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Des chercheurs observent l’émergence du temps quantique sur une hypersurface nulle — une avancée qui pourrait contribuer à résoudre le problème du temps en physique.

Peu importe comment on le mesure — au rythme d’une horloge ou au fil des cheveux gris qui apparaissent — le temps suit une trajectoire implacable : du passé vers le présent, puis vers le futur.

Nous le ressentons jusque dans nos os; pour nous, le temps est bien réel.

Mais pour certains physicien·ne·s théoricien·ne·s, le temps, à l’échelle quantique la plus fondamentale, ne serait peut-être pas « réel » en soi. Et si le temps « émergeait » plutôt des relations entre les particules quantiques ? D’autres scientifiques, au contraire, pensent que le temps doit être une composante fondamentale de toute réalité.

Au cœur de ce débat se trouve une énigme : ce que les scientifiques appellent « le problème du temps ».

Dans les théories d’Einstein — confirmées par l’expérience — l’espace-temps est flexible et relatif. Il peut s’étirer, se courber. Le temps dépend de l’endroit où l’on se trouve et de la vitesse à laquelle on se déplace.

Le principe d’équivalence d’Einstein nous dit que les effets de la gravité et ceux de l’accélération sont équivalents. Si vous voyagez près de la vitesse de la lumière dans un vaisseau spatial, le temps semblera s’écouler normalement pour vous, mais aux yeux d’un·e observateur·trice sur Terre, il semblera que vous avez ralenti considérablement. C’est aussi vrai dans un champ gravitationnel : une horloge dans l’espace avance plus vite qu’une horloge sur Terre. C’est pourquoi les systèmes GPS doivent être ajustés pour tenir compte de la dilatation du temps.

« Le problème du temps »

En mécanique quantique, le comportement des particules subatomiques — comme les atomes ou les électrons — peut être décrit par l’évolution de leur fonction d’onde dans le temps.

Autrement dit, les équations d’onde quantiques reposent sur un espace-temps fixe, alors que dans la théorie d’Einstein, l’espace-temps est dynamique — ce qui signifie que le temps varie selon l’observateur ou l’observatrice.

C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles il est si difficile de « quantifier » l’espace-temps et de développer une théorie de la gravité quantique — le saint graal de la physique moderne.

Ces deux grandes théories — la mécanique quantique et la relativité générale — sont toutes deux couronnées de succès, mais elles parlent des langages différents. Depuis des décennies, les scientifiques tentent d’élaborer une théorie cohérente de la gravité quantique qui unifierait la théorie quantique et celle d’Einstein. Or, cette tâche s’avère particulièrement ardue.

Une solution sur « l’hypersurface nulle »

Aujourd’hui, des chercheurs de l’Institut Périmètre, en collaboration avec un collègue de l’Université de l’Illinois, proposent une solution possible au problème du temps — en s’appuyant sur ce qu’on appelle une « hypersurface nulle ».

L’article, intitulé Quantum Null Geometry and Gravity, est signé par Luca Ciambelli (chercheur postdoctoral à l’Institut Périmètre), Laurent Freidel (professeur à l’Institut Périmètre) et Robert Leigh (professeur à l’Université de l’Illinois). Il a récemment été publié dans le Journal of High Energy Physics.

Le chercheur de l’Institut Périmètre Luca Ciambelli explore de nouvelles approches au problème du temps en gravité quantique, en utilisant les hypersurfaces nulles pour redéfinir notre compréhension de l’espace-temps.

Une hypersurface nulle peut être vue comme une surface géométrique — une surface sur laquelle des particules sans masse, comme les photons (les particules de lumière), se déplacent à la vitesse de la lumière. Imaginez une lampe de poche allumée dans l’obscurité : la surface de l’espace-temps sur laquelle la lumière se propage en formant un angle de 45 degrés crée une sorte de cône lumineux. Cette forme géométrique, pour des particules voyageant à la vitesse de la lumière, est ce qu’on appelle une hypersurface nulle.

Ciambelli explique que les hypersurfaces nulles sont des constructions mathématiques que les physicien·ne·s théoricien·ne·s commencent seulement à exploiter.

Ce n’est pas simple de résoudre des problèmes en géométrie nulle, car « il y a beaucoup de subtilités mathématiques », dit-il. Mais au bout du compte, travailler avec une hypersurface nulle permet de simplifier le problème de la quantification de la gravité, ajoute-t-il.

En travaillant avec cette hypersurface nulle, les coauteurs ont réussi à obtenir quelque chose qui peut être interprété comme du temps quantique.

Comment quantifier l’espace-temps

Pour parvenir à ce concept de temps quantique, les chercheurs ont utilisé l’équation de Raychaudhuri — un outil mathématique qui permet de suivre les trajectoires des rayons lumineux dans l’espace. En « rééchelonnant » les points de lumière sur leur carte de l’hypersurface, ils ont obtenu ce qu’ils appellent une « charge centrale » — une anomalie ou déviation qui peut être interprétée comme l’émergence quantique du temps.

Ce qu’ils ont développé, au final, c’est une théorie des champs conforme (ou conformal field theory) pour chaque rayon de lumière. Pour comprendre ce concept, imaginez une carte du monde imprimée sur un ballon. Si vous gonflez ou dégonflez le ballon, la carte change de taille, mais les formes des pays et les angles entre eux restent les mêmes.

Sur une hypersurface nulle, chaque rayon de lumière suit sa propre trajectoire unidimensionnelle et « hyperlocale », sans interagir avec les autres rayons. Ainsi, chaque rayon évolue dans ses propres fragments géométriques de l’espace-temps. L’un des coauteurs, Leigh, a même inventé un nom pour désigner ces petits morceaux géométriques : des « embadons ». Les embadons sont comme des blocs ou des bulles élémentaires d’espace-temps sur une hypersurface nulle.

Ciambelli explique qu’il s’agit d’une approche « ascendante » (bottom-up) — les coauteurs construisent l’espace-temps morceau par morceau, plutôt que de partir d’un modèle à trois dimensions d’espace plus une de temps, puis de tenter d’en faire une version quantique. Il décrit cette méthode comme une « montée d’échelle » vers une théorie unifiée.

C’est cette approche qui rend la quantification de l’espace-temps plus simple, ajoute-t-il. « Si je vous demandais de quantifier 200 dimensions, puis de quantifier un système à une seule dimension, évidemment, une dimension est plus facile », illustre Ciambelli.

Il précise que ce sont les symétries qui ancrent cette approche ascendante dans la physique vérifiée expérimentalement, qu’il s’agisse de la relativité générale ou de la mécanique quantique. Les symétries sont des transformations ou opérations mathématiques qui laissent les lois fondamentales de la physique inchangées. Elles offrent un cadre unificateur pour des phénomènes en apparence très différents.

« En maîtrisant les symétries de la relativité générale et de la mécanique quantique, on peut faire des prédictions à mesure qu’on gravit les échelons », conclut Ciambelli.

Alors… le temps existe-t-il ?

Au bout du compte, travailler avec une hypersurface nulle facilite la préservation du temps quantique comme quelque chose de fondamental — plutôt qu’une propriété qui émergerait simplement des interactions quantiques.

Freidel trouve l’idée que le temps n’existe pas au niveau fondamental plutôt troublante.
« Le temps est une base pour tout ce que nous faisons, alors dire qu’il n’existe pas est profondément déstabilisant », affirme-t-il.

Le professeur de l’Institut Périmètre Laurent Freidel s’intéresse au rôle fondamental du temps en physique, et à la façon dont leurs recherches visent à le préserver comme propriété centrale de l’univers.

Cette solution fondée sur une hypersurface nulle semble offrir une voie prometteuse.
« Ce que nous disons, c’est qu’il existe bel et bien un temps quantique. C’est une propriété fondamentale de la physique, et elle est associée à un nouveau type d’observable », affirme Freidel.

Ciambelli précise que ce qu’ils ont obtenu jusqu’à présent ne constitue pas encore une quantification complète de l’espace-temps. Mais en se concentrant sur les fragments d’espace-temps d’une hypersurface nulle, les coauteurs ont réussi à grimper quelques échelons vers une théorie de la gravité quantique.

Et ils ont obtenu un début de réponse au problème du temps.

« Je ne sais pas si le temps est émergent ou non, mais ce que je sais, c’est que là où je me trouve sur l’échelle, en train de monter, il est encore fondamental et il est encore là », dit-il.

Intuitivement, Ciambelli pense que cette approche ascendante permettra aux physicien·ne·s théoricien·ne·s de se rapprocher de leur objectif dans cette quête de plusieurs décennies vers une théorie de la gravité quantique.

« Est-ce qu’on se rapproche d’un modèle complet? Je pense qu’on gravit les échelons, mais il nous reste encore beaucoup d’étapes à franchir. Personnellement, je suis convaincu que, quel que soit le modèle final, on n’y arrivera peut-être pas si on ne commence pas par une approche ascendante », conclut-il.

À propos de l’IP

L'Institut Périmètre est le plus grand centre de recherche en physique théorique au monde. Fondé en 1999, cet institut indépendant vise à favoriser les percées dans la compréhension fondamentale de notre univers, des plus infimes particules au cosmos tout entier. Les recherches effectuées à l’Institut Périmètre reposent sur l'idée que la science fondamentale fait progresser le savoir humain et catalyse l'innovation, et que la physique théorique d'aujourd'hui est la technologie de demain. Situé dans la région de Waterloo, cet établissement sans but lucratif met de l'avant un partenariat public-privé unique en son genre avec entre autres les gouvernements de l'Ontario et du Canada. Il facilite la recherche de pointe, forme la prochaine génération de pionniers de la science et communique le pouvoir de la physique grâce à des programmes primés d'éducation et de vulgarisation.

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