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Robert Spekkens, membre du corps professoral de l’Institut Périmètre, partage ses réflexions sur ce qui distingue l’Institut et sur ce qu’il faut pour faire progresser la physique théorique.

Voici le discours prononcé lors de la cérémonie de remise des diplômes de la promotion 2022 du programme de maîtrise PSI. Les réflexions qu’il contient pourraient être utiles à toute personne souhaitant faire carrière en physique théorique. Nous le présentons donc ici dans son intégralité, sans modifications.

Félicitations pour votre formidable réussite ! Chaque année, c’est un privilège de travailler avec les étudiants et étudiantes du programme PSI, et d’apprendre de vous. L’énergie et l’enthousiasme que vous apportez à cet endroit sont une composante essentielle du succès de l’Institut Périmètre. Donc, au nom de tous les chercheurs et chercheuses, je tiens à vous dire : merci.

J’aimerais parler un peu de ce qui distingue l’Institut Périmètre. Plusieurs choses me viennent à l’esprit : l’architecture du bâtiment, le bistro, le café gratuit. Et, bien sûr, il y a les personnes : le personnel administratif, qui fait un travail remarquable pour nous soutenir, le corps professoral, qui vous a accompagnés tout au long de votre parcours PSI, et les chercheurs et chercheuses dont les idées donnent à cet institut sa texture unique. Ce sont les personnes qui font de Périmètre un endroit aussi exceptionnel où travailler.

Mais ce qui ressort toujours pour moi lorsque je réfléchis à ce qui rend Périmètre vraiment unique, c’est quelque chose auquel on ne s’attend pas forcément : l’énoncé de vision.
Si vous allez sur le site Web de l’Institut Périmètre et que vous lisez notre énoncé de vision, vous découvrirez que nous sommes ici pour réaliser des percées. En tant que chercheurs et chercheuses à l’Institut Périmètre, notre tâche est rien de moins que révolutionner la physique.

Je trouve cela incroyablement inspirant.

Certain·es collègues à qui j’en ai parlé ont une réaction différente. Ils se demandent si ce n’est pas un peu trop ambitieux. Est-ce qu’on n’en demande pas un peu trop ? Est-ce que chaque jour où nous ne réussissons pas à quantifier la gravité, c’est un jour où nous échouons à faire notre travail ? Est-ce que ce n’est pas une recette pour se sentir constamment inadéquat·e ?

Moi, je ne le vois pas ainsi.
À mes yeux, l’énoncé de vision nous demande de garder toujours à l’esprit cet objectif de révolutionner la physique. Il nous demande de viser, dans nos recherches, à réaliser des percées. Que nous réussissions ou non, tant que nous restons fidèles à cet objectif, nous faisons notre travail.

Tobias Fritz, Robert Spekkens et Elie Wolfe en train de résoudre un problème au tableau noir à l’intérieur de l’Institut Périmètre.

Voici ce qu’il faut comprendre à propos de la vérité : elle possède une cohérence interne. Elle a cette capacité de vous attirer dès que vous vous en approchez, de se laisser découvrir. Mais pour cela, vous devez rester intellectuellement honnête, et vous devez rester humble.

Vous devez éviter de vous tromper vous-même en croyant comprendre quelque chose que vous ne comprenez pas. Vous devez rester à l’écoute des signes qui indiquent qu’il y a peut-être un problème dans votre schéma conceptuel.

Si vous réussissez à garder cet état d’esprit, alors vous donnez à la vérité une chance de vous attirer par la force de sa gravité. Suivre chaque piste, lentement et méthodiquement, en direction de la vérité — c’est ce qu’on retrouve en filigrane de toute découverte révolutionnaire.

Alors, à mesure que vous entamez la prochaine étape de votre carrière, j’espère que vous emporterez avec vous cette petite part de l’ADN de Périmètre. Qu’elle vous serve de source d’énergie.

J’aimerais maintenant vous raconter une histoire tirée de ma propre carrière en physique, et d’une décision que j’ai dû prendre au même moment de ma trajectoire où vous vous trouvez aujourd’hui.

J’ai fait un baccalauréat en physique et en philosophie. C’est à ce moment-là que je me suis intéressé pour la première fois aux fondements de la mécanique quantique. À l’époque, j’ai approché plusieurs de mes professeurs du département de physique, dans l’espoir de discuter avec eux de certains problèmes conceptuels de la théorie quantique. Ils n’étaient pas intéressés.

En fait, ils m’ont dit qu’il serait mal avisé de faire de la recherche sur les fondements de la théorie quantique, car ce domaine était considéré comme plutôt peu respectable. Heureusement, il y avait un cours-séminaire au département de philosophie qui portait précisément sur les fondements de la théorie quantique, et c’est là que j’ai été exposé à plusieurs des articles de recherche clés dans le domaine.

Et ç’a été le déclic. Je suis tombé amoureux du domaine des fondements quantiques, et j’ai su que c’était ce sur quoi je voulais travailler.

Environ un an plus tard, après avoir terminé une maîtrise en physique basée sur des cours, j’ai dû prendre une décision quant au sujet de recherche que j’allais choisir pour mon doctorat.

J’avais trouvé quelqu’un prêt à me superviser sur un projet ayant un certain lien avec les fondements de la mécanique quantique.

Mais je savais qu’à la fin de ce doctorat, il serait très difficile de trouver un poste de chercheur postdoctoral, et qu’il n’y aurait pratiquement aucun débouché professionnel.

Si je choisissais de me consacrer aux fondements de la théorie quantique, je risquais fort bien de mettre un terme à ma carrière en physique théorique.

L’autre option consistait à travailler sur un sujet plus conventionnel en physique.

Quelque chose qui n’était pas fondamental, mais qui, je l’espérais, ne serait pas totalement inintéressant pour moi.

Je pourrais travailler fort, avec un peu de chance obtenir des résultats, et peut-être finir par décrocher un poste de professeur titulaire dans un département de physique quelque part.

Une fois titulaire, j’aurais la liberté de faire de la recherche sur ce qui me passionne, et je pourrais revenir aux fondements de la théorie quantique.

Je me souviens avoir longuement réfléchi à ces deux options.

Finalement, j’ai décidé de faire mon doctorat sur le sujet qui me passionnait, principalement parce que je ne voulais pas échanger plusieurs années de ma vie contre une simple possibilité de liberté académique future.

Mais pour en arriver à cette décision, j’ai dû me réconcilier avec l’idée que cela pourrait mettre fin à ma carrière en physique — et qu’en toute probabilité, ce serait le cas.

Mais finalement, j’ai eu de la chance.

Au moment même où je terminais mon doctorat, cet endroit — l’Institut Périmètre — ouvrait ses portes et commençait à embaucher des chercheurs postdoctoraux.

À l’époque, Périmètre se consacrait à seulement quatre domaines de recherche en physique, et l’un d’eux était les fondements de la théorie quantique.

Très peu de personnes, il faut le dire, avaient décidé de risquer toute leur carrière pour devenir des spécialistes d’un domaine considéré, de manière générale, comme peu respectable.

Alors la concurrence pour les postes de recherche postdoctorale n’était, disons, pas particulièrement féroce.

Robert Spekkens et Raymond Laflamme en conversation durant les premières années de l’Institut Périmètre.

Obtenir un poste postdoctoral à l’Institut Périmètre m’a donné l’occasion d’approfondir considérablement les fondements de la théorie quantique, ce qui m’a ensuite permis d’obtenir une bourse postdoctorale au Royaume-Uni, et, ultimement, m’a ouvert la voie pour être embauché de nouveau à Périmètre quelques années plus tard comme membre du corps professoral.

Bien sûr, il est facile d’imaginer que les choses auraient pu se passer autrement. Dans d’autres mondes possibles, je n’aurais pas eu cette chance. Mais même si cette décision prise au doctorat avait mis fin à ma carrière en physique, il me semble que cela aurait quand même été la bonne décision. Parce que l’un des aspects les plus difficiles quand on entreprend quelque chose de très exigeant — comme terminer un doctorat, ou le programme PSI, d’ailleurs — c’est de garder sa motivation.

Un fait que l’on souligne trop rarement, c’est celui-ci : la motivation est plus importante que les compétences. Les compétences, ça s’acquiert. Si vous mettez les efforts, si vous y consacrez les heures, si vous restez concentré, résilient, déterminé, vous pouvez devenir excellent dans n’importe quel domaine. Mais pour pouvoir faire tout cela, vous avez besoin d’un feu intérieur. Un feu qui vous soutient dans les longues heures de travail. Un feu qui vous rend résilient et avide du prochain défi.

Et en cours de route, quand on poursuit un objectif difficile, il y a toujours des moments de grande frustration et de doute de soi.
Vous en avez peut-être vécu certains vous-mêmes pendant votre passage dans le programme PSI. Vous êtes confronté à un problème de physique, vous vous dites : Je devrais être capable de résoudre ça, et pourtant vous n’y arrivez pas. Et là, vous vous dites : Peut-être que je ne suis tout simplement pas fait pour ça.

Ce qu’il faut se rappeler, c’est que tout le monde vit cette expérience. Se sentir inadéquat et stupide fait partie de la description de tâches. Vous devriez toujours travailler à la limite de ce que vous pouvez comprendre facilement, à un endroit où vous allez devoir vous battre pour avancer. Si vous ne vous sentez pas inadéquat et stupide sur une base régulière, c’est que vous ne le faites pas comme il faut.

Mais ces sentiments sont un obstacle psychologique bien réel. Ce n’est pas facile de traverser ces moments de doute, tard le soir, quand vous vous demandez pourquoi vous vous êtes embarqué là-dedans — tant d’heures, tant de frustrations, tant de doutes.
Ce dont vous avez besoin dans ces moments-là, c’est de vous rappeler votre motivation.

Elle peut être différente d’une personne à l’autre. Mais je soupçonne que toutes celles et ceux qui font de la physique théorique — et de la science en général — sont, dans une certaine mesure, animés par le fait que l’objectif de découvrir la vérité sur la nature du monde, de poursuivre le savoir pour lui-même, nous élève. C’est l’un des objectifs les plus purs et les plus nobles auxquels on puisse aspirer.

D’immenses quantités de travail et de lutte peuvent, très occasionnellement, se transmuter en un petit moment exquis d’exaltation créative : la découverte de quelque chose de nouveau.

Robert Spekkens partage un moment avec Roger Penrose — un rappel que les grandes idées naissent souvent dans la conversation.

Il y a une citation sur la vérité que j’aime beaucoup. Elle vient de Nietzsche. Dans l’un de ses livres, il raconte l’histoire d’un gourou qui dit à ses disciples : « Vous devez découvrir dix vérités par jour. Sinon, vous vous endormirez le soir avec l’âme encore affamée. »

Je pense que c’est une excellente philosophie de vie. Essayez de découvrir dix vérités par jour. Elles n’ont pas besoin d’être grandioses. Ce peuvent être de petites vérités. Et elles peuvent être des vérités nouvelles uniquement pour vous. Elles n’ont pas besoin d’être nouvelles pour tout le monde. Si, chaque jour, vous apprenez quelque chose que vous ne saviez pas la veille, si vous corrigez une idée fausse que vous aviez la veille, si vous rendez votre carte mentale du monde un peu plus juste qu’elle ne l’était la veille,
alors vous êtes constamment en mouvement vers la vérité.

Il y a deux principales façons pour les membres du corps professoral de Périmètre de faire de la recherche avec les étudiants et étudiantes du programme PSI : le mémoire de recherche PSI et l’école d’hiver PSI. Et selon moi, ces deux expériences incarnent un peu cette philosophie nietzschéenne.

Dans les deux cas, il s’agit de recherche en physique avec une date limite, et c’est ce que je préfère à leur sujet. Le défi, c’est de découvrir quelque chose de réellement nouveau, en un temps limité. C’est particulièrement vrai pour les projets de l’école d’hiver PSI, où vous n’avez qu’une semaine pour y arriver. C’est essentiellement une course contre la montre pour atteindre ces nouvelles idées.

Dans le projet auquel j’ai participé cette année, notre groupe a connu plus que sa part de frustrations et de déceptions…
…mais nous avons fini par faire de vrais progrès. Et quand c’est arrivé, ce fut exaltant. Je peux vous dire qu’à la fin de cette semaine-là, je me suis endormi avec l’âme un peu moins affamée.

Robert Spekkens anime une séance de remue-méninges avec des membres du groupe de recherche sur l’inférence causale à l’Institut Périmètre.

J’espère que, durant votre année à Périmètre, votre âme a été bien nourrie. Un flot continu d’idées vous a été lancé comme un jet d’eau à haute pression, alors peut-être avez-vous réussi à atteindre votre quota de dix vérités par jour.

J’espère aussi que vous avez eu, à un moment ou à un autre, la chance de vivre ce sentiment de découverte — non pas d’une vérité nouvelle pour vous, mais d’une vérité nouvelle pour tout le monde. Parce que ce sentiment-là fait partie de ce qui nous pousse à continuer, ce qui rend tout ce travail acharné et ces heures de frustration dignes d’être vécues.

Et j’espère, enfin, que vous repartez avec une meilleure idée de ce qui peut vous passionner… ou du chemin qu’il vous faudra emprunter pour le découvrir. Certain·es d’entre vous poursuivront sans doute une carrière en physique théorique. D’autres relèveront des défis différents. Mais mon conseil est le même pour tout le monde : inspirez-vous de l’énoncé de vision de Périmètre : Quel que soit le domaine que vous choisirez, essayez de le révolutionner.

Je ne crois pas que ce soit trop demander. Tout ce qu’il faut, c’est de la motivation et du travail. Et vous avez déjà prouvé que vous en étiez capables. Le programme PSI exige une énorme quantité des deux. Souvenez-vous que vous avez cette réussite derrière vous. Cela signifie que vous êtes capables de réussir tout ce que vous déciderez d’accomplir.

Alors, visez haut, travaillez fort, et gardez toujours l’esprit de Périmètre en vous !

À propos de l’IP

L'Institut Périmètre est le plus grand centre de recherche en physique théorique au monde. Fondé en 1999, cet institut indépendant vise à favoriser les percées dans la compréhension fondamentale de notre univers, des plus infimes particules au cosmos tout entier. Les recherches effectuées à l’Institut Périmètre reposent sur l'idée que la science fondamentale fait progresser le savoir humain et catalyse l'innovation, et que la physique théorique d'aujourd'hui est la technologie de demain. Situé dans la région de Waterloo, cet établissement sans but lucratif met de l'avant un partenariat public-privé unique en son genre avec entre autres les gouvernements de l'Ontario et du Canada. Il facilite la recherche de pointe, forme la prochaine génération de pionniers de la science et communique le pouvoir de la physique grâce à des programmes primés d'éducation et de vulgarisation.

Pour de plus amples renseignements, veuillez vous adresser à :
Mike Brown
Gestionnaire, Communications et médias
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