Relier deux branches de la physique

account_circle Par Rose Simone
Des recherches récemment menées à l’Institut Périmètre sur le principe holographique cherchent à établir des liens entre la relativité générale et la théorie quantique des champs.

Imaginez que vous roulez sur une route qui traverse un paysage magnifique. À chaque tournant, il y a une belle curiosité naturelle à explorer. Et soudain vous arrivez au bord d’un précipice.

Vous voyez la route de l’autre côté. Comment faire pour poursuivre votre voyage? Il faut un pont.

Cette image décrit l’état de la physique aujourd’hui, et Bianca Dittrich, chercheuse à l’Institut Périmètre en physique mathématique et en gravitation quantique, est l’une des personnes qui cherchent à construire ce pont.

D’un côté du précipice, il y a la route construite par la théorie de la relativité générale d’Albert Einstein. Elle décrit la force de gravité comme une déformation de l’espace-temps par des objets de grande masse comme les planètes et les étoiles.

De l’autre côté, il y a la théorie quantique des champs, notre meilleure description des particules et des 3 autres forces (l’électromagnétisme, ainsi que les interactions nucléaires forte et faible) qui agissent aux minuscules distances subatomiques.

Ces 2 théories sont incroyablement fructueuses dans leurs domaines respectifs, mais elles sont si différentes, tant par leur formulation que sur le plan conceptuel, qu’il est difficile de les relier.

« Fondamentalement, nous tentons d’établir un lien entre toutes les échelles de distance que nous connaissons, déclare Mme Dittrich. C’est là l’objet de la physique, mais c’est une tâche très ardue. Pour établir ce lien, il faut modéliser l’infiniment petit et montrer que le modèle obtenu décrit effectivement la réalité que nous connaissons à l’échelle macroscopique. » [traduction]

Dans la relativité générale, l’espace-temps est lisse et continu. Si vous faisiez un zoom avec un microscope sur des distances arbitrairement petites, l’espace-temps devrait avoir le même aspect que lorsque vous en avez une vue plus générale. Par contre, selon la théorie quantique des champs, les particules et les forces se présentent sous forme de « paquets » discrets, et l’espace-temps devrait lui aussi avoir un aspect discret et granulaire, comme les pixels d’une photo numérique.

Les scientifiques ont besoin d’une théorie pour décrire la force de gravité à l’échelle quantique, et cette théorie doit être compatible avec le portrait plus global de la relativité générale. Aujourd’hui, beaucoup de physiciens travaillent à la construction du pont de la gravitation quantique.

C’est plus facile à dire qu’à faire. Si l’on ramène la relativité générale à l’échelle quantique, les calculs donnent des « valeurs infinies » qui n’ont pas de sens. « À première vue, la quantification de la gravité a l’air simple, dit Mme Dittrich. Cela devrait ressembler à la quantification des 3 forces (non gravitationnelles) réalisée il y a des décennies. Mais cela constitue en réalité un problème très difficile et non encore résolu. » [traduction]

Il y a de nombreuses manières d’aborder ce problème qui se pose depuis longtemps. Par exemple, en gravitation quantique à boucles, les physiciens parlent d’« atomes d’espace-temps » reliés dans un réseau à mailles fines. Cela donne un modèle du tissu de l’espace-temps.

Mais dans un article récent, intitulé 3D Holography: From Discretum to Continuum (Holographie 3D : du discret au continu), Bianca Dittrich et Valentin Bonzom, ancien postdoctorant à l’Institut Périmètre maintenant professeur adjoint à l’Université Paris 13, mettent à l’épreuve une méthode différente, fondée sur le principe holographique.

Selon ce principe, tout ce qui se déroule dans un espace donné peut être expliqué par l’information contenue aux frontières de cet espace. (Ce principe tire son nom des hologrammes, dans lesquels des surfaces bidimensionnelles contiennent toute l’information nécessaire pour projeter une image tridimensionnelle.)

Un cadre mathématique populaire fondé sur le principe holographique s’appelle la correspondance AdS/CTF. AdS est l’abréviation d’espace anti-de Sitter, qui décrit un type particulier de géométrie. Tout comme une boule de quille étire une feuille de caoutchouc sur laquelle on la pose, la forme elliptique d’un espace anti-de Sitter peut aussi s’étirer ou se contracter, ce qui permet de décrire la gravité.

D’autre part, CFT est l’abréviation de théorie conforme des champs (conformal field theory). Les théories des champs constituent le langage de la mécanique quantique. Elles peuvent, par exemple, décrire comment un champ électrique pourrait évoluer dans l’espace et dans le temps.

La correspondance AdS/CTF constitue un exemple de principe holographique, car elle affirme fondamentalement que pour toute théorie conforme des champs, il existe une théorie correspondante de la gravité avec une dimension supplémentaire. À titre d’exemple, une CFT bidimensionnelle correspondrait à une théorie tridimensionnelle de la gravité.

Cependant, le principe holographique s’applique dans le cas de frontières infiniment grandes. Bianca Dittrich et Valentin Bonzom ont voulu voir si le principe peut aussi s’appliquer à des frontières finies et à des types de géométrie autres que l’AdS. Cela donnerait une manière plus réalisable de décrire un morceau d’espace-temps et d’en comprendre les détails microscopiques en reconstruisant l’intérieur.

Mme Dittrich explique que le fait de travailler sur une frontière sans trop se préoccuper de ce qu’il y a à l’intérieur « simplifie de beaucoup la construction d’une théorie de la gravitation quantique » [traduction].

Les 2 chercheurs ont essayé dans un espace-temps à 3 dimensions. Mme Dittrich déclare : « Il s’est avéré que le principe holographique tient effectivement dans le cas de frontières finies, et nous obtenons une description très simple de la manière de traduire les données des frontières en une géométrie de l’intérieur. » [traduction]

Qu’ils aient pu accomplir cela en 3D n’est pas trop surprenant, mais Bianca Dittrich ajoute que ce sera plus difficile d’étendre ces travaux à un espace-temps à 4 dimensions.

La plupart des théories de la gravitation quantique exigent que la force de gravité soit transmise par des particules hypothétiques appelées gravitons. Si Mme Dittrich peut faire fonctionner son modèle en 4D, elle l’aura alors transporté dans un domaine où les gravitons existent. « La gravité pourra se propager dans cet espace-temps. » [traduction], dit-elle

Bianca Dittrich circule depuis quelque temps sur la route de la physique. Elle a grandi en Allemagne, lisant beaucoup d’ouvrages populaires sur la science, de même que sur l’histoire et la littérature. À la fin de ses études secondaires, elle a envisagé différentes options, y compris des domaines comme la géo-écologie.

Mais elle s’est rendu compte que c’est la physique qui pourrait la conduire vers une compréhension la plus complète de la nature. « Si vous voulez comprendre pourquoi quelque chose fonctionne, dit-elle, la réponse se trouve dans la physique. » [traduction]

Maintenant, elle travaille à construire un autre pont qui permettra d’enjamber le précipice entre les 2 routes extraordinaires mentionnées au début de l’article, afin d’amener les physiciens à cette compréhension plus complète de la nature.

À propos de l’IP

L'Institut Périmètre est le plus grand centre de recherche en physique théorique au monde. Fondé en 1999, cet institut indépendant vise à favoriser les percées dans la compréhension fondamentale de notre univers, des plus infimes particules au cosmos tout entier. Les recherches effectuées à l’Institut Périmètre reposent sur l'idée que la science fondamentale fait progresser le savoir humain et catalyse l'innovation, et que la physique théorique d'aujourd'hui est la technologie de demain. Situé dans la région de Waterloo, cet établissement sans but lucratif met de l'avant un partenariat public-privé unique en son genre avec entre autres les gouvernements de l'Ontario et du Canada. Il facilite la recherche de pointe, forme la prochaine génération de pionniers de la science et communique le pouvoir de la physique grâce à des programmes primés d'éducation et de vulgarisation.

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