Le cri d’un trou noir nouveau-né
M. Lehner et ses collaborateurs étudient les fusions d’étoiles binaires compactes – c’est-à-dire celles où les deux étoiles sont extraordinairement denses : il peut s’agir d’étoiles à neutrons ou de trous noirs. Ils ont étudié deux types de fusion : soit une étoile à neutrons en orbite autour d’un trou noir est absorbée et détruite par ce dernier; soit deux étoiles à neutrons tournent en spirale l’une autour de l’autre et entrent en collision, formant une étoile à neutrons hypermassive qui s’effondre pour donner un nouveau trou noir. Chacun de ces types de fusion a une puissance fantastique.
Les étoiles à neutrons concentrent la masse du Soleil dans une sphère plus petite que la plupart des villes. Rappelez-vous l’image familière de l’espace-temps semblable à un drap dans lequel une boule de jeu de quilles forme un creux. Si la boule de jeu de quilles représente le Soleil, une étoile à neutrons creuserait le drap comme une tête d’épingle pesant autant que cette boule. Ce creux ressemblerait davantage à un puits profond, aux parois presque verticales. À l’étape suivante, un trou noir est comme un trou sans fond. L’énergie concentrée dans l’une ou l’autre distorsion de l’espace-temps est énorme, et lorsqu’il y a fusion de deux telles distorsions, cela crée des vagues dans le drap – les ondes gravitationnelles.
Les ondes gravitationnelles sont prédites depuis longtemps par la théorie de la relativité générale d’Einstein, mais elles n’ont jamais été observées. Cela pourrait changer bientôt : le premier d’une nouvelle génération de détecteurs d’ondes gravitationnelles est entré en service en 2002, et d’autres sont construits et améliorés chaque année. On croit que des fusions d’étoiles binaires massives, du type que Luis Lehner étudie, constitueraient la source idéale des signaux que ces détecteurs tentent de capter.
On croit aussi que ces fusions sont la source de bouffées de rayons gamma : depuis 25 ans, on repère d’intenses bouffées de lumière à haute fréquence un peu partout dans le ciel. De brèves bouffées de rayons gamma durent moins de deux secondes – mais pendant ces deux secondes, elles émettent plus de lumière que tout le reste de l’univers. On croit qu’elles sont alimentées par la manière dont les deux étoiles font tourner leurs champs magnétiques et les mêlent en s’approchant l’une de l’autre en spirale, créant des champs des milliers de milliards de fois plus intenses que le champ magnétique terrestre.
Ce que Luis Lehner et ses collègues ont réalisé est de montrer comment les deux signaux – l’onde gravitationnelle et le rayonnement électromagnétique du système – pourraient être liés. Leur nouveau modèle examine les champs magnétiques à l’intérieur et à l’extérieur des étoiles qui entrent en collision, alors que les modèles précédents devaient faire des simplifications qui ne permettaient pas d’étudier les deux types de champs magnétiques en même temps.
Selon le nouveau modèle, il devrait y avoir une forte contrepartie électromagnétique au signal d’ondes gravitationnelles résultant de la fusion d’étoiles à neutrons. La présence de deux signaux – l’un gravitationnel et l’autre électromagnétique – nous donne deux manières d’observer le même événement. C’est là une idée nouvelle et très intéressante dans ce domaine, et l’on peut parler d’« astronomie multimessage ». Les travaux de Luis Lehner seront importants pour les scientifiques qui chercheront à comprendre jusqu’à quel point l’astronomie multimessage est possible.
L’intérêt de l’astronomie multimessage ne réside pas seulement dans la disponibilité de deux ensembles de données. Elle permet à un modèle de vérifier l’autre. Elle nous permet d’observer différentes parties d’un système – p. ex. les ondes gravitationnelles provenant des profondeurs des étoiles et les signaux électromagnétiques venant de leur surface. Et puisque les ondes gravitationnelles augmentent graduellement d’intensité avant la fusion d’étoiles à neutrons, elles pourraient nous avertir d’une fusion imminente, nous permettant d’orienter nos télescopes et de capter le jet électromagnétique qui constitue le cri d’un trou noir nouveau-né.
POUR EN SAVOIR PLUS
• Lire l’article intitulé Gravitational and electromagnetic outputs from binary neutron star mergers dans arXiv
• Lire l’article précédent de Luis Lehner et al. intitulé Intense Electromagnetic Outbursts from Collapsing Hypermassive Neutron Stars
• Lire dans arXiv un article de 2008, intitulé Magnetized Neutron Star Mergers and Gravitational Wave Signals, sur lequel se fonde la recherche la plus récente
À propos de l’IP
L'Institut Périmètre est le plus grand centre de recherche en physique théorique au monde. Fondé en 1999, cet institut indépendant vise à favoriser les percées dans la compréhension fondamentale de notre univers, des plus infimes particules au cosmos tout entier. Les recherches effectuées à l’Institut Périmètre reposent sur l'idée que la science fondamentale fait progresser le savoir humain et catalyse l'innovation, et que la physique théorique d'aujourd'hui est la technologie de demain. Situé dans la région de Waterloo, cet établissement sans but lucratif met de l'avant un partenariat public-privé unique en son genre avec entre autres les gouvernements de l'Ontario et du Canada. Il facilite la recherche de pointe, forme la prochaine génération de pionniers de la science et communique le pouvoir de la physique grâce à des programmes primés d'éducation et de vulgarisation.