Le théoricien de la matière condensée Chong Wang se joint au corps professoral de L’Institut Périmètre
Lorsque l’on parle de matière condensée, ce sont souvent les retombées technologiques potentielles qui retiennent le plus l’attention. Après tout, ce domaine promet entre autres une transmission d’énergie sans perte, la supraconduction à la température ambiante et des ordinateurs quantiques extensibles.
Par contre, pour de jeunes physiciens théoriciens, la recherche sur la matière condensée peut être rébarbative. Le problème semble sérieux, les défis sont difficiles à expliquer, et la complexité absolue des systèmes quantiques à N corps est trop grande pour permettre une simulation même par nos plus puissants superordinateurs.
Mais, selon le théoricien de la matière condensée Chong Wang, si l’on persévère, quelque chose d’étonnant peut en ressortir : de la beauté.
Il a fallu un certain temps pour que M. Wang lui-même s’en rende compte. Enfant, il aimait les sciences et les mathématiques, mais il ne ressentait aucune affinité particulière pour un domaine ou un autre. Au secondaire, dans sa ville natale de Zunyi, en Chine, il avait un penchant pour la théorie des cordes. Ce n’est que tard au cours de ses études de 1er cycle, à l’Université des sciences et technologies de Hong Kong, qu’il s’est suffisamment plongé dans la recherche sur la matière condensée pour se rendre compte qu’il trouvait ce domaine absolument fascinant.
En rétrospective, il note qu’une partie du problème est que, pour pleinement apprécier le domaine de la matière condensée, il faut d’abord le comprendre. Et cela n’est pas facile.
À la différence de la cosmologie ou de la théorie des cordes, où un scientifique débutant peut saisir des problèmes simples et fascinants à étudier, dans le domaine de la matière condensée, « il faut faire un effort pour bien comprendre la question », dit-il.
« Je ne sais pas si l’on peut parler d’un goût que l’on développe, dit-il en riant. J’ai dû attendre la fin de mes études de 1er cycle pour me rendre compte que la physique de la matière condensée concerne souvent l’étude de l’émergence de la beauté. C’est vraiment cette idée de la beauté issue de la laideur qui m’a entraîné dans ce domaine. » [traduction]
Après ses études à Hong Kong, il a fait son doctorat au MIT, puis un postdoctorat à Harvard, et il vient de se joindre à l’Institut Périmètre comme membre du corps professoral. Il participe à une intensification des efforts de l’Institut à propos de la matière quantique, se joignant à d’autres jeunes chercheurs prometteurs qui étudient les éléments constitutifs les plus bizarres de la nature.
L’ÉTRANGETÉ DE LA MATIÈRE CONDENSÉE
La « matière condensée » et la « physique des systèmes quantiques à N corps » englobent certains des phénomènes les plus étranges au sein de systèmes parmi les plus complexes de la nature.
Traditionnellement, les scientifiques trouvent comment fonctionne un système complexe en faisant des calculs sur une petite partie du système et en extrapolant pour l’ensemble. Tout comme un pâtissier qui fabrique différentes sortes de biscuits commence par une recette de base, puis mélange diverses saveurs, un scientifique qui étudie un système quantique complexe pourrait d’abord déterminer ce que font les particules individuelles, puis faire une extrapolation pour l’ensemble du système afin d’en arriver à une compréhension de base. Il ajouterait ensuite des effets « du monde réel » entre les particules, tels que l’attraction, la répulsion et l’interférence, augmentant lentement la complexité de ses calculs.
Cependant, cette méthode ne fonctionne pas pour les systèmes que Chong Wang étudie. Selon lui, ces systèmes sont tout simplement trop étranges, et les comportements émergents trop bizarres, pour que l’on puisse les comprendre en ajoutant progressivement de la complexité. Il faut plutôt les aborder d’une manière qui leur est propre.
« Les expérimentateurs ne cessent de voir des comportements étranges dans ces matériaux, dit M. Wang. Et un grand nombre de ces phénomènes sont en fait mal compris des théoriciens. » [traduction]
Il y a au moins un phénomène que les scientifiques comprennent bien — en tout cas sous ses aspects les plus fondamentaux : c’est l’« effet Hall quantique fractionnaire ». Selon Chong Wang, c’est un parfait exemple du comportement étrange de la matière condensée.
Pour voir cet effet en action, on met une couche d’électrons dans un champ magnétique intense. En vertu des lois fondamentales de la physique, les électrons ne peuvent se subdiviser en particules plus petites, mais l’effet Hall quantique fractionnaire semble violer cette loi. Lorsqu’ils sont soumis à un champ magnétique suffisamment intense, les électrons de cette « soupe » peuvent se comporter, collectivement, comme s’ils s’étaient subdivisés.
« Si vous rassemblez un très grand nombre d’électrons et qu’ils se déplacent collectivement, ce mouvement collectif se comporte comme si c’étaient des tiers ou des cinquièmes d’électrons, explique M. Wang. C’est impossible de comprendre ce comportement en considérant des électrons entiers. Ce phénomène émerge du mouvement de nombreuses particules. C’est à la fois très étrange et très simple à constater. » [traduction]
La structure mathématique qui régit ce genre de comportement émergent s’appelle la théorie quantique des champs topologiques, que Chong Wang décrit comme « l’une des plus belles structures mathématiques qui existe. »
« Ce qui est particulièrement fascinant à propos du tableau final, dit-il, c’est qu’il n’a rien de commun avec les éléments microscopiques qui le constituent. Ceux-ci laissent croire que les électrons se déplacent de manière indépendante, désordonnée. Le problème est compliqué, mais au bout du compte il en ressort une belle image. C’est un miracle que la simplicité puisse émerger de quelque chose d’aussi complexe. » [traduction]
Les recherches de M. Wang portent sur certains des cas les plus étranges de systèmes quantiques à N corps, comme les liquides de spin quantiques, les isolants topologiques, les effets Hall quantiques, les transitions d’états quantiques, de même que leurs liens avec des aspects récents de la théorie quantique des champs tels que les anomalies et les dualités.
Résoudre ces casse-tête représente un défi, mais aussi une occasion rêvée pour Chong Wang et ses collègues de l’Initiative de l’Institut Périmètre sur la matière quantique, alors que la théorie et l’expérimentation se stimulent mutuellement en vue d’une meilleure compréhension de la nature.
« Dans son travail quotidien, affirme M. Wang, un théoricien vise 2 objectifs : obtenir une théorie ayant la structure la plus belle possible; essayer d’expliquer les faits expérimentaux les plus déroutants. Bien souvent, les 2 objectifs sont parallèles, mais de temps à autre ils se rejoignent. C’est alors que quelque chose de fantastique se produit. » [traduction]
À propos de l’IP
L'Institut Périmètre est le plus grand centre de recherche en physique théorique au monde. Fondé en 1999, cet institut indépendant vise à favoriser les percées dans la compréhension fondamentale de notre univers, des plus infimes particules au cosmos tout entier. Les recherches effectuées à l’Institut Périmètre reposent sur l'idée que la science fondamentale fait progresser le savoir humain et catalyse l'innovation, et que la physique théorique d'aujourd'hui est la technologie de demain. Situé dans la région de Waterloo, cet établissement sans but lucratif met de l'avant un partenariat public-privé unique en son genre avec entre autres les gouvernements de l'Ontario et du Canada. Il facilite la recherche de pointe, forme la prochaine génération de pionniers de la science et communique le pouvoir de la physique grâce à des programmes primés d'éducation et de vulgarisation.