Un système d’alerte précoce pour détecter la fusion de trous noirs
Un article publié récemment dans la revue Science par Luis Lehner, professeur associé à l’IP, Carlos Palenzuela (Université de l’État de la Louisiane et Institut canadien d’astrophysique théorique) et Steven Liebling (Université de Long Island) indique que, lorsque deux trous noirs supermassifs se rapprochent pour ultimement se fondre l’un dans l’autre, ils libèrent de puissants jets de rayonnement électromagnétique. Comme ces jets surviennent avant la fusion, ils peuvent fournir un « système d’alerte précoce » aux astronomes qui cherchent à observer directement ces événements à l’aide des détecteurs d’ondes gravitationnelles en cours de construction.
Comme le dit M. Lehner, « cela nous donne une chance d’être là à temps pour être témoins de l’événement. » [traduction]
On croit que la plupart des galaxies contiennent des trous noirs supermassifs, objets encore mal connus. Comme plusieurs galaxies entrent en collision et fusionnent, plusieurs peuvent en fait contenir des systèmes de deux trous noirs qui tournent l’un autour de l’autre et finissent par se fondre l’un dans l’autre. Des données de l’observatoire de rayons X Chandra et du télescope spatial Hubble ont fourni des preuves d’observation de la fusion de trous noirs (voir l’image à droite).
Le modèle élaboré par Luis Lehner et ses collègues est le premier à inclure l’interaction de deux trous noirs et du plasma d’électrons et de positrons qui les entoure. Ce plasma est créé par des disques de gaz en orbite autour des trous noirs et de la poussière environnante. Le mouvement orbital des trous noirs à la veille de fusionner remue le plasma, produisant deux jets extrêmement puissants de rayonnement, un issu de chaque trou noir. Ces jets sont théoriquement détectables d’une distance de deux à six milliards d’années-lumière. Ils pourraient donc constituer un indice de la fusion imminente de trous noirs.
Illustration des jets électromagnétiques émis avant la fusion de deux trous noirs (gracieuseté de la revue Science)
Ces travaux constituent un outil important dans le domaine nouveau de l’astronomie des ondes gravitationnelles. Prédites par la théorie de la relativité, les ondes gravitationnelles sont de faibles perturbations du tissu de l’espace-temps, produites par l’interaction de masses énormes. On s’attend à ce que les trous noirs soient les sources d’ondes gravitationnelles les plus puissantes de l’univers.
À la différence du rayonnement électromagnétique (comme celui de la lumière visible), les ondes gravitationnelles ne sont pas dispersées par les objets qu’elles traversent en voyageant dans l’espace. Elles sont donc porteuses d’une information intacte sur les forces et les champs qui les ont engendrées. C’est pourquoi elles sont très recherchées pour nous donner des indices de résolution de nombreux problèmes en physique théorique.
Des détecteurs d’ondes gravitationnelles tels que LISA (Laser Interferometry Space Antenna – antenne spatiale à interférométrie laser) et LIGO (Laser Inteferometer Gravitational Wave Observatory – observatoire d’ondes gravitationnelles par interférométrie laser) devraient être déployés d’ici dix ans. On espère qu’ils nous feront progresser autant que le télescope optique dans la compréhension de l’univers. Cependant, la détection et la compréhension de ces nouveaux signaux dépendront des bases théoriques fournies par les simulations numériques complexes effectuées par Luis Lehner et d’autres scientifiques.
Selon M. Lehner : « Une chose que les détecteurs d’ondes gravitationnelles tels que LISA ne pourront pas nous dire, c’est le lieu précis d’où provient le signal. Il faut un complément d’information. Les ondes électromagnétiques peuvent être localisées avec précision. En combinant les deux types d’information, il n’y aura aucun doute sur la provenance du signal. » [traduction]
Brian McNamara, titulaire de la chaire de recherche de l’Université de Waterloo en astrophysique, a ajouté : « L’une des questions auxquelles nous espérons répondre au cours des prochaines décennies est de savoir comment des trous noirs supermassifs — dont la masse est un milliard de fois celle du Soleil — ont fait leur apparition. Nous croyons qu’ils ont atteint de telles masses en partie en engloutissant d’autres trous noirs pendant le processus de formation des galaxies. Les nouveaux résultats obtenus par Luis Lehner et ses collaborateurs nous donnent à penser qu’en combinant les données de puissants radiotélescopes et celles de LISA, le futur détecteur d’ondes gravitationnelles en orbite autour de la Terre, nous pourrons assister en détail à la formation de trous noirs. » [traduction]
Luis Lehner et ses collègues travaillent maintenant à l’élaboration de modèles plus détaillés de la dynamique de la fusion de trous noirs, en intégrant des facteurs tels que la rotation et des trous noirs de tailles différentes. « Ce n’est que la pointe de l’iceberg, dit-il. Il y a une famille entière de divers systèmes que nous sommes incapables de comprendre parce que nous ne voyons que l’énorme jaillissement de rayonnement électromagnétique qui survient après coup — c’est déjà quelque chose, mais nous ne pouvons pas voir assez en profondeur pour observer ce qui se passe au cœur du phénomène. Pour cela, les ondes gravitationnelles sont la clé. Avec les deux types d’information, nous pourrons faire des progrès étonnants. » [traduction]
Lecture complémentaire
C. PALENZUELA, L. LEHNER et S. LEIBLING. « Dual Jets From Binary Black Holes », Science, vol. 329, no 5994, 20 août 2010, p. 927-930, DOI : 10.1126/science.1191766.
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