantages par rapport à l’inférence causale classique : elle permet d’identifier des causes et d’interpréter des résultats expérimentaux qu’il serait impossible d’expliquer dans un cadre strictement classique.
Cela dit, Ansanelli précise que les avantages de l’inférence causale quantique dépassent le cadre des applications concrètes : elle peut aussi aider les physicien·ne·s à explorer le « pourquoi » derrière les comportements étranges de la mécanique quantique. « Comprendre l’inférence causale quantique nous rapproche un peu plus de la compréhension de ce que la théorie quantique dit sur la réalité. »
Ansanelli a découvert les fondements quantiques à l’Institut Périmètre en 2019, lorsqu’elle a participé au programme PSI Start — une école d’été destinée aux étudiant·e·s de premier cycle qui souhaitent postuler à la maîtrise de l’Institut. C’est durant la deuxième moitié de ce programme de deux semaines qu’elle a été initiée aux concepts de base des fondements quantiques — et elle est tombée amoureuse du domaine. « Je me suis dit : “Wow, il faut que je fasse ça. Il est hors de question que je fasse autre chose.” »
Pour Ansanelli, tomber amoureuse des fondements quantiques était inévitable. « C’est essentiellement le domaine où l’on pose toutes les questions qu’on nous disait trop compliquées durant le bac, celles qu’on balayait sous le tapis. »
Elle est revenue à l’Institut Périmètre pour faire sa maîtrise en 2020, et elle y poursuit aujourd’hui son doctorat sous la direction de Robert Spekkens, un chercheur de premier plan dans le domaine des fondements quantiques. Alors que son parcours de premier cycle en physique portait surtout sur les cours et l’assimilation des connaissances établies, sa recherche doctorale lui donne maintenant l’occasion de poser toutes ces fameuses questions du type « pourquoi » qui font progresser le domaine.
« J’ai toujours vu la recherche comme le fait de poser toutes les questions possibles jusqu’à tout comprendre d’un problème précis », dit-elle.
Certain·e·s physicien·ne·s adoptent encore une approche qu’Ansanelli résume comme « tais-toi et calcule » : on utilise la théorie quantique pour explorer et faire avancer la technologie, sans se soucier des questions fondamentales. Mais pour elle, c’est inconcevable — non seulement à cause de son obsession du « pourquoi », mais aussi parce qu’une meilleure compréhension du fonctionnement de la théorie quantique ne peut qu’accélérer les progrès futurs dans le domaine et dans ses applications potentielles. « Si on comprend comment la réalité fonctionne, cela peut nous mener à des avancées à long terme. »
À propos de l’IP
L'Institut Périmètre est le plus grand centre de recherche en physique théorique au monde. Fondé en 1999, cet institut indépendant vise à favoriser les percées dans la compréhension fondamentale de notre univers, des plus infimes particules au cosmos tout entier. Les recherches effectuées à l’Institut Périmètre reposent sur l'idée que la science fondamentale fait progresser le savoir humain et catalyse l'innovation, et que la physique théorique d'aujourd'hui est la technologie de demain. Situé dans la région de Waterloo, cet établissement sans but lucratif met de l'avant un partenariat public-privé unique en son genre avec entre autres les gouvernements de l'Ontario et du Canada. Il facilite la recherche de pointe, forme la prochaine génération de pionniers de la science et communique le pouvoir de la physique grâce à des programmes primés d'éducation et de vulgarisation.
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