Des physiciens experts-conseils
En complément de leurs recherches mues par la curiosité, de nombreux scientifiques aiment relever des défis concrets. Et de nombreuses entreprises de technologie à but lucratif sont ouvertes à l’idée de faire progresser la recherche scientifique tout en mettant de nouveaux produits sur le marché.
Résultat : de plus en plus de physiciens de l’Institut Périmètre collaborent avec des géants comme Microsoft ou de jeunes pousses telles que Xanadu et Agnostiq. Cette tendance est plus prononcée chez les postdoctorants, qui se préparent à une carrière dans un monde où la recherche fondamentale et la création d’entreprises n’ont jamais été aussi proches l’une de l’autre.
William Cunningham a récemment fait des recherches sur la gravitation quantique comme postdoctorant à l’Institut Périmètre. Au cours de cette période, il a commencé à travailler avec Agnostiq, l’aidant à mettre au point des interfaces destinées à des non-experts désireux de déployer des algorithmes quantiques pour résoudre des problèmes et effectuer des calculs sur des dispositifs quantiques.
Agnostiq a des clients dans des secteurs comme celui de la finance, où le calcul quantique joue un rôle de plus en plus important en matière de sécurité et d’analyse ainsi que dans d’autres domaines. Le calcul quantique a déjà commencé à révolutionner la technologie financière, et l’on s’attend à ce qu’il permette de perfectionner de manière spectaculaire les simulations, les projections, les évaluations de risques, les analyses de possibilités, etc.
Les défis de la technologie financière sont à des années-lumière — au sens propre comme au sens figuré — des régions lointaines de l’espace où la gravitation quantique entre en jeu. Mais M. Cunningham a trouvé naturel d’adapter son expertise d’un domaine à l’autre.
« La méthodologie est similaire, dit-il. Dans les deux cas, j’utilise l’apprentissage automatique et des algorithmes quantiques. Comme ce sont des techniques relativement nouvelles, on cherche à comprendre comment les exploiter dans la recherche théorique aussi bien qu’appliquée. » [traduction]
William Cunningham, ancien postdoctorant à l'Institut Périmètre[/caption]
William Cunningham a fait son doctorat à l’Institut de réseautique de l’Université Northeastern, où l’on donne un sens large à la notion de réseau, en y intégrant les mathématiques et la physique théoriques, les sciences sociales et politique, l’épidémiologie et la biologie. Le programme de cet institut crée des liens entre disciplines et vise l’application des connaissances acquises dans un domaine à quelque chose de totalement différent.
Cet esprit d’ouverture à de nouveaux défis n’a fait que croître chez M. Cunningham pendant son séjour à l’Institut Périmètre.
« Dans la communauté de la gravitation quantique, on met de plus en plus l’accent sur la collaboration entre des démarches différentes, dit-il. Il y a un petit nombre de méthodes viables qui peuvent être complémentaires au lieu de se faire concurrence, notamment en matière de simulation informatique. Une importante leçon que j’ai apprise, c’est que les méthodes d’un domaine peuvent être immensément utiles dans un autre domaine, mais que l’on ne s’en rend pas nécessairement compte tant que l’on n’en a pas discuté. » [traduction]
M. Cunningham recourt à l’apprentissage automatique, une forme très souple d’intelligence artificielle par laquelle des ordinateurs apprennent par eux-mêmes à mieux résoudre des problèmes et accomplir des tâches complexes. Qu’il s’agisse d’élaborer de meilleures simulations des interactions entre la gravité et les effets quantiques, ou de créer de meilleurs algorithmes de transactions sur devises, la démarche de M. Cunningham peut contribuer à faire avancer les choses.
Ces projets d’expertise ne servent pas seulement à appliquer de nouvelles méthodes scientifiques à des intérêts commerciaux. Des physiciens peuvent aussi exploiter les ressources de leurs clients pour faire progresser la recherche fondamentale.
Le physicien mathématicien Modjtaba Shokrian-Zini cherche à savoir si l’univers aurait pu naître à partir d’une particule unique. Le modèle qu’il utilise fait appel à des « réseaux de tenseurs », objets mathématiques qui exigent une grande puissance de calcul.
En 2020, M. Shokrian-Zini a fait un stage chez Microsoft, et cette relation a continué de s’intensifier. Par le truchement de sa Division de la recherche, Microsoft lui a fourni les ressources informatiques dont il avait besoin, de même qu’un précieux collaborateur en la personne de Michael Freedman, fondateur de la Station Q de Microsoft, centre de recherche en informatique quantique situé à Santa Barbara.
« Il s’agit de recherche en physique pure, dit M. Shokrian-Zini. Il n’y a aucun produit ni rien d’autre de semblable en vue. » [traduction] Par contre, le scientifique mène avec Microsoft un autre projet de recherche qui pourrait procurer des bénéfices concrets à l’entreprise de technologie.
« Essentiellement, dit-il, ce projet vise à élaborer un modèle de calcul quantique reposant sur des ‘portes’ qui peuvent être réalisées et adaptées plus facilement que d’autres systèmes.
« Nous en sommes encore aux toutes premières étapes du travail théorique. Nous devons déterminer si le modèle est universel, puis le simplifier autant que possible pour qu’il puisse être mis en œuvre. Ma contribution à ce projet repose surtout sur mes compétences en programmation et en informatique quantique théorique. » [traduction]
L'écart se rétrécit entre la physique théorique et des technologies émergentes
La technologie quantique en est à un stade où elle réunit naturellement la recherche fondamentale et des intérêts commerciaux. Des firmes de capital de risque investissent massivement dans de jeunes pousses du domaine quantique, même si des physiciens théoriciens travaillent encore sur des concepts fondamentaux. Cela donne à des gens tels que le postdoctorant Michael Vasmer l’occasion de mettre un pied dans chacun des deux mondes.
« Dans mon domaine, celui de la correction des erreurs quantiques — comme dans celui de l’information quantique en général —, il y a une grande convergence d’intérêts entre la physique théorique et l’entreprise privée, dit-il. De mon point de vue, c’est parce que les deux secteurs ont un même objectif central : réaliser un ordinateur quantique insensible aux défaillances. » [traduction]
M. Vasmer collabore avec Xanadu, jeune pousse torontoise qui met au point de nouvelles technologies informatiques fondées sur des qubits photoniques, moyen prometteur et adaptable de stocker et de traiter de l’information quantique.
Michael Vasmer, postdoctorant à l'Institut Périmètre[/caption]
« La principale différence, c’est que dans mon travail chez Xanadu, nous nous concentrons sur une architecture d’informatique quantique qui repose sur un type particulier de qubit photonique, dit-il. À l’Institut Périmètre, je suis moins lié à un environnement donné et je m’intéresse davantage aux propriétés abstraites d’algorithmes quantiques et de protocoles insensibles aux défaillances. » [traduction]
Les ressemblances ne s’arrêtent pas à l’objet des travaux, selon M. Vasmer. Elles touchent aussi la culture d’entreprise.
« Pour être franc, dit-il, l’ambiance à l’Institut Périmètre me rappelle celle d’une entreprise en démarrage, avec des activités sociales les vendredis, la table de ping-pong, etc. Je ne crois pas que ce soit un hasard. » [traduction]
Les principaux ajustements nécessaires concernent les fréquentes réunions et les délais serrés qui sont le lot d’une entreprise privée. Mais, tout comme Modjtaba Shokrian-Zini chez Microsoft, Michael Vasmer apprécie l’accès rapide à des ordinateurs de haute performance et à d’autres ressources.
Comme l’écart se rétrécit entre la physique fondamentale et les entreprises de technologie, de nombreux scientifiques ne ressentent aucun besoin pressant de choisir.
« Pour le moment, je suis très heureux à cheval sur le milieu universitaire et l’entreprise privée, dit M. Vasmer. L’informatique quantique est à un stade très passionnant où les dispositifs mis au point pourront bientôt être utiles. Je crois que c’est dans l’industrie que cela se produira d’abord, et je veux donc assurément continuer d’y être impliqué. À plus long terme, j’aimerais quand même travailler en milieu universitaire, mais j’envisage aussi de plonger dans le monde des jeunes pousses après mon postdoctorat. » [traduction]
William Cunningham dit que la culture d’indépendance du programme de postdoctorat de l’Institut Périmètre l’a aidé à développer des compétences en gestion de projet et en planification qui lui permettent de rester simultanément dans les deux mondes.
« Comme les postdoctorants à l’Institut Périmètre peuvent définir leur propre programme de recherche, ils sont obligés d’acquérir ces compétences, dit-il. Il n’est pas toujours facile de trouver un juste équilibre entre l’atteinte d’objectifs à court terme d’une part, et la recherche et la planification à long terme d’autre part, mais j’ai pu m’y exercer pendant mon séjour à l’Institut Périmètre. » [traduction].
M. Shokrian-Zini abonde dans le même sens.
« Je ne suis pas encore tout à fait certain de mon avenir, dit-il. Ayant connu les deux mondes, je dirais que tout en aimant les recherches en mathématiques et physique pures, je souhaiterais aussi travailler sur des projets qui ont des applications. Et tant mieux si ceux-ci ont des liens avec une entreprise commerciale ou avec une industrie émergente! » [traduction]
À propos de l’IP
L'Institut Périmètre est le plus grand centre de recherche en physique théorique au monde. Fondé en 1999, cet institut indépendant vise à favoriser les percées dans la compréhension fondamentale de notre univers, des plus infimes particules au cosmos tout entier. Les recherches effectuées à l’Institut Périmètre reposent sur l'idée que la science fondamentale fait progresser le savoir humain et catalyse l'innovation, et que la physique théorique d'aujourd'hui est la technologie de demain. Situé dans la région de Waterloo, cet établissement sans but lucratif met de l'avant un partenariat public-privé unique en son genre avec entre autres les gouvernements de l'Ontario et du Canada. Il facilite la recherche de pointe, forme la prochaine génération de pionniers de la science et communique le pouvoir de la physique grâce à des programmes primés d'éducation et de vulgarisation.