Démasquer un monstre : la première image — historique — produite par le télescope EHT

account_circle Par Perimeter Institute
Le rédacteur scientifique Ian O’Neill parle de l’ingéniosité scientifique et de la collaboration remarquables qu’il a fallu pour que l’humanité jette un premier regard sur un trou noir. Il aborde aussi les étapes à venir.

Par Ian O’Neill

Quand Avery Broderick a vu la première image produite par le télescope EHT (Event Horizon Telescope – Télescope Horizon des événements), il s’est dit qu’elle était trop belle pour être vraie.

Ayant joué un rôle crucial dans ce projet depuis ses débuts en 2005, M. Broderick contemplait son trophée ultime : une observation visuelle parfaite d’un trou noir supermassif situé dans une autre galaxie. Non seulement cette première image constituait une douce récompense des efforts planétaires visant à rendre possible l’impossible, mais c’était aussi une belle confirmation des prédictions d’Avery Broderick et des théories centenaires de la gravitation sur lesquelles elles s’appuyaient.

« Il se trouve que nos prédictions étaient remarquablement précises; nous avions visé dans le mille », a déclaré M. Broderick, titulaire de la chaire Famille-Delaney-John-Archibald-Wheeler de physique théorique de l’Institut Périmètre. « C’est selon moi une confirmation saisissante que nous sommes au moins sur la bonne voie pour comprendre le fonctionnement de ces objets. » [traduction]

Pour Avery Broderick, professeur associé à l’Institut Périmètre, professeur agrégé à l’Université de Waterloo et membre important de l’équipe internationale du télescope EHT, cette image n’est pas seulement une confirmation de l’exactitude de ses modèles théoriques. C’est la première étape d’un voyage historique dans l’inconnu et dont les conséquences potentiellement révolutionnaires se répercuteront dans toute la science et dans la société en général.

Rendre possible l’impossible

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À l’aide du télescope EHT, les scientifiques ont obtenu une image du trou noir situé au centre de la galaxie M87. Le trou noir est entouré de gaz ultrachauds qui lui tournent autour sous l’influence de la gravité forte au voisinage de son horizon des événements.[/caption]

Le 10 avril, l’équipe internationale du télescope EHT a révélé la première image du trou noir supermassif situé au centre de la galaxie elliptique massive M87. L’image montre un croissant fantomatique brillant qui entoure un disque sombre, typique d’une région de l’univers à la gravité la plus extrême connue : l’horizon des événements d’un trou noir.

Cette première image prouve que l’humanité a maintenant la capacité de faire des observations jusqu’à la limite d’un horizon des événements. Mais plus encore, elle constitue une promesse que de futures observations nous aideront à mieux comprendre le fonctionnement des trous noirs supermassifs et leur influence sur l’évolution des galaxies où elles se trouvent, et qu’elles donneront peut-être accès à de nouvelles lois physiques en démasquant enfin la vraie nature de la gravitation elle-même.

Pour Avery Broderick, qui a toujours été fasciné par l’inconnu, ce sont des mystères comme celui-ci qui lui donnent la passion de comprendre le fonctionnement de l’univers — quête majeure au cœur de l’aventure humaine.

« Les trous noirs sont les milieux les plus extrêmes de l’univers. C’est pour cela qu’ils me fascinent depuis aussi longtemps que je puisse me souvenir, a-t-il déclaré. Nulle part dans l’univers il n’y a un laboratoire plus parfait pour repousser les limites de nos connaissances sur la nature de la gravitation. C’est ce que rend les trous noirs irrésistibles. » [traduction]

Peu de scientifiques mettaient en doute la réalité des trous noirs, mais la première image du trou noir supermassif de M87 constitue une preuve définitive de l’existence de ces monstres et de leur horizon des événements. « Ces choses existent vraiment, ainsi que toutes leurs conséquences pour la physique » [traduction], a ajouté M. Broderick.

Au cours des années précédant cette annonce, Avery Broderick et ses collègues du projet EHT ont mis au point des simulations modélisant ce que le télescope virtuel de la taille de la Terre pourrait voir. Et M. Broderick a été sidéré par la ressemblance entre ses modèles et la première image produite par le télescope EHT.

« Cette première image était si bonne que je l’ai prise pour celle d’un test. Ça ne pouvait être qu’un essai, a dit M. Broderick. C’est un bel anneau qui a exactement la bonne taille. De fait, il ressemble beaucoup aux images (résultant de modèles théoriques) que nous avions mises dans nos propositions portant sur le projet EHT. » [traduction]

L’anneau décrit par Avery Broderick est formé des émissions brillantes de gaz qui entourent immédiatement la gueule colossale de l’horizon des événements d’un trou noir supermassif. Situé à l’intérieur de l’immense galaxie elliptique M87, dans la constellation de la Vierge, cet objet gargantuesque a une masse de 6,5 milliards de fois celle du Soleil et un diamètre de près d’une demi-journée-lumière. Cela peut paraître énorme, mais comme ce trou noir est à 55 millions d’années-lumière de la Terre, il est beaucoup trop loin pour que n’importe quel télescope seul puisse le photographier.

Par contre, le télescope EHT est un réseau planétaire de radiotélescopes situés entre autres dans le désert d’Atacama et au pôle Sud. En travaillant de concert — par une méthode appelée interférométrie à très grande base —, ils constituent un observatoire virtuel aussi large que notre planète. Au bout d’une vingtaine d’années de travail, l’équipe internationale a réussi l’impossible en mettant le télescope au point sur l’horizon des événements qui entoure le trou noir supermassif de M87.

« Ce projet a été marqué par une grande collaboration, a déclaré M. Broderick, sur le plan géographique — on ne peut construire un télescope de la taille de la Terre sans une collaboration planétaire —, mais aussi quant à la diversité des compétences : celles des ingénieurs qui construisent ces télescopes évolués; celles des astronomes qui font les observations quotidiennes; celles des théoriciens qui guident leurs observations. » [traduction]


Une percée sur les trous noirs — L’image historique produite par le télescope EHT

Une confirmation spectaculaire

L’horizon des événements est la région qui entoure un trou noir et où la physique connue de notre univers atteint abruptement sa limite. Rien, même pas la lumière, ne peut échapper à l’incroyable force de gravité exercée par un trou noir, et l’horizon des événements est l’ultime point de non-retour. On peut débattre de ce qu’il y a au-delà de l’horizon des événements, mais une chose est certaine : rien de ce qui tombe à l’intérieur ne peut en ressortir.

Il y a plus d’un siècle, Albert Einstein a formulé sa théorie de la relativité générale, cadre théorique qui sous-tend le fonctionnement de notre univers, y compris à quoi les horizons des événements devraient ressembler. Les trous noirs incarnent la relativité générale à son paroxysme, et les horizons des événements sont des manifestations de l’effondrement de l’espace-temps sur lui-même.

« Les horizons des événements marquent la fin de l’espace sûr de l’univers, a ajouté M. Broderick. On devrait y mettre des panneaux ‘Attention à la marche’ ou ‘Attention à l’horizon’. » [traduction]

Certains problèmes non résolus de la physique pourraient trouver une réponse grâce au télescope EHT. L’un de ces problèmes est celui de la nature de la gravité elle-même, selon M. Broderick. Pour résumer, la gravité ne correspond pas à notre compréhension actuelle des autres forces fondamentales et des particules qui sous-tendent toute la matière de l’univers. En mettant à l’épreuve les théories d’Einstein au bord de l’horizon des événements d’un trou noir, le télescope EHT fournira aux physiciens le laboratoire ultime permettant de mieux comprendre la gravité, force motrice de la formation des étoiles et des planètes ainsi que de l’évolution de notre univers.

Selon M. Broderick, les répercussions d’une compréhension réelle de cette force fondamentale pourraient être révolutionnaires.

« Aujourd’hui, le principal problème non résolu de la physique est celui de la gravitation. Personne ne saisit complètement les conséquences possibles d’une résolution complète de ce problème. » [traduction]

À l’échelle astronomique, les trous noirs supermassifs sont intrinsèquement liés à l’évolution des galaxies qui les contiennent. Mais la manière dont les trous noirs et les galaxies se forment et cohabitent est un autre mystère non résolu. Les trous noirs supermassifs sont des agents de création aussi bien que d’anéantissement — ils ont le pouvoir de déclencher comme d’empêcher la formation d’étoiles —, et les astronomes espèrent comprendre ce paradoxe à l’aide du télescope EHT.

« Ces objets incroyablement massifs sont au centre de galaxies et en déterminent le sort, a poursuivi M. Broderick. Les trous noirs supermassifs sont les moteurs des noyaux galactiques actifs et des quasars lointains, les objets les plus énergétiques connus. Pour la première fois, nous voyons maintenant de plus près à quoi ils ressemblent. » [traduction]

Un voyage de découverte

Maintenant que l’on voit mieux les bienfaits scientifiques de l’observation de trous noirs supermassifs, Avery Broderick a fait valoir que cela pourrait aussi avoir des effets majeurs sur la société.

« J’espère qu’une image comme celle-ci galvanisera le désir d’explorer la pensée aussi bien que l’univers, a-t-il conclu. Si nous pouvons enthousiasmer les gens, les amener à entreprendre un voyage de découverte dans cette nouvelle ère de la physique de l’observation de trous noirs à l’aide du télescope EHT, j’imagine que cela aura de profondes conséquences sur le progrès de l’humanité. Je me sens extrêmement privilégié de faire partie de cette phase d’exploration — l’aventure humaine de la connaissance de notre univers en vue d’une vie meilleure. » [traduction]

À propos de l’IP

L'Institut Périmètre est le plus grand centre de recherche en physique théorique au monde. Fondé en 1999, cet institut indépendant vise à favoriser les percées dans la compréhension fondamentale de notre univers, des plus infimes particules au cosmos tout entier. Les recherches effectuées à l’Institut Périmètre reposent sur l'idée que la science fondamentale fait progresser le savoir humain et catalyse l'innovation, et que la physique théorique d'aujourd'hui est la technologie de demain. Situé dans la région de Waterloo, cet établissement sans but lucratif met de l'avant un partenariat public-privé unique en son genre avec entre autres les gouvernements de l'Ontario et du Canada. Il facilite la recherche de pointe, forme la prochaine génération de pionniers de la science et communique le pouvoir de la physique grâce à des programmes primés d'éducation et de vulgarisation.

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