Des chercheurs utilisent une technique d’optique classique pour créer une « lumière quantique » nette
Beaucoup de spécialistes soupçonnent que la maîtrise des propriétés quantiques des photons pourrait constituer l’un des meilleurs moyens de réaliser des technologies quantiques à une échelle industrielle, mais quelques obstacles importants se dressent sur cette voie.
En premier lieu, il faut produire de façon fiable des photons ayant des caractéristiques précises. Deuxièmement, il faut pouvoir produire ces photons dans un matériau qui puisse être miniaturisé et incrusté dans des puces informatiques. Troisièmement, il faut un moyen d’éliminer du processus le « bruit » expérimental, par exemple les photons indésirabless.
Agata Brańczyk, chercheuse à l’Institut Périmètre, ainsi que ses collaborateurs Luke Helt et Michael Steel, en Australie, et Marco Liscidini, en Italie, viennent de suggérer une manière efficace de réaliser cela, à l’aide de techniques d’optique conventionnelle.
Dans un nouvel article intitulé Parasitic photon-pair suppression via photonic stop-band engineering (Suppression de paires de photons parasites par des techniques de bande interdite photonique), publié aujourd’hui dans Physical Review Letters, l’équipe propose une manière de fabriquer un milieu de silicium qui améliore de façon spectaculaire la qualité des photons produits.
Cette technique consiste à prendre un milieu de silicium et à y incorporer une variation périodique de l’indice de réfraction, appelée réseau de Bragg. Les réseaux de Bragg sont souvent utilisés pour éliminer une lumière non voulue déjà présente, mais cette proposition ajoute un élément nouveau : elle fait appel à un réseau de Bragg pour empêcher avant même leur création la production de photons indésirables.
Et cette idée pourrait être bientôt mise à l’épreuve, puisqu’elle est réalisable à l’aide de la technologie existante.
Comment produire une lumière quantique
On connaît quelques méthodes de production de lumière quantique. La première, utilisée depuis des décennies dans des expériences portant sur des photons individuels, est l’abaissement de fréquence paramétrique spontané (SPDC pour spontaneous parametric down conversion). Dans le SPDC, un faisceau laser de grande puissance est projeté sur un milieu spécialement conçu (un cristal), dans lequel un photon est subdivisé en 2 photons différents, souvent intriqués. Le SPDC est populaire parce qu’il est relativement facile à mettre en œuvre, mais le montage est volumineux et extrêmement difficile à intégrer à des puces informatiquess.
Une autre méthode, qui attire beaucoup l’attention des chercheurs depuis quelques années, est le mélange spontané à 4 ondes (SFWM pour spontaneous four-wave mixing). Dans le SFWM, un faisceau laser de grande puissance est projeté sur un milieu de type différent, par exemple du silicium. À l’intérieur du silicium, 2 photons se combinent pour former une paire. Cette paire se subdivise ensuite en 2 photons différents, qui sont eux aussi généralement intriqués. De telles sources sont attrayantes, parce qu’elles peuvent être produites dans des installations de fabrication de silicium, comme pour les puces informatiques.
Avec le SFWM, un faisceau laser d’une fréquence donnée — et donc d’un niveau d’énergie donné — produit une paire de photons de fréquences différentes. Un photon de la paire finale a une fréquence plus élevée que celle du faisceau original, et l’autre une fréquence plus basse. En effet, en vertu de la loi de conservation de l’énergie, l’énergie totale finale doit être égale à l’énergie initiale. Voir la partie (a) du schéma ci-dessous.
Divers processus de SFWM, où les flèches vers le bas et vers le haut représentent respectivement le faisceau initial et les paires de photons produites par : (a) un faisceau unique; (b) un double faisceau idéalisé; (c) un double faisceau avec du bruit indésirable provenant de paires de photons parasites[/caption]
Pour de nombreuses expériences, le plus utile est d’avoir des paires de photons de même fréquence, parce que ces photons peuvent alors interagir entre eux. Pour obtenir de telles paires, on peut utiliser 2 lasers réglés à des fréquences différentes. Un photon issu de chaque laser participe à la formation d’une paire. Les 2 photons de cette paire sont intriqués, et leur fréquence commune se situe entre les fréquences des 2 faisceaux d’origine. Là encore, cela est dû à la loi de conservation de l’énergie : l’un des 2 faisceaux d’origine a un niveau d’énergie plus élevé que l’autre — une paire est formée de photons issus de chacun des 2 faisceaux et ayant une fréquence commune qui se situe entre les fréquences des 2 faisceaux d’origine. Voir la partie (b) du schéma.
Par contre, ce système de 2 faisceaux produit aussi des photons qui constituent du « bruit » : parfois, des photons issus de chaque faisceau se subdivisent d’une manière différente et créent des paires non voulues. Comme dans le premier exemple, un photon a un niveau d’énergie plus élevé, et l’autre un niveau d’énergie plus faible, que celui de son faisceau d’origine. Dans le cas d’un système à 2 faisceaux, l’un des photons d’une paire non voulue, ou « parasite » a inévitablement une fréquence voisine de celle des paires de photons voulues. Voir la partie (c) du schéma.
Ces photons parasites donnent des maux de tête aux théoriciens comme aux expérimentateurs, parce qu’ils contaminent les efforts expérimentaux.
C’est à ce propos qu’Agata Brańczyk et ses collaborateurs ont eu tout à coup une idée. Essayer de bloquer les 2 photons de ces paires parasites est difficile, car cela risque de bloquer les paires de photons que l’on veut obtenir.
Mais peut-être pourrait-on bloquer uniquement le photon « extérieur » de la paire parasite, c’est-à-dire celui dont le niveau d’énergie se situe le plus loin de celui des paires de photons voulues. Comme les photons d’une même paire sont intriqués, le fait de bloquer un seul photon d’une paire pourrait du même coup bloquer l’autre.
S’inspirant des réseaux de Bragg de l’optique classique, ils ont conçu une structure comprenant des bandes interdites photoniques et jouant exactement ce rôle : créer les paires de photons voulues et supprimer les paires indésirables. Cette structure peut être faite de verre ou de fibre optique.
« L’idée est assez simple. Nous avons été surpris que personne n’ait fait cela auparavant », a déclaré Mme Brańczyk, qui est également assistante dans le programme PSI à l’Institut Périmètre et professeure adjointe auxiliaire à l’Université de Waterloo.
« Ce genre de coup de chance arrive parfois : personne n’a vérifié une chose pourtant simple. En général, les problèmes que l’on essaie de résoudre ont des solutions complexes. Dans ce cas-ci, la partie difficile a été de vérifier jusqu’à quel point la solution fonctionne, et dans quelles circonstances, mais l’idée elle-même est simple. » [traduction]
Une solution simple mais non sans difficultés
La solution aurait pu être simple, mais elle n’a pas été facile à mettre en œuvre, selon Krister Shalm, physicien quantique et expérimentateur à l’Institut national des normes et de la technologie des États-Unis, qui a fait la connaissance de Mme Brańczyk lorsqu’il était postdoctorant à l’Institut d’informatique quantique de l’Université de Waterloo.
« Nous nous sommes rendu compte que les meilleures idées sont parfois les plus simples, a-t-il déclaré. Mais il peut être très long et difficile d’y arriver. Si cela avait été si évident, quelqu’un d’autre l’aurait déjà fait. » [traduction]
M. Shalm poursuit en expliquant qu’à l’heure actuelle, beaucoup de travail se fait en laboratoire dans le but d’éliminer les photons indésirables. La nouvelle proposition a de bonnes chances d’améliorer les expériences sur la lumière quantique en diminuant ou en éliminant la contamination de manière efficace.
« La proposition impose une structure de verre plus grande, de sorte qu’elle a un comportement différent selon les régions. Cela crée une interférence qui annule certains signaux. » [traduction]
Agata Brańczyk est stimulée par les possibilités expérimentales que cette idée pourrait ouvrir, mais ce qui l’enthousiasme vraiment, c’est la satisfaction de résoudre un casse-tête embarrassant.
« La combinaison d’une source de lumière quantique et d’une structure périodique constituait sur le plan théorique un système naturel à examiner, dit-elle, mais nous ne nous attendions pas à ce que, sous sa forme la plus simple, cette combinaison soit aussi efficace pour améliorer les sources actuelles de photons. Ce genre de surprise montre l’intérêt et les avantages d’une recherche fondée sur la curiosité. » [traduction]
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