La musique des étoiles à neutrons
Quelle note produit une étoile à neutrons dont les émissions sont pulsées? La réponse (du moins selon une certaine théorie de la gravitation) est un ré suraigu, juste au-dessus de la note la plus aiguë d’un piano ordinaire.
Et si cette note était un jour « entendue » par des détecteurs d’ondes gravitationnelles tels que le LIGO, cela pourrait avoir des répercussions sur notre compréhension de la nature de la gravitation.
De nouvelles recherches effectuées par Nestor Ortiz, postdoctorant à l’Institut Périmètre, et sa collaboratrice Raissa Mendes, de l’Institut de physique de l’Université fédérale Fluminense, au Brésil, montrent que, selon la théorie de la gravitation utilisée comme cadre, les étoiles à neutrons n’oscillent pas à la même fréquence.
Le caractère extrêmement compact des étoiles à neutrons, qui condensent jusqu’à 3 fois la masse de notre Soleil dans un volume dont le diamètre correspond à peu près à la longueur de l’île de Manhattan (environ 20 km), en fait des laboratoires idéaux pour tester le rendement des théories de la gravitation dans des milieux de « gravité forte ».
Nestor Ortiz, postdoctorant à l’Institut Périmètre[/caption]
Dans leur article publié par la revue Physical Review Letters, les chercheurs rapportent avoir mis à l’épreuve 2 théories de la gravitation : la relativité générale — étalon-or actuel, qui a subi avec succès de nombreuses vérifications expérimentales depuis qu’elle a été proposée par Einstein il y a plus d’un siècle — et une version légèrement modifiée de la relativité générale appelée théorie tenseur-scalaire.
« La relativité générale est une théorie géométrique de la gravitation, dit M. Ortiz. L’objet mathématique qui décrit la géométrie de l’espace-temps s’appelle tenseur métrique. » [traduction]
La théorie tenseur-scalaire utilise le tenseur métrique pour décrire l’espace-temps, mais elle utilise aussi une composante supplémentaire appelée champ scalaire (fonction qui attribue une valeur numérique à chaque point de l’espace-temps, même si son interprétation physique dépend du contexte), qui affecte l’interaction entre la matière et l’espace-temps.
Les chercheurs ont réalisé un modèle d’une étoile à neutrons selon chacune des 2 théories, puis ont donné un petit coup virtuel à chaque étoile (c’est-à-dire modélisé ce qui arriverait si le système était perturbé). À l’aide de méthodes numériques et analytiques indépendantes, ils ont calculé la fréquence des vibrations résultantes. Le procédé ressemble au fait de frapper un diapason et d’écouter quelle note il produit.
Les chercheurs ont découvert que, selon la théorie tenseur-scalaire, les étoiles émettent un ensemble de fréquences entièrement différentes — et, ce qui est important, tout à fait reconnaissables — de celles qui sont prédites par la relativité générale.
« Lorsque l’on calcule les fréquences des oscillations radiales d’étoiles à neutrons, explique M. Ortiz, on trouve de nouvelles fréquences d’oscillation beaucoup plus basses que celles qui sont prédites par la relativité générale. » Pour des détecteurs d’ondes gravitationnelles, les 2 signaux seraient aussi différents qu’une voix de soprano l’est d’une voix de basse.
« L’interaction de ces 2 champs [le tenseur métrique et le champ scalaire], ajoute-t-il, est à l’origine de ces modes d’oscillation.
« L’important, c’est que si nous arrivons un jour à détecter de telles oscillations, il faudra modifier la théorie d’Einstein. Par contre, si les détections effectuées montrent une absence systématique des modes d’oscillations que nous prédisons, cela indiquerait que la relativité générale demeure la meilleure candidate en tant que théorie de la gravitation. » [traduction]
Ce n’est pas la même chose de dire que la relativité générale doit être modifiée ou d’affirmer que c’est une théorie carrément erronée.
« Je ne veux pas dire que la relativité générale serait erronée. La théorie de la gravitation de Newton n’est pas non plus erronée, dit M. Ortiz. Elle fonctionne presque parfaitement à l’échelle du système solaire et a même permis de prédire l’existence de la planète Neptune. Mais lorsque l’on passe à un régime différent, où les objets sont plus massifs et plus compacts, la théorie de Newton doit être corrigée — c’est ce qu’a fait Einstein en élaborant un système totalement nouveau avec une théorie géométrique de la gravitation. Il se pourrait qu’à l’intérieur des étoiles à neutrons cette dernière théorie doive être modifiée pour expliquer des phénomènes que nous n’avons pas encore observés. » [traduction]
Même si la théorie tenseur-scalaire a été proposée pour la première fois il y a plus de 50 ans, la famille de modes de vibration propre aux étoiles à neutrons est restée inconnue jusqu’à récemment, à cause de la difficulté de résolution des équations qui régissent les perturbationss.
« Ces équations sont très difficiles et complexes à résoudre, dit M. Ortiz, de sorte que la plupart des chercheurs font appel à une certaine simplification appelée approximation de Cowling. Selon cette approximation, le champ scalaire peut osciller, mais la géométrie à l’arrière-plan demeure fixe.
« C’est ce qu’ont fait nos prédécesseurs, et ils n’ont pas vu les modes d’oscillation que nous avons découvert. Lorsque l’on met de côté l’approximation de Cowling et que l’on permet des perturbations de l’espace-temps lui-même, ces modes d’oscillation font leur apparition. » [traduction]
En plus de la nouvelle classe de fréquences d’oscillation, il y a d’autres signatures du champ scalaire proposé en théorie que les détecteurs d’ondes gravitationnelles permettent de rechercher. Les étoiles émettent de l’énergie gravitationnelle plus rapidement si elles ont un champ scalaire actif que si elles n’en ont pas. « Elles ont également des propriétés différentes lorsqu’elles font partie d’un système double, dit M. Ortiz, ce qui donne des prédictions différentes que l’on peut tester à l’aide des ondes gravitationnelles. » [traduction]
Cela pourrait prendre un certain temps avant que les observations ne donnent un verdict. Même si les détecteurs actuels sont sensibles aux fréquences en question, les chercheurs doivent encore définir les signatures précises à rechercher.
Entre-temps, Nestor Ortiz et Raissa Mendes ont créé des extraits sonores pour montrer les sons que percevrait l’oreille humaine. À partir de données de leurs simulations numériques, ils ont extrait les fréquences des oscillations, les ont amplifiées et en ont augmenté la durée (le processus prend en tout et pour tout pas plus de 35 millisecondes, ce qui est beaucoup trop rapide pour que ce soit audible).
« Même si les sons ne sont pas particulièrement mélodieux, la différence entre les deux est claire : selon la relativité générale, une étoile à neutrons émet une plainte aiguë, alors que selon la théorie tenseur-scalaire, elle bourdonne avec une fréquence distinctement plus basse.
« Cette note n’est pas sur le piano, mais elle y est presque », dit M. Ortiz en parlant de la fréquence émise selon la théorie tenseur-scalaire. « Elle est une touche blanche au-dessus de la note la plus aiguë d’un piano. C’est un son très aigu. J’aimerais que cette note fasse partie du clavier d’un piano : je pourrais la jouer et dire ‘voici le son d’une étoile’. » [traduction]
Écoutez la différence entre les 2 théories :
Les sons de la gravitation : entendre la différence entre des théories
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