Les chercheurs en information quantique utilisent des termes qui ne détonneraient pas dans une partie de Donjons et Dragons. Entre qubits, magie et oracles, faisons le tour du jargon quantique avec le chercheur Alex May de l’Institut Périmètre.
Ordinateurs classiques, ordinateurs quantiques et qubits
Les ordinateurs classiques traitent les données sous forme d’unités de base appelées chiffres binaires, ou bits. Un bit peut prendre l’une ou l’autre de deux valeurs possibles : 0 ou 1. C’est un système tout ou rien – les bits sont soit à 0, soit à 1, sans valeur intermédiaire.
Mais les ordinateurs quantiques stockent l’information autrement, à l’aide de qubits. Lorsque vous mesurez un qubit, vous obtiendrez un 0 ou un 1, mais avant d’être mesuré, le qubit existe dans un état beaucoup plus étrange : une superposition des états 0 et 1.
Superposition
Lorsqu’un qubit est en superposition, il est décrit par deux nombres appelés amplitudes. Ces amplitudes déterminent les probabilités d’obtenir 0 ou 1 lorsque le qubit est mesuré.
Il est tentant de croire que le qubit est déjà dans l’état 0 ou 1 avant la mesure, et que les probabilités ne font que refléter notre incertitude à ce sujet, explique May. Mais ce n’est pas tout à fait juste — les amplitudes ne sont pas des probabilités au sens classique du terme. Elles sont autre chose.
« Être en superposition ne veut pas dire que le qubit est déjà à 0 ou 1 et qu’on l’ignore, mais ça ne veut pas non plus dire qu’il est dans les deux états à la fois. C’est un concept différent de “ou” et “et” — un concept pour lequel l’anglais n’a pas de mot courant. »
La capacité d’exister en superposition ouvre la voie à des comportements et des évolutions complètement nouveaux pour les qubits, comparativement aux bits classiques. C’est peut-être – on croise les doigts – la caractéristique-clé qui donnera un avantage réel aux ordinateurs quantiques.
Bruit
Si vous cherchez la définition de bruit, vous verrez que ce n’est pas seulement un son : cela peut désigner toute perturbation non désirée.
Il existe bien des choses qu’on pourrait qualifier de bruit dans le monde classique, explique May. « Par exemple, vous parlez au téléphone et la ligne coupe. C’est parce qu’il y a du bruit dans le système. Dans le monde classique, on sait comment gérer ça : on peut simplement répéter ce qu’on disait jusqu’à ce que l’autre nous comprenne. »
En information quantique, le bruit désigne des perturbations qui affectent un système quantique. Il peut provenir de plusieurs sources — température, vibrations, ou même les machines qui hébergent le système.
May souligne que les systèmes quantiques sont souvent petits et délicats. À cause de cette fragilité, les chercheurs doivent les protéger contre le bruit.
« L’un des problèmes, c’est que si on essaie d’observer le système ou d’en faire une copie pour le protéger, on le perturbe. On ne peut donc pas faire de copies des systèmes quantiques. »
C’est un peu comme si, pendant un appel téléphonique entrecoupé, vous n’aviez pas le droit de vous répéter — mais deviez quand même vous faire comprendre, explique May. « Il faut trouver un moyen de combattre le bruit… sans faire de copies. »
Magie
Les ordinateurs quantiques vont-ils complètement remplacer les ordinateurs classiques ? Pas tout à fait. Les deux types d’ordinateurs ont leurs forces et leurs faiblesses.
May explique que les chercheurs tentent encore de tracer la ligne entre ce qu’on peut faire avec un ordinateur classique et ce qui nécessite la puissance du quantique. La clé est de cerner ce qui rend le quantique différent – et où réside sa puissance supplémentaire.
L’un des moyens d’évaluer la différence entre informatique classique et informatique quantique est une grandeur mathématique appelée magie. En information quantique, la magie n’est pas l’affaire de sorciers ; c’est une propriété qui contribue à déterminer à quel point il est difficile de simuler un problème quantique avec un ordinateur classique.
« En général, on pense qu’il n’existe pas de frontière nette entre ce qui est facile ou difficile à simuler, ni de règle simple qui dirait clairement quand l’informatique quantique devient plus avantageuse que l’informatique classique », dit May. « Mais la magie est un petit morceau de ce casse-tête, un des éléments qui distingue les deux mondes. »
Oracle
Dans la mythologie grecque, un oracle prédit l’avenir à l’aide de visions surnaturelles. En information quantique, un oracle offre un tout autre type d’éclairage : un moyen d’explorer la puissance comparative des différents modèles de calcul.
Une fonction mathématique prend une entrée et fournit une sortie. Un exemple très simple serait quelque chose comme f(x) = x². On entre un chiffre pour x (disons 2), et on obtient une sortie – ici, 4.
« Si vous essayez de faire un calcul, il y a deux façons d’accéder à une fonction, » explique May. « La première, c’est que je vous donne la description explicite de la fonction. C’est ce que je fais quand je dis, par exemple, que votre fonction consiste à faire le carré d’un nombre. »
L’autre option, dit May, c’est d’avoir accès à la fonction par oracle — c’est-à-dire sans avoir sa description. « Au lieu de ça, vous recevez une boîte noire. Vous lui fournissez une entrée, elle vous donne une sortie. »
Le tout premier problème pour lequel on a prouvé qu’un ordinateur quantique faisait quelque chose qu’un ordinateur classique ne pouvait pas faire faisait appel à un oracle, explique May. C’est ce qu’on appelle le problème de Deutsch-Jozsa, du nom de ses créateurs, David Deutsch et Richard Jozsa.
« Dans ce problème, on nous donne un accès par oracle à une fonction, et on doit déterminer une certaine propriété de cette fonction, » précise May. « Pour y arriver dans le monde classique, il faut interroger l’oracle plusieurs fois. Mais dans le monde quantique, on peut le faire en une seule requête. Le secret, c’est de fournir à l’oracle plusieurs entrées en superposition et d’analyser soigneusement la superposition des sorties pour extraire les propriétés recherchées. »
« C’est intéressant pour les chercheurs, car cela montre un cas où l’informatique quantique nous permet de faire quelque chose que l’informatique classique ne permet pas — même si c’est dans ce drôle de cadre des oracles, qui n’existe pas tel quel dans la réalité. Ce n’est pas une preuve directe de l’utilité pratique du calcul quantique, mais c’est évocateur. »
Les chercheurs continuent d’explorer quels problèmes les ordinateurs quantiques peuvent résoudre plus rapidement que les classiques, ajoute May. « En s’appuyant sur les idées développées dans le cadre des oracles, ils trouvent des méthodes pour résoudre rapidement un vaste éventail de problèmes — y compris des problèmes hors du cadre oracle, dans le monde réel. »
Passez à la pratique
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À propos de l’IP
L'Institut Périmètre est le plus grand centre de recherche en physique théorique au monde. Fondé en 1999, cet institut indépendant vise à favoriser les percées dans la compréhension fondamentale de notre univers, des plus infimes particules au cosmos tout entier. Les recherches effectuées à l’Institut Périmètre reposent sur l'idée que la science fondamentale fait progresser le savoir humain et catalyse l'innovation, et que la physique théorique d'aujourd'hui est la technologie de demain. Situé dans la région de Waterloo, cet établissement sans but lucratif met de l'avant un partenariat public-privé unique en son genre avec entre autres les gouvernements de l'Ontario et du Canada. Il facilite la recherche de pointe, forme la prochaine génération de pionniers de la science et communique le pouvoir de la physique grâce à des programmes primés d'éducation et de vulgarisation.