DES CHERCHEURS TROUVENT UN INGRÉDIENT « MAGIQUE » EN INFORMATIQUE QUANTIQUE
Selon un article récemment publié dans la revue Nature, une forme unique de « bizarrerie » quantique constitue un ingrédient clé de la construction d’un ordinateur quantique.
Les ordinateurs quantiques, qui exploitent les composantes et les phénomènes du monde subatomique pour traiter de l’information, promettent des avantages spectaculaires par rapport aux ordinateurs classiques. Il est toutefois difficile de mettre précisément le doigt sur la source réelle de cette plus grande puissance de calcul.
Mais une équipe de chercheurs en informatique quantique, dont Joseph Emerson, membre affilié de l’Institut Périmètre, vient de montrer qu’une propriété quantique appelée contextualité est une condition nécessaire à la « magie » du calcul quantique universel. Réalisée à partir de travaux théoriques antérieurs de chercheurs de l’Institut Périmètre dans les domaines de l’information quantique et des fondements quantiques, cette nouvelle recherche constitue un pas de plus vers la réalisation de technologies quantiques concrètes.
« Ce résultat nous permet de mieux comprendre la nature du calcul quantique et clarifie les exigences concrètes de la conception d’un ordinateur quantique réaliste » [traduction], a déclaré Joseph Emerson, professeur à l'Institut d’informatique quantique (IQC) de l'Université de Waterloo et membre de l'Institut canadien de recherches avancées (ICRA).
QU’EST-CE QUE LA CONTEXTUALITÉ?
La contextualité est l’une des caractéristiques contre-intuitives de la physique quantique qui distingue le domaine quantique de notre monde de tous les jours.
Dans le monde classique, les mesures révèlent des propriétés existantes, par exemple la couleur ou la masse d’un objet, qui peuvent être observées ou mesurées.
Par contre, dans le domaine quantique, une propriété que l’on découvre en faisant une mesure n’est pas une propriété que le système possédait avant que l’on effectue cette mesure. Ce que l’on mesure dépend nécessairement de la manière dont l’observation est effectuée – elle dépend du « contexte » de l’expérience.
Les chercheurs ont découvert que la clé de la puissance potentielle du calcul quantique réside dans cette distinction.
« Avant ces travaux, nous ne savions pas nécessairement quelles ressources étaient requises pour qu’un dispositif physique exploite les avantages de l’information quantique », a déclaré Mark Howard,auteur principal de l’article et boursier postdoctoral à l’IQC. « Maintenant nous en connaissons une. Dans les travaux visant la construction d’un ordinateur quantique universel, il est important de comprendre les ressources physiques minimales requises afin d’exploiter la puissance du monde quantique. » [traduction]
L’une des principales conditions de l’exploitation de la puissance d’un ordinateur quantique universel consiste à trouver des moyens pratiques de contrôler les fragiles états quantiques. Le résultat obtenu par Mark Howard, Joseph Emerson, Joel Wallman (de l’IQC) et Victor Veitch (de l’Université de Toronto) est la confirmation théorique que la contextualité est une ressource nécessaire pour profiter des avantages du calcul quantique.
LES ÉTATS QUANTIQUES MAGIQUES SONT CONTEXTUELS
L’une des raisons pour lesquelles les appareils quantiques sont extrêmement difficiles à construire est qu’ils doivent fonctionner dans un environnement résistant au bruit – protégé des perturbations qui peuvent provoquer des erreurs.
L’adjectif « magique » fait référence à une méthode particulière de construction d’ordinateurs quantiques résistants au bruit, appelée distillation d’états magiques. Pour vaincre les effets nuisibles du bruit non désiré, on met au point et on utilise des techniques dites « insensibles aux défaillances ».
Les états magiques constituent un ingrédient supplémentaire essentiel (mais difficile à obtenir et à maintenir) qui augmente la puissance d’un dispositif quantique pour atteindre la puissance de traitement plus grande d’un ordinateur quantique. Reconnaissant le caractère contextuel de ces états magiques, les chercheurs pourront clarifier les compromis que supposent diverses approches. Cela pourrait aider à concevoir de nouveaux algorithmes exploitant de manière plus complète les propriétés de ces états magiques.
« Je m’attends à ce que ce résultat aide les théoriciens comme les expérimentateurs à trouver des manières plus efficaces de triompher des limites imposées par les sources inévitables de bruit et d’autres erreurs. » [traduction], a déclaré M. Emerson.
Ce résultat récent s’appuie sur des travaux théoriques antérieurs de membres de l’Institut Périmètre, dont Robert Spekkens et Daniel Gottesman.
Par exemple, les travaux de Robert Spekkens sur la contextualité, font clarifié le rôle fondamental qu’elle joue comme propriété authentiquement quantique. « Ces travaux m’ont amené à réfléchir à la manière dont elle pourrait être liée à la puissance du calcul quantique. » [traduction], a déclaré M. Emerson.
D'autres travaux effectués par Joseph Emerson en collaboration avec Daniel Gottesman ont porté sur le cadre de la distillation d’états magiques.
« Dans nos derniers travaux, nous avons réuni ces deux pistes de recherche et déterminé que la contextualité est une ressource nécessaire pour atteindre la puissance du calcul quantique. » [traduction], a ajouté M. Emerson.
CONTEXTUALITÉ ET CARTES À JOUER
Pour mieux comprendre la contextualité, imaginez que vous retournez une carte à jouer. Elle peut être rouge ou noire – c’est une mesure qui a deux résultats possibles.
Supposons maintenant qu’il y ait neuf cartes placées de manière à former trois lignes et trois colonnes. La mécanique quantique prédit quelque chose qui semble contradictoire : il doit y avoir un nombre pair de cartes rouges dans chaque ligne et un nombre impair de cartes rouges dans chaque colonne. Si vous essayez de réaliser une grille satisfaisant à ces conditions, vous allez vous rendre compte que c’est impossible. C’est parce que, dans le monde quantique, les mesures ne peuvent pas être interprétées comme révélant purement une propriété préexistante de la même façon qu’on découvre la couleur rouge ou noire d’une carte en la retournant.
De la même manière, toute mesure quantique ne peut être considérée comme révélant simplement une propriété préexistante du système à l’étude. Cela fait partie de l’étrangeté de la mécanique quantique – et il se trouve que c’est une clé du calcul quantique.
POUR EN SAVOIR PLUS
- Lire l’article « Contextuality supplies the ‘magic’ for quantum computation » dans la revue Nature
- Lire dans arXiv un article antérieur de Robert Spekkens sur la contextualité.
- Lire dans arXiv l’article à propos du cadre de la distillation d’états magiques, sur lequel Daniel Gottesman et Joseph Emerson ont travaillé ensemble.
À propos de l’IP
L'Institut Périmètre est le plus grand centre de recherche en physique théorique au monde. Fondé en 1999, cet institut indépendant vise à favoriser les percées dans la compréhension fondamentale de notre univers, des plus infimes particules au cosmos tout entier. Les recherches effectuées à l’Institut Périmètre reposent sur l'idée que la science fondamentale fait progresser le savoir humain et catalyse l'innovation, et que la physique théorique d'aujourd'hui est la technologie de demain. Situé dans la région de Waterloo, cet établissement sans but lucratif met de l'avant un partenariat public-privé unique en son genre avec entre autres les gouvernements de l'Ontario et du Canada. Il facilite la recherche de pointe, forme la prochaine génération de pionniers de la science et communique le pouvoir de la physique grâce à des programmes primés d'éducation et de vulgarisation.